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L’accès au dossier des tribunaux par les médias sous la LSJPA

Au mois de janvier 2023, la Cour de justice de l’Ontario fut appelée à se pencher sur une demande d’accès aux dossiers du tribunal de huit adolescentes en vertu de l’article 119 de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSPJA).

Cette cause hautement médiatisée concerne huit adolescentes âgées entre 13 à 16 ans accusées de meurtre au second degré pour avoir agressé et poignardé un sans-abri le 18 décembre 2022.

La demande d’accès déposée conjointement par plusieurs médias canadiens et américains a pour objectif d’accéder aux dossiers des accusées afin de pouvoir informer adéquatement le public des procédures en cours en vertu du principe de la publicité des débats judiciaires.

Dans sa décision, la cour rappelle tout d’abord que les médias demandeurs se qualifient comme « toute autre personne » en vertu de l’article 119 (1) (s) de la LSJPA, mais que la décision à prendre vise plutôt à déterminer « s’il est dans l’intérêt de la bonne administration de la justice » de leur accorder un tel accès (119 (1)(s)(ii)).

La cour explique que dans les demandes d’accès à un dossier du tribunal pour adolescent, les principes établis par la Cour Suprême en matière d’accès aux dossiers de cour doivent être considérés à travers le prisme de la législation applicable en matière de justice pénale pour mineurs. Ainsi, l’interdiction d’accéder au dossier tenu en vertu d’un tribunal pour adolescent n’est pas seulement basée sur la discrétion judiciaire du tribunal, mais plutôt sur le cadre législatif établi à la partie 6 de la LSJPA.

La cour précise que les médias ne faisant pas partie des catégories de personnes énumérées à l’article 119 (1) LSJPA comme étant présumées à avoir accès à de tels dossiers, le fardeau de preuve repose donc sur les demandeurs.

La juge O’Connell rejette finalement la demande des médias. Bien qu’elle reconnaisse l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires pour la démocratie canadienne, elle juge que d’accorder un accès illimité au dossier de cour des adolescentes engendre un risque trop élevé de diffusion involontaire ou accidentelle d’informations confidentielles. Elle juge ce risque comme étant élevé et non spéculatif considérant la vitesse à laquelle l’information circule à l’ère numérique. Elle précise que les dommages causés par une telle erreur seraient irréversibles et pourraient causer un tort irréparable tant au droit à la vie privée des accusées qu’à leur droit à un procès impartial.

La cour accorde cependant le droit aux demandeurs d’avoir accès aux dates d’audition à venir afin de préserver la confidentialité de l’identité des accusées tout en permettant aux médias d’informer le public sur l’affaire.

Pour un accès à la décision intégrale, cliquez ici.

Canadian Broadcasting Corporation v. Ontario, 2023 ONCJ 32.

Les dossiers d’adolescents tenus par un corps de police pour lesquels aucune accusation n’a été portée

Le 7 septembre dernier, nous publiions un article au sujet de la décision LSJPA – 2115 par l’honorable Mélanie Roy de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse. La juge concluait que les dossiers constitués par un corps policier concernant un adolescent pour lequel aucune accusation n’avait été portée n’étaient ni accessibles ni communicables.

Une autre décision récente sur le même sujet vient d’être rendue au Manitoba. Il s’agit de la décision M.G. v. The Director of Child and Family Services. Dans cette décision, le juge Rolston adopte également l’interprétation restrictive de la LSJPA à l’effet que puisque la situation d’adolescents pour lesquels aucune accusation n’a été portée n’est pas prévue à l’article 119 LSJPA, aucune divulgation ou communication des dossiers constitués à leur sujet ne soit possible. Dans cette décision, il s’agissait également de dossiers constitués par un corps de police.

Le juge Rolston conclut également qu’une divulgation n’est pas possible en vertu de l’article 123 LSJPA et ce, à l’instar de la juge Mélanie Roy.

Est-ce que les dossiers d’adolescents pour lesquels des accusations ne sont pas portées sont accessibles et communicables?

Dans LSJPA – 2115, la juge Mélanie Roy de la Cour du Québec doit répondre à la question en titre. En effet, dans le cadre d’un affidavit au soutien d’un mandat de perquisition, il est fait mention que l’adolescent est suspect dans deux dossiers non reliés. Toutefois, le DPCP a refusé de porter des accusations contre l’adolescent dans ces dossiers.

C’est dans ce contexte que la question de savoir si les renseignements contenus aux dossiers constitués par les corps policiers (115 LSJPA) peuvent être accessibles et communiqués lorsqu’aucune accusation n’a été portée contre l’adolescent. L’article 119 LSJPA prévoyant les périodes d’accès aux dossiers étant muet quant à ce cas de figure.

Dans un premier temps, la juge Roy rappelle que :

[26] Le principe général établit qu’il est interdit de donner accès au dossier d’un adolescent ou de communiquer des renseignements sauf si des dispositions expresses le permettent. Les délais d’accès ne sont pas des délais de destruction, mais de non-communication. L’on vise donc l’accès et la communication.

La juge Roy fait ensuite le constat que la question de l’accessibilité et la communication possible de ce type précis de dossier fait l’objet d’un débat jurisprudentiel au Canada pour lequel il n’y a pas consensus de la part des tribunaux spécialisés en matière de justice pénale pour les adolescents. Un premier courant soutient que puisque ces dossiers ne sont pas prévus dans les règles d’accès de l’article 119 LSJPA, ils sont accessibles et communicables. Certains juges utilisent toutefois le test de l’article 123 LSJPA qui prévoit un accès en dehors de la période visée à 119 LSJPA. Selon un autre courant, les dossiers où les accusations ne sont pas portées, non visées par ces durées spécifiques d’accès, ne devraient pas être accessibles et communicables.

Pour la juge Roy, il est illogique de penser que l’on puisse donner une plus grande accessibilité aux dossiers d’adolescents n’ayant pas fait l’objet d’accusations que ceux ayant fait l’objet d’une sanction extrajudiciaire.

La juge Roy conclut donc ainsi :

[59] Par ailleurs, l’article 119 étant muet quant à ce type de dossier et ne pouvant créer le droit, le Tribunal est d’avis, comme ses collègues Downes, Caponecchia, De Filippis and Keelaghan, qu’en l’absence d’une mention claire à la LSJPA, l’on doit favoriser une interprétation stricte concernant la protection de la vie privée des adolescents en concluant à l’absence d’accessibilité de ce type de dossier.

[60] Aussi, le Tribunal partage l’opinion du juge Caponecchia selon laquelle l’article 123 n’est pas applicable dans les circonstances […]

Une absolution pour éviter que le dossier juvénile ne soit traité comme s’il était un dossier d’adulte

Dans R. v. M.M., une jeune adulte doit recevoir sa peine pour une infraction de vol de moins de 5000$ et pour défaut de se conformer à une peine spécifique (art. 137 LSJPA). Suite à ses plaidoyers de culpabilité, elle demande au tribunal l’imposition d’une absolution conditionnelle.

M.M. a des antécédents non négligeables sous la LSJPA. Si le tribunal devait inscrire une condamnation pour le vol et le défaut de se conformer à une peine spécifique, ces antécédents seraient réputés être des condamnations pour l’application de la Loi sur le casier judiciaire. Toutefois, une absolution conditionnelle en vertu de l’article 730 du Code criminel n’aurait pas cet effet.

L’article 119(9) LSJPA prévoit également que si, au cours de la période d’accès de certains dossiers, l’adolescent devenu adulte est déclaré coupable d’une infraction, les dossiers juvéniles sont alors traités comme des dossiers adultes. Bref, une récidive pendant la période d’accès, pour un jeune adulte, présente une conséquence importante.

La juge Wheeler de la Cour de justice de l’Ontario doit donc analyser si l’imposition d’une absolution conditionnelle respecterait l’intérêt véritable de M.M. sans nuire à l’intérêt public au sens de l’article 730 C.cr. Après analyse, la juge accepte l’argument de la défense, basé sur l’optimisme que M.M. deviendra une personne de bonne moralité et une adulte contribuant positivement à la société. Une condamnation alourdirait cet objectif si les protections prévues à la partie 6 de la LSJPA étaient supprimées et que les antécédents de M.M. devenaient un casier judiciaire pour adultes suite à deux infractions relativement mineures commises peu après son 18e anniversaire.

La juge Wheeler arrive à la conclusion qu’il n’est pas nécessaire d’inscrire des condamnations pour dissuader M.M. de s’adonner à d’autres activités criminelles. L’imposition d’une absolution, espère la juge, enverra un message à M.M. qu’il existe une raison de continuer à déployer des efforts vers une vie plus productive.

Finalement, la juge Wheeler conclut que condamner M.M. aurait un impact négatif bien plus grand que la gravité des infractions commises (vol d’une valeur de 122$). Pour la juge, il en va dans l’intérêt du public que M.M. se voit donner l’occasion d’avoir un nouveau départ. Il y a un intérêt public à long terme à ce que M.M. puisse changer ses habitudes et réussir sa transition vers une vie adulte constructive.

La juge impose donc à M.M. une absolution, conditionnelle au respect de diverses conditions de probation pour une durée de douze (12) mois.

Contre-interroger un témoin sur ses antécédents juvéniles

Dans la décision R. v. Hammerstrom, monsieur Hammerstrom porte en appel ses déclarations de culpabilité en lien avec diverses infractions impliquant des armes à feu. En première instance, l’appelant souhaitait contre-interroger un témoin de la poursuite sur ses antécédents juvéniles sans avoir initialement obtenu l’autorisation d’accéder aux dossiers de celui-ci conformément à la partie 6 de la LSJPA. Le juge de première instance avait statué que le témoin ne pouvait être contre-interrogé sur ses antécédents juvéniles, malgré l’article 12 de la Loi sur la preuve du Canada.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique, pour les motifs du juge en chef Bauman, rejette l’appel et confirme que l’appelant ne pouvait utiliser les antécédents juvéniles du témoin en contre-interrogatoire sans sans se conformer aux dispositions législatives régissant l’accès à ces dossiers.

Pour arriver à cette conclusion, la Cour doit démêler et interpréter certaines dispositions législatives, dont l’article 82 LSJPA, la partie 6 de cette même loi et l’article 12 de la Loi sur la preuve du Canada, qui permet de contre-interroger un témoin sur ses condamnations antérieures.

Dans la situation factuelle sous étude, la période d’accès prévue à l’article 119(2) LSJPA des dossiers juvéniles du témoin était expirée. L’appelant ne pouvait donc pas se prévaloir de son droit d’accéder aux dossiers en vertu de l’article 119(1)q) LSJPA. C’est donc l’article 123 LSJPA qui doit s’appliquer dans une telle situation.

Pour la Cour, bien que l’article 82 LSJPA fasse expressément référence à l’article 12 de la Loi sur la preuve du Canada, il faut interpréter ces différentes dispositions comme permettant l’utilisation des antécédents juvéniles à des fins de contre-interrogatoire, mais uniquement après s’être conformé à la partie 6 de la LSJPA. La Cour mentionne plus précisément :

[56] In my view, the contest here simply comes down to choosing an interpretation of the provisions in play “harmoniously with the scheme of the Act, the object of the Act, and the intention of Parliament”: Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (SCC), [1998] 1 S.C.R. 27 at para. 21. Here, that means recognizing that s. 82(1) does not eradicate youth court convictions for the purposes of s. 12 of the CEA, but before use of that record may be made, resort must be had to the restrictions, prohibitions and processes governing access to and use of those records set out in Part 6 of the YCJA. That in no way renders the opening words of s. 82(1) “subject to s. 12 … of the Canada Evidence Act…” superfluous; it simply places certain further requirements on the exercise of that s. 12 right. […] And as was noted in Sheik-Qasim, one of the principles of the YCJA is that the privacy rights of young persons are protected so as to protect them from stigmatization and encourage their rehabilitation. It would be inconsistent with the language, structure, and purpose of the YCJA to find that the provisions governing use of records are completely divorced from the provisions governing access to those records. There would be no protection of a young person’s privacy if an accused could use the records without restriction. It would also circumvent the procedure in s. 123 which generally requires that notice be given to the young person whose records are being sought.

Appel d’un appel d’une décision refusant l’accès au dossier d’un adolescent

Cet article fait suite à un article publié sur notre Blogue le 5 octobre 2016 qui analysait la décision Chief of Police v. Mignardi. Cette décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario renversait en appel une décision de la Cour de justice de l’Ontario qui avait refusé l’accès aux dossiers d’un adolescent en vertu des articles 119 et 123 LSJPA.

Dans la décision Toronto (Police Service) v. L.D., la Cour d’appel d’Ontario siège en appel de la décision du juge Morgan de la Cour supérieure de l’Ontario dans cette affaire. Elle soulève une question préliminaire d’importance : à savoir si le juge Morgan avait la juridiction de siéger en appel de la décision de la Cour de justice de l’Ontario, agissant comme tribunal pour adolescents.

Les procureurs argumentaient à ce moment que la Cour supérieure de justice avait juridiction en appel en vertu de l’article 40(1) du Courts of Justice Act (CJA), qui prévoit que si aucune disposition législative n’est prévue pour un appel d’une décision de la Cour de justice de l’Ontario, l’appel est de juridiction de la Cour supérieure de justice.

À la lumière de la décision R. v. Parker de la Cour d’appel de l’Ontario, le service de police de Toronto concède que son appel basé sur l’article 40(1) CJA était mal fondé en droit. La Cour d’appel dans l’arrêt Parker avait statué qu’une loi provinciale comme le CJA ne pouvait pas donner de droit d’appel dans une matière de juridiction fédérale. Conséquemment, dans la présente affaire, la Cour d’appel conclut que la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents est une loi fédérale au sens de l’article 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce constat s’applique aux dispositions en lien avec l’accès aux dossiers des adolescents. La Cour d’appel arrive donc à la conclusion que l’article 40(1) du CJA ne peut créer un droit d’appel d’une décision rendue en vertu de la LSJPA.

La Cour d’appel de l’Ontario se questionne ensuite à savoir s’il existe une autre façon de résoudre l’appel en jeu. Elle mentionne le certiorari, qui donne le pouvoir à la Cour supérieure de justice de réviser une décision d’une cour inférieure, tel que vu dans l’arrêt Parker. La Cour d’appel statue également à l’effet qu’elle a le pouvoir de régler l’appel comme si la décision de la Cour supérieure de justice qu’elle examine en était une rendue en vertu d’une requête en certiorari.

Toutefois, pour les motifs du juge MacPherson, la Cour décline de statuer ainsi sur l’appel. La Cour mentionne une différence importante avec l’arrêt Parker : dans Parker, le juge avait rejeté l’appel, alors que dans la présente affaire, le juge Morgan a fait droit à l’appel. En conséquence, comme le juge Morgan ne traite aucunement dans ses motifs des critères à analyser en matière de certiorari, la Cour d’appel ne peut pas correctement analyser sa décision afin de déterminer s’il a erré en droit.

La Cour d’appel de l’Ontario décide donc de ne pas rendre de décision sur l’appel de la décision du juge Morgan, mais comme elle ne peut permettre que cette décision demeure vu l’absence de juridiction, décide de la mettre de côté.

Accès au dossier d’un adolescent à des fins de défense pleine et entière

Dans R. v. Z.H., le procureur de l’adolescent présente une demande d’accès au dossier d’un adolescent, D.C., en conformité avec l’article 119(1)q) LSJPA. Z.H. fait face à une accusation de meurtre au premier degré, pour laquelle il était initialement co-accusé avec D.C. Ce dernier a plaidé coupable à une accusation d’homicide involontaire coupable et a reçu sa peine. Dans le cadre de l’audience sur la peine de D.C., un rapport prédécisionnel et un rapport d’évaluation psychologique ont été produits au dossier de la cour, conformément aux articles 40 et 34 de la LSJPA. Z.H. souhaite avoir accès à ses rapports. En effet, il est l’intention du ministère public d’appeler comme témoin D.C. dans le cadre du procès de Z.H. et il est clair que cette preuve est importante.

Le procureur de l’adolescent, conformément à l’article 119(1)q), a déposé une affirmation solennelle en soutien à sa demande d’accès, faisant état de la nécessité d’un tel accès afin que son client puisse bénéficier d’une défense pleine et entière. Le ministère public consent à la transmission partielle des rapports. Il argumente que seuls les passages concernant les déclarations de D.C. en lien avec l’infraction elle-même doivent être divulgués.

Le juge Konyer de la Cour de justice d’Ontario fait le constat dans son analyse qu’il existe deux régimes d’accès aux dossiers, l’article 119 et l’article 123 LSJPA. Il fait le constat que l’article 123 LSJPA donne au tribunal pour adolescents un pouvoir discrétionnaire quant à une demande d’accès faite postérieurement à l’expiration des délais. D’un autre côté, le juge fait le constat que la période d’accès au dossier de D.C. n’est pas expirée. Le juge considère qu’il ne jouit pas d’une discrétion pour autoriser l’accès au dossier conformément à l’article 119(1)q) LSJPA. L’article 119(6) LSJPA vise spécifiquement l’accès à un rapport d’évaluation psychologique préparé en vertu de l’article 34 LSJPA. Le juge conclut que pendant la période d’accès, l’accès au dossier est obligatoire plutôt que discrétionnaire, sans précisions quant à l’étendue d’un tel accès.

Le juge poursuit son analyse avec la lecture de l’article 119(7) LSJPA qui prévoit que l’accès au dossier dans un but de présenter une défense pleine et entière n’a pas pour effet d’autoriser la production en preuve des pièces d’un dossier qui, par ailleurs, ne seraient pas admissibles en preuve. Le juge en conclut que le législateur a prévu que le demandeur recevrait l’entièreté du dossier, incluant des informations non admissibles en preuve. Pour le juge, il est clair que le législateur a pris soin de balancer l’intérêt des adolescents à leur vie privé, et l’intérêt de ceux qui nécessitent l’accès au dossier pour des raisons bien spécifiques, comme le droit à une défense pleine et entière.

À la lumière de ces dispositions, le juge Konyer autorise l’accès complet au dossier de D.C., compte tenu de sa pertinence dans le procès de Z.H.

Accès au dossier, certiorari et procès juste et équitable

Dans R. v. Evans, l’accusé est d’âge adulte et doit recevoir une peine en lien avec des déclarations de culpabilité de trafic humain, voies de fait, harcèlement, possession en vue d’en faire le trafic de cannabis et de cocaïne et de diverses infractions liées aux armes à feu. L’accusé possède des antécédents comme adolescent et le ministère public souhaite en faire la preuve comme facteur aggravant au niveau de la peine. La période d’accès prévue à l’article 119 LSJPA est expirée. Il s’agit donc d’un cas où c’est l’article 123 LSJPA qui doit être appliqué.

Le ministère public, conformément à l’article 123 LSJPA, s’est vu autoriser l’accès aux dossiers juvéniles de l’accusé aux fins de l’audience sur sa peine comme adulte. L’accusé présente alors une requête à la Cour supérieure de justice de l’Ontario en prohibition et certiorari, afin de prévenir l’accès et l’utilisation de ses dossiers juvéniles. Subsidiairement, il demande à la cour d’exclure de la preuve ses dossiers juvéniles pour la raison que cela pourrait compromettre son droit à un procès juste et équitable.

Le juge Boswell statue rapidement qu’il ne s’agit pas d’un cas où la prohibition peut s’appliquer, puisque l’ordonnance attaquée est déjà rendue et qu’il n’y a plus rien à empêcher. Se penchant ensuite sur la nature du certiorari et son rôle en droit canadien, le juge constate que ce remède n’est pas non plus applicable. En effet, le certiorari est une révision judiciaire d’une décision d’un tribunal inférieur. Une telle révision ne sera généralement possible que lorsque le tribunal inférieur a excédé sa juridiction, a enfreint les règles de justice naturelle ou a commis une fraude ou de la collusion. Pour le juge Boswell, le tribunal inférieur (en l’espèce, un tribunal pour adolescents) avait la juridiction pour rendre une ordonnance d’accès aux dossiers en vertu de l’article 123 LSJPA. La demande de l’accusé relève davantage de l’appel de cette décision.

Le juge Boswell analyse ensuite l’argument de l’accusé comme quoi l’exclusion de la preuve de ses dossiers juvéniles est nécessaire pour préserver son droit à un procès équitable. L’accusé plaide l’intrusion dans sa vie privée et sa dignité. Le ministère public argumente que la vie privée de l’accusé doit céder le pas à l’intérêt de la société à la sécurité du public.

Le juge Boswell note les éléments suivants dans son analyse. Tout d’abord, le droit à un procès équitable est un droit à un procès qui est fondamentalement équitable, et n’a pas à être un modèle de perfection. Ensuite, le juge retient également que les principes de la LSJPA promeuvent la réadaptation, la réhabilitation et la protection de la vie privée des adolescents. Finalement, le juge va jusqu’à souligner qu’il existe une dimension constitutionnelle au droit à la vie privée d’un adolescent. Toutefois, comme tous les droits, le droit à la vie privée n’est pas un droit absolu.

En l’espèce, le droit à la vie privée est un aspect de justice fondamentale. L’intérêt de la société à l’égard de la recherche de la vérité l’est également, ce qui favorise généralement la mise à la disposition du juge des faits de toute la preuve pertinente. Il en va de même de l’intérêt de la société pour la sûreté et la sécurité. Le juge Boswell fait le constat que le juge du tribunal pour adolescents a correctement balancé ces différents intérêts. C’est à la lumière du sérieux des infractions que le juge a conclu que la priorité devait revenir à l’intérêt de la sécurité du public.

Les demandes de l’accusé sont donc rejetées.

Effet d’une récidive lorsqu’adulte pendant la période d’accès d’un dossier juvénile

Dans R. c. Gobeil, l’accusé maintenant adulte doit recevoir sa peine en matière de conduite avec facultés affaiblies. Comme le Code criminel prévoit des peines minimales en cas de récidive en cette matière, le juge Paul Dunnigan doit statuer sur la question de l’accès au dossier juvénile de l’accusé. En effet, celui-ci a été déclaré coupable en 2012 de conduite ou garde d’un véhicule avec les facultés affaiblies et pour défaut de fournir un échantillon d’haleine, alors qu’il était adolescent.

Le juge note dans un premier temps que l’accusé avait reçu en 2012 une peine spécifique selon l’article 42(2)d) LSJPA, soit une amende, pour les infractions précédemment mentionnées, ainsi qu’une ordonnance d’interdiction de conduire. Le juge fait donc le constat que la période d’accès à ces dossiers est limitée à trois ans à compter de l’exécution complète de la peine aux termes du paragraphe 119(2)g) LSJPA.

Ensuite, le juge rappelle qu’en juin 2013, l’accusé est absous inconditionnellement, soit pendant la période d’accès des dossiers de facultés affaiblies, et ce, pour une possession simple de drogue. L’accusé est désormais adulte à ce moment.

Normalement, une telle récidive en tant qu’adulte pendant la période d’accès prévue à 119(2)g) LSJPA aurait pour effet de mettre fin à l’application de la partie 6 de la LSJPA et les dossiers juvéniles en matière de facultés affaiblies seraient traités comme s’ils étaient des dossiers adultes, conformément à l’article 119(9)b) LSJPA.

Avant de refuser l’accès aux dossiers juvéniles, le juge mentionne toutefois :

[5] Suivant la version française du paragraphe 119 (9) b) LSJPA, parce qu’il a alors été déclaré coupable d’une infraction et indépendamment du fait qu’il est réputé ne pas avoir été condamné compte tenu des termes de l’article 730 du Code criminel, le dossier précité en Chambre de la jeunesse devrait être traité comme s’il s’agissait d’un dossier d’adulte et en conséquence, sans restriction d’accès.

[6] Cependant, lorsqu’on lit la version anglaise, il faut noter qu’il n’y a pas eu condamnation pour l’affaire de drogue parce que l’article 730 C.cr. précise tant en français qu’en anglais que le Tribunal peut, au lieu de condamner, ou en anglais «  instead of convicting », prescrire par ordonnance que l’accusé soit absous. Parce qu’il n’a pas été « condamné » pendant la période d’accès, le dossier jeunesse ne pourrait être traité comme un dossier d’adulte.

[9] Dans les circonstances, l’accusé doit bénéficier de l’interprétation qui lui est la plus favorable.  L’accès ne peut en conséquence être autorisé en vertu de l’article 119 LSJPA parce que le délai de trois ans à compter de l’exécution complète de la peine spécifique est échu depuis au moins sept mois en tenant pour acquis que l’accusé n’a payé l’amende imposée qu’à l’expiration du délai octroyé, la durée de l’interdiction ne devant pas être prise en considération, et ce, comme prévu au paragraphe 119 (3) LSJPA.

Finalement, le juge rejette l’argument subsidiaire de la poursuivante, qui souhaitait que le tribunal ordonne l’accès aux dossiers juvéniles de facultés affaiblies conformément à l’article 123(1)a) LSJPA, statuant qu’une telle ordonnance ne saurait être dans l’intérêt de la bonne administration de la justice.

Communication du dossier d’un adolescent dans le cadre d’une enquête disciplinaire à l’endroit d’un policier

Dans la décision Chief of Police v. Mignardi, le juge Morgan de la Cour supérieure de justice de l’Ontario siège en appel d’une décision ayant rejeté la demande de divulgation du dossier d’un adolescent. Une enquête disciplinaire était en cours contre le policier Mignardi, suite à des allégations d’abus subis aux mains du policier par l’adolescent L.D., alors qu’il était détenu.

Mignardi demandait d’avoir accès au dossier de l’adolescent L.D. (infractions, enquêtes, détentions, arrestations, déclarations de culpabilité et/ou poursuites) afin d’établir le contexte des accusations, déterminer et tester la crédibilité des allégations de l’adolescent. Le juge de première instance a rejeté cette demande en statuant que le principe de culpabilité morale réduite rendait le dossier de l’adolescent L.D. non pertinent à l’objectif visé.

Le juge Morgan établit les articles pertinents de la LSJPA pour statuer sur l’appel, soit les articles 119(1)(s) lorsque la période d’accès n’est pas expirée et l’article 123(1)a) lorsqu’elle est expirée. L’article 119(1)(s) nécessite une preuve « d’intérêt légitime » de la part du requérant et la preuve que la divulgation est faite dans « l’intérêt de la bonne administration de la justice ». Sous l’article 119(1)(s), le requérant doit prouver que la divulgation est souhaitable, alors que l’article 123(1)(a) est plus restrictif, en ce que le requérant doit prouver que la divulgation est nécessaire.

Tout en reconnaissant qu’une enquête disciplinaire ne constitue pas une procédure criminelle et que l’article 11 de la Charte canadienne ne s’applique donc pas, le juge Morgan explique qu’il s’agit tout de même d’un enjeu de défense pleine et entière. Empêcher l’accès au dossier minerait le droit du policier Mignardi à une défense pleine et entière, considérant son importance en contre-interrogatoire et en matière de crédibilité, ce qui irait à l’encontre de l’intérêt de la bonne administration de la justice.

Puisque l’adolescent L.D. a ici le statut d’un témoin ayant fait de sérieuses accusations et non le statut d’accusé, le juge Morgan explique qu’il est difficile de voir comment la politique de confidentialité basée sur le principe de culpabilité morale réduite peut avoir préséance sur le droit du policier à une équité procédurale. En tant que témoin accusant un autre individu, l’adolescent L.D. ne jouit pas d’une plus grande protection en raison de son statut d’adolescent que n’importe quel autre témoin en semblable situation.

Le juge Morgan souligne qu’une infraction criminelle commise par un adolescent peut être un indicateur de conduite répréhensible malgré le principe de culpabilité morale réduite contenu à la LSJPA. C’est donc pertinent quant à la fiabilité et à la crédibilité du témoin.

Le juge Morgan utilise une logique opposée à celle du juge de première instance. En effet, il conclut que le principe de culpabilité morale réduite n’exige pas la confidentialité lorsque l’adolescent est le plaignant plutôt que l’accusé. Il ajoute même que c’est précisément puisque les adolescents bénéficient de cette protection prévue à la LSJPA (en raison de leur impulsivité, leur manque de prévoyance, leur mauvaise compréhension des situations et leur capacité réduite de jugement moral) que leurs accusations doivent être testées par le biais d’un contre-interrogatoire.

Au final, le juge Morgan conclut que la divulgation doit être permise et ce, que ce soit en vertu de 119(1)(s) ou 123(1)(a) de la LSJPA.