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Preuve circonstancielle

Dans la cause R. v. A.A. (Cour Supérieure de l’Ontario, 13 octobre 2023), un jeune homme a été poignardé lors d’une attaque perpétrée par plusieurs adolescents. Les faits ayant mené à l’attaque ne sont pas contestés, mais l’identité du poignardeur l’est. Le tribunal doit donc se demander si la Couronne a établi sans aucun doute raisonnable que l’accusé a poignardé la victime.

Aucune preuve directe que l’accusé a poignardé la victime n’a été présentée au tribunal. Aucun témoin n’a témoigné avoir vu l’accusé poignarder la victime. La preuve de la Couronne est basée sur une preuve circonstancielle. Le tribunal indique qu’une preuve circonstancielle peut, dans certains cas être suffisante pour satisfaire le fardeau de la preuve, mais qu’il faut être extrêmement prudent, compte tenu des dangers inhérents au raisonnement basé sur ce type de preuve, notamment de conclure à la culpabilité de l’accusé sans avoir considéré des explications alternatives.

Le principe directeur établi par la Cour Suprême du Canada prévoit que ‘’where proof of one or more essential elements of an offence relies largely or exclusively on circumstantial evidence, an inference of guilt drawn from the circumstantial evidence must be the only reasonable inference that such evidence permits’’ (R. v. Villaroman, 2016 SCC 33, par. 30).

En l’espèce, le tribunal regroupe la preuve circonstancielle en trois catégories : (1) la preuve que l’accusé avait un couteau en sa possession avant l’attaque et le brandissait comme une arme, (2) la preuve que l’accusé avait un couteau tâché de sang peu de temps après l’attaque et tentait de s’en débarrasser et (3) la preuve que l’accusé a implicitement admis avoir poignardé en ne niant pas les accusations de ses amis qu’il était le poignardeur.

Quant à la première catégorie, le tribunal conclut que la poursuite n’a pas prouvé que l’accusé avait un couteau en sa possession avant l’attaque.

Quant à la seconde catégorie, le tribunal conclut que l’accusé avait un couteau en sa possession peu de temps après l’attaque, mais ne retient pas qu’il y avait du sang sur l’accusé ou le couteau qu’il tenait après l’attaque, ce qui soulève un doute raisonnable quant à savoir si le couteau en sa possession était l’arme du crime.

En ce qui a trait à la dernière catégorie, le tribunal indique tout d’abord que   ‘’In law, silence in the face of accusatory statements made by others, or an equivocal or evasive denial of responsibility in the face of such accusations, may constitute an adoptive admission of guilt where circumstances give rise to a reasonable expectation of reply and unequivocal denial’’ (R. v. Gordon, 2022 ONCA 799, par. 49). Cependant, le tribunal conclut qu’en l’espèce, la réponse de l’accusé à la question « qu’est-ce qui est arrivé ?», suite à l’attaque est cohérente avec celle du témoin d’une attaque  qui ne peut donner de détails quant à ce qui est arrivé parce que c’est arrivé trop vite.

Suivant cette analyse, le tribunal indique qu’il ne peut inférer de la totalité de la preuve que la seule conclusion raisonnable est que l’accusé a poignardé la victime. Il a des doutes raisonnables et doit donc l’acquitter.

Assujettissement rejeté pour un adolescent coupable de meurtre prémédité; il écope tout de même de la peine spécifique maximale

Dans une décision motivée de 26 pages, le Juge Perreault rejette la demande d’assujettissement de la poursuite dans le contexte d’un meurtre prémédité.  

Rappelons que l’adolescent en cause a plaidé coupable à une accusation de meurtre au premier degré, punissable d’une peine spécifique maximale de 10 ans dont un maximum de 6 ans de garde (article 42q)i) de la LSJPA). La peine pour une adulte est beaucoup plus lourde : 25 ans. L’enjeu était donc de taille.

L’adolescent, 16 ans au moment des faits, avait commis le meurtre de son beau-père avec l’aide de trois complices adultes, dans le but de voler 2700$ à sa mère. Or, la mère était absente au moment des événements et les complices n’ont jamais trouvé l’argent. Le beau-père a été attiré puis essentiellement battu à mort, au domicile.  

La poursuite demandait un assujettissement à une peine pour adulte, invoquant que la présomption de culpabilité moindre était renversée et que la peine spécifique ne serait pas suffisante pour faire répondre l’adolescent de ses actes.

Le juge rappelle d’abord qu’en matière d’assujettissement, le fardeau de la preuve repose sur la poursuite en tout temps.

Quant à l’exercice qui lui incombe, le juge affirme :

« les deux éléments prévus à l’article 72(1) doivent faire l’objet d’une analyse minutieuse effectuée en deux temps. Si le ministère public ne convainc pas le Tribunal que la présomption de culpabilité morale moindre est renversée, la question de la durée suffisante de la peine ne se pose pas et une peine spécifique doit être imposée. Toutefois, il appert et il est logique que certains facteurs nécessaires à l’analyse sur le premier élément puissent être pertinents sur le deuxième élément. Ainsi, la preuve deux critères se fait simultanément. »

Le juge rappelle aussi que le principe de culpabilité morale moindre a été élevé au rang de principe de justice fondamentale. Lors de l’analyse de ce premier élément, parmi les critères à analyser se retrouvent notamment : la gravité de l’infraction, les circonstances de sa perpétration, l’âge de l’adolescent au moment du crime, sa maturité, sa personnalité, ses antécédents et ses condamnations antérieures.

Après avoir entendu notamment une psychologue, un psychiatre, une délégué-jeunesse, le juge retient entre autres :

  • Une histoire de vie difficile (consommation de ses parents, absence du père, placement en famille d’accueil);
  • De la consommation de drogues, des problèmes de santé mentale, un TDAH au moment des faits;
  • Caractère influençable, grande immaturité, et désir fort d’appartenir à un groupe;
  • Aucun antécédent ni sanction extrajudiciaires avant les événements ;
  • Un risque très faible de récidive;
  • Des progrès importants depuis son placement sous garde, et une bonne capacité de réadaptation;

A noter qu’autant la délégué jeunesse que le psychiatre étaient d’avis que la durée de la peine spécifique était suffisante pour faire répondre l’adolescent de ses actes.

Le juge conclut que la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de renverser la présomption. Le premier critère n’étant pas rempli, il doit donc se demander quelle est la peine spécifique la plus appropriée, la peine maximale spécifique pour meurtre prémédité étant 10 ans dont 6 de garde.

Sur cet aspect, le juge impose la peine spécifique maximale sans tergiversation : « la gravité, les circonstances du crime et ses impacts sur les personnes affectées par ce crime militent pour l’imposition de la peine maximale de dix ans. Le processus de réhabilitation de l’adolescent milite aussi pour la durée maximale de peine. »

Le juge rappelle également qu’il doit tenir compte du temps passé en détention provisoire (ici, environ 37 mois), mais qu’il bénéficie d’une large discrétion se faisant. A part pour 2 mois où l’adolescent a fait du surplace au niveau de sa réadaptation, le juge souligne les grands progrès et le comportement exemplaire du jeune en centre ; il déduit donc 3 ans du total de 6 ans de garde fermée.

Vu la nature du crime, cette décision avait fait l’objet de l’attention des médias locaux.

La décision en version intégrale est disponible ici.

Assujettissement confirmé par la Cour d’appel de l’Ontario

Le 24 mai 2023, la Cour d’appel de l’Ontario était appelée à se prononcer sur la justesse d’un jugement de première instance imposant à un adolescent une peine applicable aux adultes.

Il s’agit d’une histoire particulièrement sordide où plusieurs adolescents ont participé au meurtre d’un autre adolescent tué par balle, à bout portant, « execution-style », comme le nomme la Cour d’appel. Ainsi, l’appelant s’est vu imposer une peine applicable aux adultes, soit l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans.

À noter, la décision de première instance remonte à juin 2014 et les faits de l’affaire, à novembre 2010.

Parallèlement, les deux co-accusés, s’étant fait initialement imposer la même peine que l’appelant, ont, en 2017, obtenu de la Cour d’appel une nouvelle sentence, cette fois en vertu de la LSJPA, puisque le juge de première instance s’était mal dirigé en droit (voir article publié par Me Bruno Des Lauriers en février 2017, ici). L’appelant n’a pas eu le bénéfice de cette nouvelle sentence puisqu’elle concernait l’applicabilité du programme intensif de réadaptation auquel l’appelant n’était pas admissible.

Qu’en est-il concernant l’appelant? Rappelons que ce dernier est celui qui a tiré le coup de fusil ayant mis fin aux jours la victime.

L’un des motifs soulevés par l’appelant à l’encontre de la décision de première instance concerne le défaut pour le juge d’avoir adéquatement considéré la présomption de culpabilité morale moins élevée, pierre angulaire de la LSPJA et codifiée à l’article 3 (1) b).

La Cour d’appel conclut que le juge de première instance a effectivement fait défaut de considérer la notion de culpabilité morale moins élevée. À l’époque, l’article 72 (1) LSJPA ne prévoyait pas que le tribunal devait spécifiquement considérer que la présomption de culpabilité morale moins élevée était renversée par la Poursuite pour ordonner l’assujettissement, comme c’est le cas depuis les amendements législatifs de 2012. Par contre, dès 2008, la Cour suprême élevait au rang de principe de justice fondamentale la présomption de culpabilité morale moins élevée. Bien que les amendements de 2012 n’étaient pas en vigueur au moment de l’infraction, ils l’étaient au moment où le juge de première instance a rendu sa décision et ainsi, conjointement avec la décision de la Cour suprême de 2008, imposaient au juge de considérer la présomption de culpabilité morale moins élevée dans son analyse :

« [39]      The youth court judge’s reasoning for sentencing SB to an adult sentence does not mention the Presumption. As this court noted in R. v. W.(M.), at para. 83, the silence on this issue is concerning. The Crown submits that the youth court judge must be presumed to know the law. More specifically, the Crown argues that embedded in the youth court judge’s assessment of SB’s maturity is the finding that the Presumption was rebutted. I do not agree. The Presumption is not merely a common law requirement for youth sentencing; it is a principle of fundamental justice. The constitutionality of the adult sentencing regime under the YCJA relies on the proper consideration and application of the Presumption to cases such as SB’s. Given the importance of this principle, it was incumbent on the youth court judge to identify and discuss the Presumption in his reasons. I cannot take his silence to mean that he did. This is an error in principle which justifies intervention by this court ».

Ceci étant, un nouvel examen des principes applicables à la détermination de la peine sous la LSJPA mène la Cour d’appel à la même conclusion que le juge de première instance quant à la peine applicable. Ainsi, la peine est confirmée et l’appel est rejeté.

Pour lire la décision, c’est ici.

9 ans pour un meurtre

Récemment, dans un dossier de meurtre médiatisé dont nous avions discuté ici il y a plusieurs mois, La Presse rapporte que l’adolescent vient d’écoper de sa peine.

Rappelons que l’adolescent a plaidé coupable à un chef de meurtre pour un événement survenu en septembre 2021.

Rappel des faits retenus par la Juge

Le soir du 7 septembre 2021, l’adolescent se rend armé d’une machette dans une résidence pour rejoindre des gens. Il dépose l’arme sur le sofa à son arrivée et n’y retouchera plus. Un conflit éclate entre la victime et une autre personne. L’adolescent s’insère dans l’empoignade et blesse la victime en lui lançant un verre de bière sur la tête. Le conflit se poursuit dans la cuisine entre la victime et une autre personne. L’adolescent reste dans le salon et n’est donc pas témoin de la scène. Quand la victime revient au salon, il saigne abondamment. Il restera assis par terre pendant au moins une heure. La victime tente une première fois de s’enfuir en courant dans les escaliers. L’adolescent de 17 ans la rattrape toutefois et lui donne une raclée. L’adolescent va même jusqu’à projeter la victime sur une porte-miroir. Il la traine alors à l’étage. La victime tente de nouveau de s’enfuir. C’est lors de cette seconde tentative qu’elle sera poignardé à plusieurs reprises dans le dos. L’adolescent, toujours dans le salon, ne prend pas part à cette agression. L’adolescent participe ensuite au nettoyage de la scène de crime. Il enveloppe le corps de la victime dans plusieurs couches de tissu et le dépose dans un baril dans le garage. Ce n’est que trois jours plus tard que les policiers découvriront le corps à la suite d’une dénonciation.

Finalement, la Couronne et la défense ont présenté une suggestion commune, qui a été entérinée par Madame la Juge Lachance, à savoir une peine de 9 ans, divisée en 5 ans de placement en garde fermée suivi de 4 ans de mise en liberté sous conditions. Rappelons qu’en vertu de l’article 42(2)q)i LSJPA, la peine maximale pour meurtre est de 10 ans.

Pour lire la décision intégrale, voir ici.

Comment tenir compte de 688 jours passés en détention lors de l’imposition d’une peine?

Dans R. v. M.M., l’adolescent doit recevoir sa peine suite à un plaidoyer de culpabilité pour meurtre au deuxième degré de sa mère. Au moment des faits, il était âgé de 17 ans. Il est maintenant âgé de 19 ans. Malgré un avis d’intention de demande d’assujettissement à une peine pour adultes, les parties s’entendent pour suggérer au tribunal l’imposition d’une peine spécifique, soit une ordonnance de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation d’une durée de sept ans (peine maximale pour meurtre au deuxième degré). Quatre ans de placement sous garde puis trois ans de liberté sous condition attendent l’adolescent (42(2)(r)(iii) LSJPA).

Le litige entre les parties réside dans le crédit à accorder à l’adolescent suite à sa détention préventive, d’une durée de 688 jours. La défense soumet que l’adolescent mérite d’être crédité à un ratio 1 pour 1, donc de voir la portion de placement sous garde diminuée de 688 jours. La poursuite argumente plutôt que l’adolescent devrait recevoir un crédit d’une année, ce qui laisserait un placement sous garde de trois ans à purger.

La juge Forestell de la Cour supérieure de justice de l’Ontario doit trancher ce litige. Elle rappelle qu’il est bien établi en droit qu’elle a l’obligation de prendre en considération le temps passé en détention lors de l’imposition de la peine, mais que le traitement qu’elle en fait demeure discrétionnaire.

La juge Forestell retient de la preuve que l’adolescent a démontré pendant sa détention préventive qu’il est capable d’effectuer de réels progrès dans sa réadaptation. Il s’est engagé dans son traitement, sa thérapie et son éducation. Il a pris assidûment sa médication. Il a développé son empathie et a pris la responsabilité de ses actes. L’adolescent a clairement entamé son processus de réadaptation. La juge rappelle que l’imposition d’une peine spécifique est notamment possible en raison des efforts de l’adolescent.

La juge Forestell se base toutefois sur les rapports d’experts (une psychologue et une psychiatre) quant au pronostic concernant l’adolescent. Des incertitudes demeurent quant au diagnostic et au déroulement du traitement. La durée du traitement ne peut être déterminée avec certitude. Une chose est certaine, l’adolescent aura besoin d’un certain niveau de soutien à long terme. Pour ces raisons, la juge choisit d’accorder à l’adolescent un crédit d’une année pour le temps passé en détention.

En terminant, la juge rappelle que l’article 94 de la LSJPA prévoit la révision annuelle obligatoire de toute peine comportant plus d’une année de placement sous garde. À ce moment, le tribunal pour adolescents peut, compte tenu des besoins de l’adolescent et des intérêts de la société, accorder une mise en liberté anticipée. De plus, conformément à l’article 96 de la LSJPA, le directeur provincial peut recommander à tout moment au tribunal pour adolescents qu’un adolescent placé sous garde soit mis en liberté de façon anticipée.

Détention provisoire en centre correctionnel provincial pour adultes

Dans une décision récente, la juge Fannie Côtes de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, conclut que l’adolescent, désormais âgé de 19 ans, devra purger sa détention provisoire en centre correctionnel provincial pour adultes. Dans une affaire médiatisée, l’adolescent a été reconnu coupable du meurtre au second degré de sa mère. L’adolescent est en attente du prononcé de sa peine, étant l’objet d’une demande d’assujettissement à une peine pour adulte.

L’article 30(4) LSJPA prévoit que le tribunal pour adolescent peut autoriser le directeur provincial à ordonner que l’adolescent qui a atteint l’âge de 18 ans soit détenu dans un établissement correctionnel provincial pour adulte s’il estime que cette mesure est soit préférable pour l’adolescent ou bien dans l’intérêt public.

Pour la juge Côtes, une mesure préférable pour l’adolescent fait référence à une mesure qui vise à favoriser sa réadaptation et sa réinsertion sociale. Quant à l’intérêt public, il s’agit d’un critère de sécurité, visant la protection du public en général, ce qui inclut en l’espèce les autres jeunes hébergés et les membres du personnel de l’établissement.

Plusieurs éléments de dangerosité sont retenus en preuve par la juge. Mentionnons notamment :

  • L’adolescent est extrêmement explosif, en ce qu’il représente un potentiel de violence extrême, sans signe avant-coureur lorsqu’il vit une frustration;
  • L’adolescent présente des épisodes importants de désorganisation, d’agitation et d’agressivité lors des frustrations majeures;
  • L’adolescent est capable de préméditation dans ses agirs agressifs;
  • L’adolescent adopte des comportements problématiques qui perdurent depuis l’âge de 6 ans environ;
  • L’adolescent est instrumentalisé par d’autres jeunes, l’incitant à poser des gestes de violence à l’endroit du personnel et de jeunes hébergés;
  • L’adolescent tient récemment les propos suivants : « J’ai rien à perdre, j’ai déjà tué pis ça me dérange pas de recommencer »;
  • L’adolescent manifeste de l’intérêt et une fascination pour le morbide et a une propension vers la violence;

La juge retient également que le centre de réadaptation ne possède pas les effectifs, ni les ressources, ni les installations et pouvoirs nécessaires afin d’encadrer suffisamment l’adolescent et d’assurer la sécurité des autres jeunes, dont certains n’ont que 12 ou 13 ans.

Pour la juge, l’intérêt public commande de permettre une réadaptation optimale à la clientèle vulnérable que composent les jeunes hébergés en centre de réadaptation, ce qui s’avère incompatible avec l’hébergement de l’adolescent au sein du centre.

Finalement, la juge estime par ailleurs que dans un contexte où un plateau est atteint sur le plan de la réadaptation, comme c’est le cas de l’adolescent, un transfèrement dans un centre de détention pour adultes s’avère préférable pour l’adolescent, puisqu’à défaut, les accusations criminelles risquent de continuer de s’accumuler pour lui.

Garantie procédurale entourant une déclaration faite par un accusé mineur à un policier dans un contexte de procès pour meurtre

Hier s’est ouvert à Laval un rare procès pour meurtre impliquant des mineurs. En effet, la victime et l’accusé étaient âgés de 15 et 16 ans au moment des tragiques événements.

Rappel des faits. Le 1er janvier 2020, un jeune homme est retrouvé poignardé dans un parc du quartier Fabreville à Laval. Quelques minutes plus tard, l’accusé est interpellé par des policiers à quelques rues du lieu du crime, alors qu’il est armé d’un couteau. Il est alors amené au poste de police, où il sera longuement interrogé.

Au-delà du caractère exceptionnel d’un procès pour meurtre impliquant des mineurs, un enjeu procédural intéressant est soulevé par la défense. La défense s’objecte à l’admissibilité en preuve de déclarations faites par l’accusé aux policiers après son arrestation, alléguant notamment que les policiers ont omis d’informer adéquatement l’adolescent de ses droits.

En effet, rappelons que la LSJPA prévoit un régime particulier de garantie procédurale pour les adolescents, vu leur vulnérabilité plus grande. L’article 146 LSJPA prévoit que toute déclaration orale ou écrite faite par un adolescent à un agent au moment de son arrestation ou de sa détention n’est pas admissible en preuve, sauf si certaines conditions cumulatives sont réunies, à savoir :

a) la déclaration est volontaire ;

b) la personne à qui la déclaration a été faite a, avant de la recueillir, expliqué clairement à l’adolescent, en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension, qu’il n’est obligé de faire aucune déclaration, que toute déclaration faite par lui pourra servir de preuve dans les poursuites intentées contre lui, qu’il a le droit de consulter son avocat et ses père ou mère ou une tierce personne conformément à l’alinéa c), toute déclaration faite par lui doit l’être en présence de son avocat et de toute autre personne consultée conformément à l’alinéa c), le cas échéant, sauf s’il en décide autrement;

c) l’adolescent s’est vu donner, avant de faire la déclaration, la possibilité de consulter un avocat et ses parents ou un autre adulte idoine, et finalement,

d) l’adolescent s’est vu donner, dans le cas où il a consulté une personne conformément à l’alinéa c), la possibilité de faire sa déclaration en présence de cette personne.

Bref, la juge Perreault devra d’abord trancher cette question au courant des prochains jours, ce qui aura un impact certain sur la suite du procès.

L’assujettissement pour la pire fusillade de masse de l’histoire de Toronto

Dans R. v. Owusu, l’adolescent maintenant adulte loge un appel à l’encontre de la peine applicable aux adultes qu’il s’est vu imposer en décembre 2016 pour des accusations, notamment, de meurtre au second degré et tentative de meurtre.

Les infractions dont l’adolescent a été déclaré coupable sont liées à la pire fusillade de masse de l’histoire de Toronto, alors que l’adolescent, âgé de 17 ans, a ouvert le feu lors d’une fête où il n’était pas le bienvenu. Deux personnes sont mortes et plus d’une vingtaine ont été blessées, dont un enfant âgé de moins de deux ans.

L’argument principal en appel de l’adolescent est à l’effet que le juge de première instance aurait erré en imposant une peine applicable aux adultes parce qu’il comprenait mal l’ordonnance de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation (42(2)r) LSJPA) et a conclu qu’elle ne serait pas une peine efficace dans les circonstances. L’appelant appuie son argumentaire sur la décision R. v. M.W. que nous avons traitée en 2017.

Au moment de recevoir sa peine en 2016, l’adolescent était désormais âgé de 21 ans et allait donc devoir purger sa peine dans un établissement correctionnel pour adultes. Le juge de première instance a conclu qu’une peine spécifique en vertu de 42(2)r) LSJPA verrait son efficacité entravée parce que l’adolescent serait tenu de purger sa peine dans un établissement provincial pour adultes conformément à l’art. 89 de la LSJPA et perdrait le financement/la programmation lié à sa peine si une ordonnance l’obligeait à purger sa peine dans un pénitencier fédéral.

La Cour d’appel de l’Ontario conclut toutefois que l’appel de l’adolescent doit être rejeté. Elle ne voit aucune erreur méritant son intervention et identifie des différences importantes entre la situation de l’adolescent et celle traitée dans l’arrêt R. v. M.W. La cour conclut ainsi :

In summary, there is no basis to interfere with the sentencing judge’s conclusions that the Crown had rebutted the presumption of reduced moral culpability; that only an adult sentence would hold the appellant accountable for his role in the events that led to two murders and more than 20 people being injured; that only an adult sentence was commensurate with the damage that was done; and, that only an adult sentence would provide for the ongoing supervision of the appellant he found necessary.

La Cour d’appel de l’Ontario écarte ensuite les autres arguments secondaires de l’adolescent pour finalement rejeter son appel et confirmer la peine imposée en première instance.

« Le tribunal pour adolescents » lors d’une demande de mise en liberté provisoire d’un adolescent accusé de meurtre

Le 29 janvier 2021, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. T.J.M., tranchait la question suivante : le juge d’une cour supérieure de juridiction criminelle a-t-il compétence pour entendre et trancher la demande de mise en liberté provisoire d’un adolescent accusé d’une infraction énumérée à l’art. 469 du Code criminel, tel que le meurtre?

L’adolescent est accusé de meurtre et un avis d’assujettissement à une peine applicable aux adultes a été donné par le ministère public. L’adolescent a choisi d’être jugé par un juge de la cour supérieure sans jury, demandé la tenue d’une enquête préliminaire et sollicité sa mise en liberté provisoire à un juge de la Cour du Banc de la Reine d’Alberta.

En première instance, le juge de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (cour supérieure) avait conclu qu’il n’avait pas juridiction pour trancher la demande de mise en liberté provisoire de l’adolescent, jugeant que seul le tribunal pour adolescents désigné pour la province (Cour provinciale de l’Alberta) avait cette compétence. L’adolescent loge un pourvoi à la Cour suprême.

Le juge Brown, dans un arrêt unanime de la Cour suprême du Canada, accueille le pourvoi et mentionne notamment :

Après examen des dispositions pertinentes de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 (« LSJPA »), et du Code criminel, de même que pour les motifs qui suivent, je tire respectueusement la conclusion contraire : le juge d’une cour supérieure a compétence pour entendre et trancher une demande de mise en liberté provisoire présentée par un adolescent inculpé d’une infraction énumérée à l’art. 469 du Code criminel. De plus, cette compétence est détenue concurremment avec les juges du tribunal pour adolescents désigné pour la province.

Pour le juge Brown, une interprétation appropriée des articles 13 et 33 LSJPA permet de conclure que la juge de la cour supérieure, assimilé à un juge du tribunal pour adolescents, a compétence pour trancher une demande de mise en liberté provisoire d’un adolescent ayant choisi d’être jugé en cour supérieure, avec jury ou non. Il s’agit de plus d’une compétence concurrente avec le juge du tribunal pour adolescents établi par la province.

Le Parlement aurait cherché à instaurer une certaine souplesse qu’on ne retrouve pas dans le système de justice pénale pour adultes en vue d’atteindre les objectifs de la LSJPA. […] Cela a des répercussions particulièrement importantes sur les adolescents des régions rurales, y compris surtout les adolescents autochtones, qui bénéficieront d’un meilleur accès aux tribunaux pour adolescents désignés par la province qu’à une cour supérieure.

Appel d’un meurtre au deuxième degré et peine applicable aux adultes

Dans R. v. Joseph, l’adolescent loge un appel à l’encontre de son verdict et de sa peine. Il avait été reconnu coupable de meurtre au deuxième degré par un jury et le juge du procès avait imposé une peine applicable aux adultes suite au verdict.

Nous ne détaillerons pas ici l’ensemble des questions soulevées en appel, mais seulement certaines qui nous apparaissent revêtir une pertinence particulière pour un adolescent visé par la LSJPA.

La première erreur alléguée par l’appelant concerne la décision du juge du procès d’admettre en preuve une déclaration faite par celui-ci aux policiers quelques jours après le meurtre. À ce moment, l’accusé a participé à une entrevue avec les policiers d’une durée de 26 minutes, à leur demande, en se présentant au poste de police accompagné de sa mère. L’appelant argumente que les policiers ont fait défaut de respecter les exigences de l’article 146(2) LSJPA, concernant l’admissibilité des déclarations.

La Cour d’appel de l’Ontario rejette la prétention de l’appelant à l’effet que l’article 146(2) LSJPA s’appliquait dans les circonstances. Pour que cet article s’applique, il existe trois prérequis dans la loi : (a) l’adolescent est en état d’arrestation, (b) l’adolescent est détenu ou (c) l’agent de la paix ou la personne en autorité a des motifs raisonnables de croire que l’adolescent a commis une infraction.

La Cour d’appel de l’Ontario confirme la décision du juge de première instance à l’effet qu’au moment de l’entrevue, les policiers n’avaient aucun motif raisonnable de croire que l’adolescent avait commis l’infraction. À ce moment, la seule information que possédaient les policiers était que l’appelant avait échangé plusieurs appels téléphoniques et messages texte avec la victime le jour de l’infraction. Pour la Cour, ceci est nettement insuffisant pour atteindre le critère des motifs raisonnables de croire. L’appelant n’était qu’une « personne d’intérêt » pour les policiers à ce moment.

Sur la question de la détention, l’appelant argumente qu’il fallait que le juge du procès analyse celle-ci sous l’angle des vulnérabilités uniques propres aux adolescents et qu’une analyse de la détention psychologique plus rigoureuse dans un contexte de LSJPA devait être effectuée. La Cour d’appel rejette cet argument, expliquant que la décision de déterminer si un accusé était détenu s’analyse de la même façon pour un adulte que pour un adolescent. D’ailleurs, le juge du procès avait correctement identifié le droit applicable et les enseignements de la Cour suprême du Canada en la matière, qui prévoit déjà que l’âge de l’accusé soit pris en considération.

Après avoir analysé tous les motifs d’appel soulevés par l’adolescent appelant, la Cour d’appel de l’Ontario rejette l’appel.