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Omission de se conformer aux conditions d’une promesse, d’un engagement ou d’une ordonnance (R. c. Zora, 2020 CSC 14)

Le 18 juin 2020, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt R. c. Zora, 2020 CSC 14, lequel porte sur le non-respect d’une condition de mise en liberté sous caution. Dans cette affaire, M. Zora était en liberté sous caution dans l’attente de son procès. Il devait alors respecter diverses conditions, dont celle de se conformer à un couvre-feu et celle de répondre à la porte dans un délai de cinq minutes lorsqu’un agent de la paix venait vérifier s’il était bel et bien à son domicile. À deux reprises, M. Zora n’a pas répondu à la porte. M.  Zora se défend d’avoir respecté son couvre-feu, mais explique ne pas avoir entendu l’agent sonner à la porte.

M. Zora a été accusé et trouvé coupable d’omission de se conformer à ses conditions de mise en liberté sous caution en vertu de l’article 145(3) du Code criminel. La Cour suprême a accueilli le pourvoi de M. Zora, annulé ces déclarations de culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès sur ces deux chefs.

À l’unanimité, la Cour suprême a conclu que l’article 145(3) du Code criminel créé une infraction requérant la preuve d’une mens rea subjective. La Couronne doit donc établir que la personne prévenue a commis un manquement à une condition d’une promesse, d’un engagement ou d’une ordonnance sciemment ou par insouciance. Ainsi, il doit être établi que :

La personne prévenue connaissait les conditions de sa mise en liberté sous caution OU faisait preuve d’aveuglement volontaire à leur égard, ET;

La personne prévenue a sciemment omis d’agir conformément aux conditions de sa mise en liberté sous caution, c’est‑à‑dire qu’elle connaissait les circonstances qui exigeaient qu’elle se conforme aux conditions de l’ordonnance dont elle faisait l’objet, ou qu’elle faisait preuve d’aveuglement volontaire face aux circonstances, et qu’elle a omis de se conformer aux conditions malgré le fait qu’elle les connaissait OU la personne prévenue a par insouciance omis d’agir conformément aux conditions de sa mise en liberté sous caution, c’est‑à‑dire qu’elle était consciente qu’il y avait un risque important et injustifié que sa conduite ne respecte pas les conditions de sa mise en liberté sous caution mais qu’elle n’a pas cessé d’agir de la sorte.. 

R. c. Zora, 2020 CSC 14 au para 109.

La Cour suprême profite de cette affaire afin de rappeler que des conditions de mise en liberté sous caution peuvent être imposées, mais qu’elles doivent toujours être le moins nombreuses possible, nécessaires, raisonnables, les moins sévères possible dans les circonstances et suffisamment liées aux risques que pose la personne prévenue en lien avec les motifs pouvant justifier lesdites conditions tel que prévu à l’article 515(10) du Code criminel. Les conditions de mise en liberté sous caution doivent donc être individualisées en fonction des circonstances de chaque cas et ne doivent pas être ordonnées de manière expéditive et automatique, même suivant le consentement des parties. En effet, l’émission de conditions excessives, inutiles ou trop sévères restreint indûment la liberté d’une personne présumée innocente et créée de nouvelles sources de responsabilité criminelle éventuelle. La Cour suprême rappelle à juste titre que les infractions contre l’administration de la justice découlant notamment du non-respect d’une condition de mise en liberté affectent surtout les populations les plus vulnérables et marginalisées (notamment les personnes moins nanties, celles aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale, ainsi que les personnes autochtones).

Il est intéressant de noter que les commentaires de la Cour suprême rejoignent les objectifs sous-jacents aux amendements apportés à la LSJPA dans le cadre du projet de loi C-75. Ceux-ci visaient notamment à s’assurer que les conditions imposées aux jeunes ne soient que celles qui sont nécessaires et raisonnables dans les circonstances et à réduire le nombre d’accusations liées à des infractions contre l’administration de la justice (voir les nouveaux articles 24.1, 28.1, 29(1), 38(2)(e.1), 55(1)(2) de la LSJPA). Il importe de rappeler que les conditions imposées à un adolescent (tant au stade provisoire que dans le cadre de la peine spécifique) doivent servir des fins de justice pénale et ne doivent jamais se substituer à des services de protection de la jeunesse, de santé mentale ou à d’autres mesures sociales.

Omettre de se confirmer à une condition d’une peine spécifique

Dans LSJPA – 1944, l’adolescente fait face à deux chefs d’accusation en vertu de l’article 137 LSJPA, soit d’avoir omis de se conformer à des conditions d’une peine spécifique. Seul le second chef est litigieux, soit la condition de ne pas être en présence de A.

Il est admis par l’accusée qu’elle s’est retrouvée dans le même restaurant que A. L’adolescente plaide n’avoir jamais eu l’intention de se trouver en présence physique de A, alors que le ministère public allègue que l’adolescente avait l’obligation de quitter les lieux immédiatement, ce qu’elle n’a pas fait.

La preuve révèle que l’adolescente, qui était en compagnie de son copain et de la famille de ce dernier, a immédiatement demandé de quitter les lieux lorsqu’elle a constaté la présence de A. Le copain de l’adolescente et la mère de celui-ci insistent pour qu’elle reste et refusent de quitter. L’adolescente, qui est sans moyen de transport en ce jour de Noël, se résigne alors à rester sur les lieux.

La juge Karine Dutilly, de la Cour du Québec, analyse la portée de l’article 137 LSJPA. Le premier constat qu’elle fait est que la version anglaise de la disposition comprend le terme « willfully » pour qualifier l’omission ou le refus de se confirmer à une peine spécifique. Il s’agit donc d’un élément intentionnel, qui exige un niveau relativement élevé de mens rea (état d’esprit coupable).

La juge reconnaît que généralement, l’interdiction d’être en présence de quelqu’un implique une obligation de quitter le lieu où se trouve la personne visée par ladite condition. Toutefois, il ne s’agit pas d’une obligation stricte et les circonstances de chaque affaire doivent être étudiées avant de conclure à un bris de condition.

La juge retient les éléments suivants avant d’acquitter l’adolescente de l’accusation portée :

[25] Dans la présente affaire, le Tribunal retient que :

– La rencontre était le fruit du hasard et l’accusée n’avait aucune raison de croire que A se trouvait en ce lieu;

– L’accusée n’a fait aucune démarche pour se trouver volontairement en présence de la plaignante;

– La rencontre s’est faite dans un lieu public, le jour de Noël;

– L’accusée, âgée de quinze (15) ans au moment des évènements, n’avait aucun moyen de transport pour quitter les lieux, et ce, malgré son désir de le faire;

– Elle a fait appel à sa mère pour venir la chercher;

– Elle a subi de la pression de la part des adultes qui l’accompagnaient;

[26] De fait, la preuve démontre que l’accusée avait le réel désir de respecter ses conditions de remise en liberté et elle a raisonnablement pris toutes les mesures qu’elle pouvait, en fonction de son âge et des circonstances particulières dans lesquelles elle se trouvait afin de respecter ses conditions et d’éviter tout contact avec la plaignante.

Bris de probation : l’article 137 LSJPA ou l’article 733.1 du Code criminel?

Dans les décisions R. c. Albert et R. c. Forand, la juge Myriam Lachance de la Cour supérieure du Québec siège en appel et se penche sur deux situation très similaires : celle où des jeunes adultes ont été reconnus coupables de bris de probation en vertu de l’article 733.1 du Code criminel plutôt que de l’article 137 LSJPA, alors que la probation en cause avait été imposée en vertu de l’article 42(2)k) LSJPA. L’argument des appelants était à l’effet que comme la probation avait été imposée en vertu de la LSJPA, l’article 733.1 du C.cr. n’avait aucune application. Pour les appelants, l’article 733.1 C.cr. vise spécifiquement les probations rendues en vertu du Code criminel, et non celles en vertu de la LSJPA.

Après analyse, la juge Lachance fait droit aux arguments des appelants, accueille les appels et prononce des acquittements. Elle mentionne dans son jugement de R. c. Albert :

[39] Il faut donc appliquer le raisonnement suivant :

  • l’art. 50(2) LSJPA exclut spécifiquement la peine prévue à l’art. 787 C. cr. aux poursuites intentées sous le régime de la LSJPA;
  • l’art. 42 LSJPA permet d’imposer des peines spécifiques uniquement aux adolescents;
  • l’art. 137 LSJPA permet d’accuser toute personne, ce qui inclut un adolescent et un adulte;
  • aucune peine n’est prévue dans le cas d’un adulte condamné pour avoir commis l’infraction prévue à l’art. 137 LSJPA;
  • l’art. 142(1)b) LSJPA doit suppléer à cette absence de peine spécifique par l’application de la peine générale pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, tel que prévu à l’art. 787 C.cr.

[40] En résumé, un adulte condamné pour avoir fait défaut de se conformer à une peine qui lui a été imposée alors qu’il était adolescent contrairement à l’art. 137 LSJPA sera passible de la peine prévue à l’art. 787 C. cr.

[51] De surcroit, une analyse contextuelle de la partie XXIII du Code criminel qui vise spécifiquement la détermination de la peine nous laisse comprendre que la seule probation dont il est question à l’art. 733.1 est celle émise en application de l’art. 731 C. cr.

[52] D’autant plus que le texte de l’art. 733.1 C. cr. ne laisse subsister aucun doute quant à l’intention du législateur, soit celle d’accuser en vertu du Code criminel la personne qui contrevient à une ordonnance émise selon cette même loi […]

Motifs justifiant la détention avant le prononcé de la peine

Dans la décision R. v. S.S.V., le juge Wolf de la cour provinciale de la Colombie-Britannique doit statuer sur la détention préventive d’un adolescent de 17 ans. L’adolescent fait face à de nombreuses accusations : un chef de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur, deux chefs de fuite à bord d’un véhicule à moteur, deux chefs d’entrave à un agent de la paix, trois chefs de bris d’engagement pris au titre de 31(3) LSJPA et deux chefs de bris de conditions de mise en liberté.

La poursuite demande la détention de l’adolescent. L’adolescent argumente qu’il doit être libéré sous caution. Une caution de 5000$ en argent est notamment proposée par l’adolescent pour sa mise en liberté, ainsi que l’obligation d’être confié aux soins de son père.

Le juge Wolf débute son analyse du droit en faisant un bref historique de la LSJPA, notamment en lien avec les amendements de 2012 sur la détention préventive. Il rappelle que le test de l’article 29 LSJPA est spécifique aux adolescents et détermine quels motifs justifient la détention d’un adolescent.

Quant au premier critère devant être analysé par la cour en vertu de l’article 29 LSJPA, soit celui de la gravité de l’infraction, le juge Wolf constate que l’adolescent est accusé d’infractions graves au sens de l’article 2 LSJPA, soit « Tout acte criminel prévu par une loi fédérale et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans ou plus. » C’est le cas pour les accusations de conduite dangereuse et de fuite, la poursuite ayant été intentée par voie d’acte criminel.

Le juge Wolf va plus en loin en analysant l’historique criminel de l’adolescent et le « pattern » des charges qui pèsent contre lui. Le juge fait une revue des déclarations de culpabilité inscrites contre l’adolescent. Il analyse également le comportement de l’adolescent lorsqu’en liberté sous un engagement pris en vertu de l’article 31 LSJPA. Le juge fait le constat que certaines accusations auxquelles fait face l’adolescent sont liées à des événements qui ont eu lieu alors que ce dernier était sous engagement. Le juge arrive à la conclusion qu’il existe clairement un « pattern » chez l’adolescent dans les accusations qui pèsent contre lui.

Le juge passe ensuite à l’étape de déterminer si la détention est nécessaire pour la protection ou la sécurité du public. Le juge mentionne devoir prendre en considération toutes les circonstances, dont la probabilité marquée que l’adolescent, s’il est mis en liberté, commettra une infraction grave.

Le juge Wolf en arrive à la conclusion que la détention de l’adolescent est nécessaire pour la protection du public. Le juge met l’emphase sur l’historique clair chez l’adolescent de ne pas respecter des conditions auxquelles il est soumis. Le juge fait également le constat que le père de l’adolescent n’a pas été en mesure d’assurer le respect de l’engagement de son fils. Le juge retient aussi qu’il existe une probabilité marquée que l’adolescent commette à nouveau une infraction grave à bord d’un véhicule à moteur, ce qui mettrait le public en danger.

Finalement, le juge Wolf conclut qu’aucune condition de mise en liberté ne protégerait suffisamment le public. Pour le juge, le « pattern » de l’adolescent soulève un doute quant à la capacité du père de celui-ci d’assurer un contrôle de son fils. Le juge infère ceci à la lumière des accusations de bris d’engagement. De plus, la caution en argent offerte par l’adolescent constitue pour le juge un incitatif pour la famille de reporter d’éventuels bris d’engagement de l’adolescent, mais l’adolescent serait toujours en liberté, au volant d’un véhicule à moteur, mettant en danger le public. Le juge ordonne donc la détention de l’adolescent dans tous les dossiers.