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Application récente de l’article 31 LSJPA dans un contexte d’accusation de meurtre
Rappel des faits de cette affaire médiatisée. Jimmy Méthot, un homme dans la fin vingtaine a été retrouvé mort dans un garage de Lachine au début du mois de septembre 2021. Il s’agissait du 19ieme homicide sur le territoire du SPVM cette année.
En lien avec cet homicide, un adolescent est accusé de meurtre au premier degré et d’outrage à un cadavre. Une femme de 35 ans est également accusée.
Très récemment, le Juge Robert Hamel de la Cour du Québec a eu à décider si l’adolescent accusé pouvait être confié à une personne digne de confiance au sens de l’article 31 LSJPA.
En effet, rappelons que l’article 31 LSJPA dispose que le juge a une obligation particulière dans le contexte d’une détention provisoire d’un adolescent. L’article se lit ainsi:
31 (1) L’adolescent peut être confié aux soins d’une personne digne de confiance au lieu d’être placé sous garde si un juge du tribunal pour adolescents ou un juge de paix est convaincu que :
a) l’adolescent en état d’arrestation serait, en l’absence du présent paragraphe, placé sous garde en application de l’article 515 (mise en liberté provisoire par voie judiciaire) du Code criminel;
b) la personne en cause est désireuse et capable de s’occuper de l’adolescent et d’en assumer la garde;
c) l’adolescent consent à être confié aux soins de cette personne.
(2) Le juge du tribunal pour adolescents ou le juge de paix doit s’informer, avant de mettre l’adolescent sous garde, s’il existe une personne digne de confiance capable et désireuse de s’en occuper et si l’adolescent consent à être confié à ses soins.
(3) Le placement au titre du paragraphe (1) ne peut s’effectuer que si les conditions suivantes sont réunies :
a) la personne en cause s’engage par écrit à assumer les soins de l’adolescent, se porte garante de la comparution de celui-ci au tribunal lorsque celle-ci sera requise et s’engage à respecter toutes autres conditions que peut fixer le juge du tribunal pour adolescents ou le juge de paix;
b) l’adolescent s’engage par écrit à respecter cet arrangement et toutes autres conditions que peut fixer le juge du tribunal pour adolescents ou le juge de paix. (nos surlignements)
Cette affaire rappelle qu’il est possible de confier un adolescent à une personne digne de confiance, même dans le contexte d’une accusation de meurtre, et que l’obligation incombant au juge s’applique même si l’accusation est grave. Le recours à la détention doit être évitée, lorsque cela est possible.
Détention provisoire en centre correctionnel provincial pour adultes
Dans une décision récente, la juge Fannie Côtes de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, conclut que l’adolescent, désormais âgé de 19 ans, devra purger sa détention provisoire en centre correctionnel provincial pour adultes. Dans une affaire médiatisée, l’adolescent a été reconnu coupable du meurtre au second degré de sa mère. L’adolescent est en attente du prononcé de sa peine, étant l’objet d’une demande d’assujettissement à une peine pour adulte.
L’article 30(4) LSJPA prévoit que le tribunal pour adolescent peut autoriser le directeur provincial à ordonner que l’adolescent qui a atteint l’âge de 18 ans soit détenu dans un établissement correctionnel provincial pour adulte s’il estime que cette mesure est soit préférable pour l’adolescent ou bien dans l’intérêt public.
Pour la juge Côtes, une mesure préférable pour l’adolescent fait référence à une mesure qui vise à favoriser sa réadaptation et sa réinsertion sociale. Quant à l’intérêt public, il s’agit d’un critère de sécurité, visant la protection du public en général, ce qui inclut en l’espèce les autres jeunes hébergés et les membres du personnel de l’établissement.
Plusieurs éléments de dangerosité sont retenus en preuve par la juge. Mentionnons notamment :
- L’adolescent est extrêmement explosif, en ce qu’il représente un potentiel de violence extrême, sans signe avant-coureur lorsqu’il vit une frustration;
- L’adolescent présente des épisodes importants de désorganisation, d’agitation et d’agressivité lors des frustrations majeures;
- L’adolescent est capable de préméditation dans ses agirs agressifs;
- L’adolescent adopte des comportements problématiques qui perdurent depuis l’âge de 6 ans environ;
- L’adolescent est instrumentalisé par d’autres jeunes, l’incitant à poser des gestes de violence à l’endroit du personnel et de jeunes hébergés;
- L’adolescent tient récemment les propos suivants : « J’ai rien à perdre, j’ai déjà tué pis ça me dérange pas de recommencer »;
- L’adolescent manifeste de l’intérêt et une fascination pour le morbide et a une propension vers la violence;
La juge retient également que le centre de réadaptation ne possède pas les effectifs, ni les ressources, ni les installations et pouvoirs nécessaires afin d’encadrer suffisamment l’adolescent et d’assurer la sécurité des autres jeunes, dont certains n’ont que 12 ou 13 ans.
Pour la juge, l’intérêt public commande de permettre une réadaptation optimale à la clientèle vulnérable que composent les jeunes hébergés en centre de réadaptation, ce qui s’avère incompatible avec l’hébergement de l’adolescent au sein du centre.
Finalement, la juge estime par ailleurs que dans un contexte où un plateau est atteint sur le plan de la réadaptation, comme c’est le cas de l’adolescent, un transfèrement dans un centre de détention pour adultes s’avère préférable pour l’adolescent, puisqu’à défaut, les accusations criminelles risquent de continuer de s’accumuler pour lui.
Les infractions graves
L’article 29 de la LSJPA établit les conditions devant être réunies afin que le tribunal rende une ordonnance de garde provisoire d’un adolescent en attente de son procès. La première condition à analyser est « l’adolescent est accusé d’une infraction grave ou, si plusieurs accusations pèsent toujours contre lui ou qu’il a fait l’objet de plusieurs déclarations de culpabilité, d’une infraction autre qu’une infraction grave. »
Dans ce contexte, il est important de bien cerner de qui constitue une infraction grave. L’article 2 de la LSJPA définit l’infraction grave comme étant « tout acte criminel prévu par une loi fédérale et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans ou plus. » Il faut donc exclure toutes les infractions qui seront traitées par le poursuivant comme des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Nous avons mis à jour la liste des infractions graves se trouvant dans le manuel de référence. Il est important de noter que la liste qui suit n’est aucunement exhaustive.
Parmi les dispositions prévues au Code criminel, les infractions les plus fréquentes qui se qualifient comme étant des infractions graves sont notamment :
- usage d’explosifs (art. 81)
- infractions relatives à l’usage d’une arme à feu (art. 85)
- port d’arme dans un dessein dangereux (quand accusations par acte criminel – art. 88)
- possession non autorisée d’armes prohibées ou à autorisation restreinte (quand accusations par acte criminel – art. 91)
- contacts sexuels (quand accusations par acte criminel – art. 151)
- incitation à des contacts sexuels (quand accusations par acte criminel – art. 152)
- exploitation sexuelle (quand accusations par acte criminel – art. 153)
- inceste (art. 155)
- voyeurisme (quand accusations par acte criminel – art. 162)
- production de pornographie juvénile ou possession de pornographie juvénile ou accès à la pornographie juvénile (quand accusations par acte criminel – art. 163.1)
- lésions corporelles – décharger une arme à feu (art. 244)
- causer intentionnellement des lésions corporelles (art. 244.1)
- harcèlement criminel (quand accusations par acte criminel – art. 264)
- proférer des menaces de causer la mort (quand accusations par acte criminel – art. 254.1(2)a))
- voies de fait (quand accusations par acte criminel – art. 266)
- agression armée ou infliction de lésions corporelles (art. 267)
- voies de fait graves (art. 268)
- lésions corporelles (quand accusations par acte criminel – art. 269)
- voies de fait contre un agent de la paix (quand accusations par acte criminel – art. 270)
- agression armée ou infliction de lésions corporelles – agent de la paix (quand accusations par acte criminel – art. 270.01)
- agression sexuelle (quand accusations par acte criminel – art. 271)
- agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles (art. 272)
- agression sexuelle grave (art. 273)
- traite des personnes (art. 279.01) dont des personnes de moins de 18 ans (art. 279.011)
- proxénétisme (art. 286.3)
- conduite dangereuse d’un véhicule à moteur (quand accusations par acte criminel – art. 320.13(1))
- conduite dangereuse causant des lésions corporelles (quand accusations par acte criminel – art. 320.13(2))
- conduite dangereuse causant la mort (art. 320.13(3))
- conduite avec capacités affaiblies (quand accusations par acte criminel – art. 320.14(1))
- conduite avec capacités affaiblies causant des lésions corporelles (quand accusations par acte criminel – art. 320.14(2))
- conduite avec capacités affaiblies causant la mort (art. 320.14(3))
- omission de s’arrêter à la suite d’un accident (quand accusations par acte criminel – art. 320.16(1))
- omission de s’arrête à la suite d’un accident ayant entraîné des lésions corporelles (quand accusations par acte criminel – art. 320.16(2))
- omission de s’arrêter à la suite d’un accident ayant causé la mort (art. 320.16(3))
- fuite (quand accusations par acte criminel – art. 320.17)
- vol d’un véhicule à moteur (quand accusations par acte criminel – art. 333.1)
- vol de plus de 5000$ (quand accusations par acte criminel – art. 334a))
- vol de cartes de crédit (quand accusations par acte criminel – art. 342)
- vol qualifié (art. 344)
- extorsion (art. 346)
- introduction par effraction dans une maison d’habitation (art. 348)
- introduction par effraction à un endroit autre qu’une maison d’habitation (quand accusations par acte criminel – art. 348)
- possession d’outils de cambriolage (quand accusations par acte criminel – art. 351)
- recel – valeur de plus de 5000$ (quand accusations par acte criminel – art. 355a))
- fabrication de faux (quand accusations par acte criminel – art. 367)
- utilisation d’un faux (quand accusations par acte criminel – art. 368)
- fraude – valeur de plus de 5000$ (quand accusations par acte criminel – art. 380a))
- méfait qui cause un danger réel pour la vie des gens (art. 430)
- méfait de plus de 5000$ (quand accusations par acte criminel – art. 430)
- incendie criminelle (art. 433, 434 et 434.1)
- possession de matières incendiaires (quand accusations par acte criminel – art. 436.1)
- tuer ou blesser des animaux (quand accusations par acte criminel – 445)
- cruauté envers les animaux (quand accusations par acte criminel – 445.1)
- tentative ou complot en lien avec un acte criminel pour lequel un complice est passible à l’emprisonnement à perpétuité (art. 463 a))
- participation aux activités d’une organisation criminelle (art. 467.11)
Loi réglementant certaines drogues et autres substances
Parmi les dispositions prévues à cette loi fédérale, on retrouve parmi les infractions les plus fréquentes :
- la possession de substances prévues à l’annexe I (quand accusations par acte criminel – art. 4)
- le trafic de substances ou la possession en vue de trafic des substances prévues aux annexes I et II (art. 5)
- le trafic de substances ou la possession en vue de trafic des substances prévues aux annexes III et V (quand accusations par acte criminel – art. 5)
Loi sur le cannabis
Parmi les dispositions prévues à cette loi fédérale, on retrouve parmi les infractions les plus fréquentes :
- la distribution de cannabis ou la possession en vue de distribution (quand accusations par acte criminel – art. 9)
- la vente de cannabis (quand accusations par acte criminel – art. 10)
- avoir recours à l’assistance ou à la participation d’un jeune dans le cadre des infractions liées au cannabis (quand accusations par acte criminel – art.14)
La surreprésentation des adolescents autochtones dans les milieux de garde
Dans son article « The Misinformed Versus the Misunderstood » publié en 2019 et mis à jour en 2020, l’auteur Isaac Heo explore l’impact de la LSJPA sur le taux d’incarcération des adolescents et particulièrement le taux d’incarcération des adolescents autochtones. On se souviendra que la LSJPA est venue remplacer la LJC dans un contexte où l’objectif express était de réduire le recours à l’incarcération des adolescents pour les crimes non violents et ainsi que de favoriser la déjudiciarisation.
L’auteur s’appuie sur des études démontrant que la LSJPA a effectivement réussi à réduire le recours à l’incarcération chez les adolescents, donc la loi est considérée un succès à ce titre. Cependant, il soulève les difficultés suivantes relatives aux adolescents autochtones:
- Les adolescents autochtones font plus souvent l’objet de détention.
- Les adolescents autochtones reçoivent des peines de mise sous garde plus souvent et ces peines peuvent être plus longues.
- Les adolescents autochtones sont moins souvent dirigés vers des mesures extrajudiciaires ou des sanctions extrajudiciaires.
L’auteur confirme que les adolescents autochtones, comme tous les adolescents, ont vu leur taux d’incarcération diminuer avec l’entrée en vigueur de la LSJPA, mais que leur représentation parmi la population adolescente incarcérée a nettement augmenté (avec plusieurs analyses statistiques à l’appui). L’auteur confirme que les explications en lien avec cette surreprésentation sont généralement de deux ordres: l’hypothèse d’implication différentielle (ils seraient plus souvent impliqués dans des crimes, dont particulièrement des crimes prioritaires pour les services policiers) ou l’hypothèse de traitement différentiel (ils feraient l’objet d’une forme de profilage racial à divers stades du processus judiciaire). Cependant, l’auteur explique qu’une autre explication doit être considérée, soit qu’un écart de connaissances existe chez les professionnels du système judiciaire quant à la compréhension du contexte des adolescents autochtones qui commettent des délits.
L’auteur explique qu’il est important de consacrer des ressources à l’analyse de cette surreprésentation étant donné que, en plus des facteurs habituellement considérés (entre autres, le coût élevé de l’incarcération, la stigmatisation qui augmente le risque de récidive), les adolescents autochtones présentent certains facteurs de risques additionnels. En premier lieu, ils présentent, vu leur historique au sein du Canada, un haut taux de pauvreté, un haut taux de toxicomanie et un haut taux de transfert de traumas intergénérationnels. En second lieu, ils présentent un taux de suicide beaucoup plus élevé que les adolescents allochtones. En troisième lieu, les adolescents autochtones qui commettent des délits sont fréquemment atteints d’un syndrome d’alcoolisme foetal qui doit être considéré dans l’appréciation de leur délit et la mise en oeuvre de leur peine.
En fin de compte, puisque plusieurs facteurs de risque influençant la criminalité des adolescents autochtones sont liés à des politiques antérieures du gouvernement canadien, l’auteur conclut qu’une réconciliation active de la part du système de justice pénale est nécessaire afin d’éviter que cette surreprésentation ne persiste.
Distinctions particulières au système de justice pénale pour adolescents
En matière de justice pénale, les adolescents bénéficient d’un traitement différent des adultes, et ce, considérant notamment le principe de culpabilité morale moins élevée des adolescents et notre souhait, comme société, de favoriser leur réadaptation. Concrètement, ces distinctions touchent plusieurs aspects du processus judiciaire.
Les adolescents bénéficient de garanties supplémentaires concernant l’admissibilité en preuve des déclarations qu’ils font à une personne en autorité dans un contexte de détention, d’arrestation ou lorsque la personne a un motif raisonnable de croire que l’adolescent aurait commis une infraction. Pour être admissible, d’une part la déclaration doit être volontaire. D’autre part, l’adolescent doit s’être fait expliquer qu’il n’est pas obligé de faire une déclaration, que celle-ci pourrait être retenue contre lui, qu’il a le droit de consulter un avocat, ses père ou mère et que la déclaration doit être faite en leur présence, à moins qu’il n’y renonce (art. 146 LSJPA).
Également, la LSJPA prévoit la possibilité pour les adolescents de répondre de leurs actes dans un cadre d’intervention extrajudiciaire, par le biais des mesures extrajudiciaires. Ainsi, on évite la judiciarisation et la stigmatisation du processus judiciaire, tout en s’assurant que l’adolescent réponde de ses actes.
Lorsque l’adolescent plaide coupable, le tribunal le déclarera coupable uniquement s’il est convaincu que les faits justifient l’accusation. Si ce n’est pas le cas, le procès doit suivre son cours (art. 36 LSJPA).
En attente du procès, lorsque le juge est convaincu que la détention est requise, il doit s’informer, avant de mettre l’adolescent sous garde, s’il existe une personne digne de confiance en mesure de s’en occuper et si l’adolescent consent à être confier à ses soins. Si les conditions de la loi sont remplies, le juge peut confier l’adolescent à cette personne (art. 31 LSJPA).
Lorsque l’adolescent est déclaré coupable, le tribunal impose une peine spécifique parmi celles prévues à la loi (réprimande, absolution, travail bénévole, probation, garde et surveillance, etc., art. 42 LSJPA), pour une durée qui ne peut dépasser les périodes indiquées à la loi (généralement 2 ans, mais cela augmente selon la gravité de l’infraction et peut aller jusque 10 ans en cas de meurtre au 1er degré).
Des garanties supplémentaires existent également au niveau de la vie privée, notamment en ce qu’il est interdit de publier le nom de l’adolescent en lien avec le régime de la LSJPA (art. 110 LSJPA), mais également en ce que l’accessibilité aux dossiers est restreinte par la loi (art. 118 et suiv. LSJPA).
Notons que lorsque la peine a cessé de produire ses effets, la déclaration de culpabilité est réputée n’avoir jamais existé (art. 82 LSJPA).
D’autres distinctions existent, mais nous estimons que celles-ci en constituent l’essentiel.
Durée totale d’une peine après crédit pour détention provisoire
Dans R. v. F.M.J., l’adolescent loge un appel à l’encontre de la peine qui lui a été imposée en lien avec trois infractions découlant d’une introduction par effraction dans une maison d’habitation.
Au moment de l’imposition de la peine, l’adolescent était demeuré 451 jours en détention provisoire. En première instance, le juge a accordé à l’adolescent un crédit de 12 mois pour le temps passé en détention, considérant les progrès et le cheminement de l’adolescent vers sa réadaptation. Il a ensuite imposé à l’adolescent une peine de placement et surveillance d’une durée de 24 mois, suivie d’une probation de 12 mois.
La Cour d’appel de la Colombie-Britannique rappelle que puisque deux des infractions auxquelles l’adolescent avait plaidé coupable sont passibles de l’emprisonnement à perpétuité (vol qualifié et introduction par effraction dans une maison d’habitation), la peine maximale prévue à 42(2)n) LSJPA est de trois ans de placement sous garde et surveillance. De plus, l’article 42(15) LSJPA prévoit une durée totale maximale de trois ans pour l’ensemble des peines spécifiques reçues par un adolescent pour différentes infractions, que ce soit des sanctions comportant de la garde ou pas.
La Cour d’appel conclut que le juge de première instance a erré en imposant une peine de placement sous garde et surveillance de 24 mois suivie d’une probation de 12 mois alors qu’il avait également accordé un crédit de 12 mois à l’adolescent pour le temps passé en détention. En appliquant un crédit de 12 mois et en imposant une peine de 24 mois de placement sous garde et surveillance, il s’agissait dans les faits d’une peine de 36 mois. Dans cette optique, la probation de 12 mois excède donc la limite prévue à 42(15) LSJPA de trois ans maximum comme durée totale des peines.
La Cour d’appel de la Colombie-Britannique accueille donc l’appel et supprime la probation de 12 mois imposée en première instance.
Détention provisoire pour des accusations datant de 1981 à 1984
Dans LSJPA – 1932, l’accusé, aujourd’hui âgé de 50 ans, fait face à des accusations d’atteinte à la pudeur et d’agression sexuelle, pour des faits remontant au début des années 80. Il s’agit de la première fois que ce dernier fait face à la justice.
La poursuite demande la détention provisoire de l’accusé. Elle allègue, se fondant sur les articles 29(2)b)(ii) et (iii) LSJPA, que la détention est nécessaire pour la protection ou la sécurité du public, notamment celle des victimes et des témoins et qu’elle est également nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice.
La juge Peggy Warolin de la Cour du Québec doit donc analyser la preuve présentée à la lumière des dispositions législatives pertinentes et de la jurisprudence applicable, dont l’arrêt Rondeau de la Cour d’appel.
Concernant le critère de la sécurité du public (29(2)b)(ii) LSJPA), la juge retient notamment :
- Il s’agit d’infractions graves contre la personne qui se sont produites sur une longue période dans un contexte où l’accusé abusait de la vulnérabilité des plaignants;
- Le contexte d’autorité entre l’accusé et les plaignants, ainsi que les promesses faites par celui-ci;
- Le fait que les infractions alléguées apparaissent fondées;
- La participation entière de l’accusé;
- L’accusé avait une vie stable avant les accusations et rien ne pouvait laisser soupçonner la moindre activité illégale. Sa vie a basculé à la suite de son arrestation;
- Le fait « qu’un problème ne disparaît pas par l’écoulement du temps »;
- Que l’accusé fait également l’objet d’accusations pendantes de nature sexuelle dans des dossiers adultes;
- Les connaissances pointues en informatique et les pouvoirs de manipulation exercés par l’accusé;
La juge conclut finalement, après avoir analysé les facteurs pertinents, que la preuve présentée répond au critère de « probabilité marquée » que l’accusé, s’il est mis en liberté, commettra une infraction criminelle ou nuira à l’administration de la justice.
Bien qu’il ne fut pas nécessaire afin d’ordonner la détention provisoire de l’accusé d’analyser la question visée par l’article 29(2)b(iii), la juge se livre quand même à l’exercice et conclut qu’il est également nécessaire d’ordonner la détention provisoire afin de ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice.
Après avoir statué qu’aucune condition de mise en liberté ne protégerait suffisamment le public contre le risque que présenterait l’accusé (29(2)c) LSJPA), la juge Warolin conclut donc en ordonnant que l’accusé soit gardé en détention préventive.
Confier un adolescent aux soins d’une personne plutôt que le détenir
L’article 31 LSJPA prévoit la possibilité pour un adolescent qui serait autrement placé sous garde en attente de son procès d’être confié aux soins d’une personne. Il est bien établi que le juge du tribunal pour adolescent a l’obligation de s’informer, avant de mettre sous garde un adolescent de façon provisoire, s’il existe une personne digne de confiance capable et désireuse de s’en occuper et si l’adolescent consent à être confié à ses soins.
Dans les faits, généralement, l’adolescent propose lui-même une telle avenue lorsqu’elle est disponible. La personne désireuse de s’occuper de l’adolescent doit démontrer qu’elle en est capable. Bien que le tribunal soit soumis à l’obligation de s’informer de l’existence d’une telle personne, il dispose d’une large discrétion dans l’appréciation d’une telle demande de la part de l’adolescent.
La Cour d’appel du Québec s’est déjà prononcée sur la question de l’article 31 LSJPA en précisant qu’il s’agissait d’une disposition législative devant recevoir une interprétation libérale, en tenant compte des déclarations de principes énoncés à l’article 3 LSJPA. (M.J. c. R., 2005 QCCA 685)
La question de déterminer la capacité de la personne désireuse de se voir confier l’adolescent est donc cruciale dans le cadre de demandes en vertu de l’article 31 LSJPA. La Cour d’appel du Québec s’exprimait de la façon suivant dans L’arrêt M.J. c. R. :
[38] Cela dit, le fait que l’adolescent n’ait pas, dans le passé, respecté les couvre-feux imposés par ses parents, n’est pas en soi déterminant. En revanche, le fait que ses parents connaissent peu ses allées et venues, qu’ils ne savaient pas que leur fils s’était fait arrêter en juillet 2004 par les policiers ni que ceux-ci avaient dû faire usage de la force pour l’arrêter, illustre bien la difficulté d’établir une surveillance et un contrôle qui s’imposent. Ce n’est qu’en 2005 que le père de l’appelant a été informé de cet incident et il n’a pas cru bon d’en parler à son épouse.
D’un autre côté, la nature de l’infraction et les circonstances de l’affaire peuvent être pertinentes dans l’analyse. La confiance du public dans le système de justice est également un élément pertinent à considérer. Toutefois, bien que la mise en liberté d’un adulte accusé d’un crime odieux puisse avoir pour effet de miner la confiance du public dans les systèmes de justice et de mise en liberté sous caution, il demeure que le fait de confier un adolescent aux soins d’une personne digne de confiance n’aura pas nécessairement ce même effet. (R. v. R.D., 2010 ONCA 899)
Ensuite, deux conditions essentielles doivent être réunies afin que le juge puisse confier l’adolescent aux soins d’une personne. Premièrement, la personne en cause doit s’engager par écrit à assumer les soins de l’adolescent, se porter garante de la comparution de celui-ci au tribunal lorsque celle-ci sera requise et s’engager à respecter toutes autres conditions que peut fixer le juge. Deuxièmement, l’adolescent doit s’engager par écrit à respecter cet arrangement et toutes autres conditions que peut fixer le juge.
Enfin, le fait pour la personne digne de confiance ou pour l’adolescent d’omettre sciemment de se conformer à leur engagement constitue une infraction passible d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans en vertu de l’article 139 LSJPA.
Durée totale d’une peine spécifique comportant différentes sanctions
Dans LSJPA – 1920, l’adolescent se pourvoit contre le jugement sur la peine qui le condamne à une période de garde et de surveillance de neuf mois suivie d’une ordonnance de probation de deux ans pour des accusations de voies de fait et voies de fait causant des lésions corporelles.
L’appelant soulève sept moyens d’appel. Certains s’avéreront fructueux, d’autres non. La Cour d’appel du Québec se penche sur chacun d’entre eux et arrive à la conclusion que la peine doit être légèrement modifiée. Nous aborderons seulement les moyens d’appel jugés bien fondés par la Cour.
Dans un premier temps, l’appelant reproche à la juge de lui avoir imposé une peine excessive quant à sa durée totale, puisqu’elle excède deux ans, contrairement à l’article 42(14) LSJPA. Sauf des exceptions qui ne sont pas applicables au présent cas, le paragraphe 42(14) LSJPA prévoit que la peine spécifique imposée ne peut rester en vigueur plus de deux ans. Dans les cas où la peine comporte plusieurs sanctions pour la même infraction, le même paragraphe ajoute que leur durée totale ne doit pas dépasser deux ans. Pour cette raison, malgré la proposition du ministère public de ventiler la période de placement sous garde et surveillance de neuf mois dans un dossier et la probation de deux ans dans les autres dossiers, la Cour d’appel conclut à la nécessité de réduire l’ensemble des peines imposées afin qu’elles répondent aux exigences du paragraphe 42(14) LSJPA.
Ensuite, l’appelant soulève que la juge aurait imposé des conditions dans l’ordonnance de garde et surveillance, contrairement aux paragraphes 97(1) et (2) LSJPA. Ces paragraphes prévoient que lors de l’imposition d’une peine de placement et surveillance sous 42(2)n) LSJPA, le tribunal doit imposer les conditions de surveillance obligatoires de 97(1) LSJPA et prévoir qu’en vertu de 97(2), le Directeur provincial puisse imposer des conditions additionnelles. La Cour d’appel donne droit à ce moyen, puisque seul le Directeur provincial a le pouvoir de fixer des conditions de surveillance additionnelles.
Finalement, l’appelant plaide que la juge n’a pas motivé son refus de tenir compte de la détention provisoire. Cette question se divise en deux puisque l’appelant avait purgé six jours en détention provisoire avant d’être confié aux soins de son père en vertu du paragraphe 31(1) LSJPA. Faisant le parallèle avec la jurisprudence applicable aux adultes en ce qui a trait aux conditions sévères de mise en liberté, la Cour d’appel du Québec conclut qu’il y a lieu d’adopter la même approche sous la LSJPA :
[46] La période pendant laquelle un adolescent est confié aux soins d’une personne à la suite d’une ordonnance conformément au paragraphe 31(1) LSJPA et les conditions d’un tel placement établies conformément au paragraphe 31(3) LSJPA sont des circonstances dont un tribunal doit tenir compte aux fins de déterminer la peine applicable à l’adolescent, mais le tribunal jouit néanmoins d’une large discrétion dans le poids qu’il leur accorde, comme dans la prise en compte d’une période de garde.
La Cour n’intervient toutefois pas à cet égard, statuant que la juge de première instance avait bel et bien considéré ces éléments dans son jugement. Il en est autrement des six jours de détention provisoire purgés par l’appelant, n’étant pas mentionnés dans ses motifs. La juge devait expliquer pourquoi elle ne créditait pas cette période. La Cour choisit donc de créditer ces jours selon un ratio 1:1.
En conclusion, la Cour accueille l’appel afin de notamment modifier la peine de façon à ce que l’appelant doive purger dix-huit mois de probation, plutôt que deux ans et ordonne le crédit des six jours de détention, soit quatre jours de crédit sur la période de placement et deux jours de crédit sur la période surveillance.
Détention provisoire et la confiance du public envers l’administration de la justice
Dans l’arrêt R. c. St-Cloud, 2015 CSC 27, la Cour suprême du Canada a accueilli le pourvoi contre la décision de la Cour supérieure et elle a décidé que la détention de l’accusé était nécessaire pour maintenir la confiance du public envers l’administration de la justice conformément à l’article 515 (10) c) C.cr.. Cet arrêt est pertinent pour l’application de la LSJPA étant donné que l’article 29 (2) b) (iii) LSJPA est semblable à l’article 515 (10) c) C.cr..
La Cour a résumé les principes essentiels qui doivent guider le juge dans l’application de l’al. 515 (10) c) C.c.r. en mentionnant aux paragraphes 87 et 88 ce qui suit:
- L’alinéa 515(10)c) C.cr. ne prévoit pas un motif résiduel de détention, applicable seulement lorsque les deux premiers motifs de détention (al. a) et b)) ne sont pas satisfaits. Il s’agit d’un motif distinct permettant à lui seul d’ordonner la détention avant procès d’un accusé.
- L’alinéa 515(10)c) C.cr. ne doit pas être interprété restrictivement (ou appliqué avec parcimonie), ni s’appliquer que dans de rares cas ou circonstances exceptionnelles, ou pour certains types de crime seulement.
- Les quatre circonstances énumérées à l’al. 515(10)c) C.cr. ne sont pas exhaustives.
- Le tribunal ne doit pas automatiquement ordonner la détention même si les quatre circonstances énumérées favorisent ce résultat.
- Le tribunal doit plutôt tenir compte de toutes les circonstances propres à chaque cas d’espèce, en prêtant une attention particulière aux quatre circonstances énumérées.
- Le caractère « inexplicable » ou « inexpliqué » du crime n’est pas un critère devant guider l’analyse.
- Aucune circonstance n’est déterminante en soi. Le juge doit considérer les effets combinés de toutes les circonstances de chaque affaire qui lui permettront de déterminer si la détention est justifiée.
- Il s’agit d’un exercice de pondération de toutes les circonstances pertinentes, au terme duquel le tribunal doit ultimement se poser la question suivante : la détention est-elle nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice? Tel est le test à satisfaire sous l’al. 515(10)c).
- Pour répondre à cette question, le tribunal doit adopter le point de vue du « public », c’est-à-dire celui d’une personne raisonnable, bien informée de la philosophie des dispositions législatives, des valeurs consacrées par la Charte et des circonstances réelles de l’affaire. Cette personne n’est toutefois pas un juriste et n’est pas en mesure d’apprécier les subtilités des différentes défenses qui s’offrent à l’accusé.
- La confiance de cette personne raisonnable envers l’administration de la justice peut être minée tout autant si le tribunal refuse d’ordonner une détention justifiée compte tenu des circonstances de l’espèce, que lorsqu’il l’ordonne alors qu’elle est injustifiée.
[88] En conclusion, en présence d’un crime grave ou très violent, lorsque la preuve contre l’accusé est accablante, et que la ou les victimes sont vulnérables, la détention préventive sera habituellement ordonnée.