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La Cour de justice de l’Ontario dénonce le traitement « inconcevable » d’un adolescent

Le jour de la marmotte: voici l’expression utilisée par le juge Fergus ODonnell de la Cour de justice de l’Ontario dans une décision récente pour décrire le traitement d’un adolescent qui a été transféré dans un établissement pour adultes en raison de son âge et qui n’a pas reçu les services qui sont habituellement offerts dans l’application d’une sentence jeunesse.

L’adolescent qui a reçu une sentence en vertu de la LSJPA a été placé un an dans un établissement à sécurité maximum pour adulte avec peu de programmes de réhabilitation et où l’accès à des traitements était limité, car il n’avait pas de diagnostic psychiatrique lié à ses difficultés. Or, le juge note que ce diagnostic était primordial et qu’après 12 jours de son transfert dans un autre établissement, l’adolescent obtenait ce diagnostic qui lui permet d’obtenir du support et de l’aide spécialisée.

Le juge décrit ainsi un problème récurrent de l’application de la LSJPA: un. adolescent.e qui est envoyé.e en dans un établissement pour adultes en raison de son âge est traité comme un de ceux-ci et ne bénéficie pas du traitement différencié des adultes qui est pourtant un principe fondamental de la LSJPA. Ce faisant, le juge constate un abandon des objectifs et principes de réhabilitation qui sont au cœur du système de justice pour adolescent.es.

Le juge mentionne également qu’il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau, les multiples problèmes occasionnés par la transition vers l’âge adulte (et l’âge du transfèrement vers un établissement pour adultes) étant régulièrement dénoncés par les tribunaux. Il termine ses observations sur le sujet avec des réflexions sur les priorités du gouvernement ontarien dans sa gestion de la justice pour adolescent.es :

« If the provincial government is committed to keeping society safe, its enduring inattention to providing appropriate supports for offenders who age out of the youth system and into the adult system is a most peculiar way of demonstrating it.  The rehabilitation of offenders is the surest and most enduring protection of the public and the sooner in a person’s life that it is done the better, ideally during an offender’s first involvements with the criminal justice system. »

Ces remarques peuvent servir de rappel de l’importance de prévoir une transition pour les adolescent.es se retrouvant dans le système de justice, particulièrement ceux qui reçoivent des sentences à être purgées dans des établissements pour adultes ou qui atteindront rapidement l’âge du transfèrement.

Transfèrement dans un centre correctionnel provincial pour adultes

Dans LSJPA – 1828, le Directeur provincial demande le transfèrement dans un centre correctionnel provincial pour adultes de l’adolescent le jour même de l’imposition d’une peine de placement sous garde et surveillance. L’adolescent est alors âgé de 18 ans et était détenu préventivement dans un milieu carcéral pour adultes au moment de l’imposition de sa peine, en vertu de l’article 30(4) LSJPA.

L’adolescent s’oppose à cette demande du Directeur provincial, expliquant craindre pour sa sécurité en milieu carcéral pour adultes. Le Directeur provincial appuie sa position du fait que l’adolescent a déjà bénéficié dans le passé d’un programme intensif de réadaptation, sans collaborer et que presque aucune évolution n’a été observée. De plus, l’adolescent fait preuve de comportements violents et n’est réceptif à aucun programme qui pourrait lui être offert. Il constitue un danger pour les autres usagers ainsi que pour le personnel des unités de réadaptation.

Analysant les critères pertinents dans le cadre d’une telle demande en vertu de l’article 92(1) LSJPA, soit l’intérêt de l’adolescent et l’intérêt public, le juge Sylvain Meunier de la Cour du Québec ordonne que la peine spécifique de l’adolescent soit purgée en centre correctionnel provincial pour adultes après avoir mentionné ce qui suit :

[33] Le meilleur intérêt de l’adolescent peut être défini selon les principes des articles 3 et 38 de la loi comme étant le besoin de l’adolescent de se réhabiliter afin d’être réinséré dans sa communauté.

[34] L’intérêt public demande pour être réalisé que l’adolescent soit réhabilité et réintégré, comme le nomment les articles 3 et 38 de la loi.

[41] Le Tribunal fait les constats que l’adolescent refuse toute participation aux programmes pouvant l’aider dans sa réinsertion sociale offerte par le milieu carcéral pour adulte en plus de faire l’objet de peine disciplinaire en refusant de respecter l’autorité et le bien public.

[42] Le Tribunal retient du témoignage même de l’adolescent qu’il n’a besoin d’aucun service et que sa volonté de réintégrer le milieu juvénile est motivée par son besoin de protection étant donné la divulgation sur le Net d’une accusation rejetée, le concernant, d’agression sexuelle et de sa condition physique précaire.

[43] Enfin, l’adolescent n’est pas un candidat qui pourrait bénéficier des programmes prodigués par le Directeur provincial afin d’assurer sa réintégration sociale comme stipulé par les principes fondamentaux de la loi, et par ailleurs il constitue un élément de danger autant psychologique que physique pour les bénéficiaires et le personnel éducateur.

L’intérêt public en matière de transfèrement

Dans R. v. B.P. (N.) (Re), l’adolescent demande la divulgation en preuve de plusieurs documents dans le cadre d’une demande du directeur provincial de le faire transférer dans un établissement correctionnel adulte en vertu de 92(1) LSJPA. L’adolescent argumente que les documents demandés sont pertinents pour l’évaluation que la juge doit faire de l’intérêt de l’adolescent ainsi que de l’intérêt public. Le Directeur provincial s’oppose à cette divulgation, argumentant que les documents ne sont pas pertinents aux critères devant être évalués par le tribunal conformément à l’article 92(1) LSJPA.

Afin de statuer sur la demande de divulgation de l’adolescent, la juge Anne S. Derrick du tribunal pour adolescents de la Nouvelle-Écosse se penche sur l’analyse que le tribunal doit effectuer lors d’une audition sur un transfèrement en vertu de 92(1) LSJPA.

Conformément à cet article, la LSJPA permet le transfert d’un adolescent à un établissement correctionnel provincial pour adultes afin de purger le reste de sa peine si le tribunal « estime que cette mesure est préférable pour l’adolescent ou dans l’intérêt public ».

La juge Derrick conclut que le critère de l’intérêt du public l’emporte sur le critère de l’intérêt de l’adolescent en matière de transfèrement. Elle mentionne les éléments suivants dans son analyse :

[19]   The test under section 92(1) is disjunctive.  The disjunctive test – “best interests of the young person or in the public interest” – is also found in section 30(4) of the YCJA which deals with the power of the Youth Justice Court to direct a young person who is detained in a youth facility pending trial to be detained in a provincial correctional facility for adults. The public interest in safeguarding other youth has been held to trump the best interests of the young person. (Ontario (Ministry of Children and Youth Services) v. K.K., 2011 ONCJ 592 (CanLII), para. 35) And, in R. v. S.P., 2014 YCJN 1, another section 30(4) case, the public interest, described as “the safety and rehabilitation of the greater population of residents at the Youth Facility” prevailed. The Court’s finding that the transfer would have a neutral impact on S.P. appeared to be more of an observation than a factor. (para. 30)

[20]   In F. (S.D.) Re, 2007 ABPC 103 (CanLII), another detention “transfer” case, the Court found that the young person’s “personal issues cannot override the need to consider the interests and safety” of staff and residents at the youth facility (para. 72) and ordered the transfer “in the public interest,” (para. 75)

Finalement, la juge conclut que bien que la réhabilitation de l’adolescent soit une question d’intérêt public, les documents demandés par celui-ci ne sont pas pertinents à la demande de transfèrement, ces derniers visant davantage à mettre en preuve quels services auraient pu ou auraient dû être offerts à l’adolescent lors de son placement sous garde.

Transfèrement en centre correctionnel pour adultes et détention provisoire

Dans la décision La Reine c. X., Cour supérieure, 26 mars 2015, le tribunal était saisi d’une requête pour autoriser la détention d’un adolescent dans un centre correctionnel pour adultes conformément à l’article 30 (4) LSJPA. L’adolescent avait atteint l’âge de 19 ans et le Directeur provincial estimait que les comportements et attitudes de l’adolescent nuisaient à la sécurité et à la réadaptation des autres jeunes de l’unité.

Après avoir analysé la loi et la jurisprudence pertinente en l’espèce ( R. c. S.D.F., J.C. c. R et R. c. K.K.), la Cour en est venue à la conclusion que le transfert de l’adolescent dans un centre correctionnel pour adultes lui serait préjudiciable et ne serait pas dans l’intérêt du public.

Un adolescent transféré dans un centre correctionnel pour adultes est-il admissible à une libération conditionnelle?

Un adolescent qui est transféré dans un centre correctionnel pour adultes conformément aux articles 89, 92 et 93 de la LSJPA est admissible à la libération conditionnelle.

En effet, les articles 89 (3), 92 (3) et 93 (3) LSJPA énoncent notamment que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et la Loi sur les prisons et les maisons de correction s’appliquent aux adolescents transférés en vertu de la LSJPA.

La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit aux articles 99 (définition « délinquant »), 99.2, 119.2 et 120 (1) les règles relatives à l’admissibilité à la libération conditionnelle applicables notamment aux adolescents transférés en vertu de la LSJPA.

L’article 119.2 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition mentionne que l’admissibilité à une libération conditionnelle des adolescents transférés selon 89, 92, 93 LSJPA et qui purge une peine spécifique selon 42 (2) n, o, q, r,) est déterminée en fonction de la somme des périodes de garde et surveillance.

L’article 120 (1) prévoit, quant à la lui, que le temps d’épreuve pour l’admissibilité à la libération conditionnelle totale est d’un tiers de la peine à concurrence de sept ans.

D’autre part, il importe de faire une distinction entre l’admissibilité à une libération conditionnelle et une réduction de peine méritée conformément à la Loi sur les prisons et les maisons de correction. En effet, la réduction de peine méritée est accordée à un prisonnier qui observe les règlements de la prison et les conditions d’octroi des permissions de sortir et qui participe aux programmes. L’article 6 paragraphes (1), (7.2) et (7.3) de la Loi sur les prisons et les maisons de correction prévoit que les adolescents transférés en vertu de LSJPA (art.89,92,93) n’ont pas droit à la réduction de peine pour temps méritée puisqu’ils ont le droit d’être mis en liberté à la fin de la période de garde prévue dans les peines spécifiques selon l’article 42 (2) n, o, q, r, LSJPA.

Transfèrement dans un pénitencier selon l’article 76 LSJPA

Dans la décision LSJPA-127, 2012 QCCS 1687, le tribunal a ordonné le transfèrement de l’adolescent dans un pénitencier. Le tribunal a estimé qu’il était dans l’intérêt de l’adolescent de retarder son transfèrement  afin qu’il puisse terminer ses études secondaires.

Vous trouverez la décision LSJPA-127, 2012 QCCS 1687 en cliquant ici.

« Peine d’emprisonnement » au sens de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

Dans la décision Procureur général du Canada c. J.P., 2010 CAF 90, la Cour d’appel fédérale a  interprété les termes « peine » et « peine d’emprisonnement » au sens de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition  dans un dossier où une peine en vertu de l’article 42)2 q)ii) LSJPA avait été rendue. La Cour mentionne au paragraphe 62  » Il s’ensuit nécessairement que le régime de la libération conditionnelle de la LSCMLC ne peut s’appliquer qu’à la période de garde de l’adolescent, à l’exclusion de sa période de surveillance« . La Cour mentionne également au paragraphe 81:  » à mon sens, il s’ensuit nécessairement que , une fois la période de garde de la peine a été purgée ou a expiré, le tribunal pour adolescent et le directeur provincial retrouvent leur compétence exclusive à l’égard de l’adolescent ».

Vous trouverez la décision  Procureur général du Canada c. J.P., 2010 CAF 90 en cliquant ici.

Transfèrement selon l’article 92 LSJPA

Dans la décision LSJPA-0818, 2008 QCCQ 4525, le directeur provincial demandait le transfèrement d’une adolescente en centre correctionnel pour adultes notamment aux motifs que la sécurité des autres usagers et des employés était menacée et que la situaiton de l’adolescente avait connue peu d’évolution. La Cour a refusé la demande de transfèrement car l’intérêt de l’adolescente devenue adulte commandait de la maintenir dans un milieu de réadaptation. De plus, la Cour a mentionné  » que de confier l’adolescente à un Centre correctionnel pour adultes a moins de chance de permettre sa réhabilitation (…).Ce milieu est davantage susceptible de permettre à X de réaliser des progrès; si minime soient-ils, ils sont préférables pour elle et avantageux pour la société »

Vous trouverez la décision LSJPA-0818, 2008 QCCQ 4525 en cliquant ici.

Transfèrement selon l’article 92 LSJPA et « préférable pour l’adolescent »

Dans la décision LSJPA-0764, 2007 QCCQ 15721, la Cour a refusé d’accorder le transfèrement de l’adolescente dans un centre correctionnel pour adulte ne croyant pas que le tranfèrement soit une mesure préférable ou dans le meilleur intérêt de l’adolescente. La Cour a mentionné que « Toutes les dispositions qui s’écartent du système de réadaptation et de justice pour adolescents doivent recevoir une interprétation restrictive« . La Cour ajoute  » le principe est à l’effet que l’adolescente est en droit d’être gardée dans le réseau juvénile dont l’objectif est la rédaptation pour assurer une protection durable du public. »  

Vous trouverez la décision LSJPA-0764, 2007 QCCQ 15721 en cliquant ici.