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Assujettissement à une peine applicable aux adultes pour un ado reconnu coupable de proxénétisme
Radio-Canada Info publiait le 28 novembre un article relatif à une affaire entendue à la Chambre de la jeunesse – l’honorable Dominic Pagé – dans le cadre de laquelle un adolescent a été reconnu coupable de proxénétisme et assujetti à une peine applicable aux adultes.
Rappelons que l’assujettissement à une peine applicable aux adultes demeure une décision lourde de sens et exceptionnelle dans le système de justice pénale pour adolescents, en lien avec les objectifs de la LSJPA. Le tribunal appelé à statuer sur une telle demande doit recevoir une preuve le convaincant que :
a) la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent est réfutée;
b) une peine spécifique conforme aux principes et objectif énoncés au sous-alinéa 3(1)b)(ii) et à l’article 38 ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux.
Le juge a insisté sur le risque sérieux de récidive chez l’accusé, sur des remords exprimés sans réelle intention, en ajoutant que l’accusé « semble davantage préoccupé par son image, sa réputation et son avenir que par ceux des victimes ».
L’adolescent s’est vu imposer une peine d’emprisonnement de 5 ans.
La décision n’est toujours pas publiée à ce jour, mais pour lire l’article, c’est ici.
Demande d’assujettissement à une peine pour adulte accueillie pour un adolescent coupable de meurtre au second degré
Rappel des faits. En février 2019, dans un logement de Limoilou, l’accusé, alors âgé de 17 ans, a poignardé sa mère à mort, parce qu’elle lui avait confisqué un appareil électronique. L’adolescent présente une déficience intellectuelle légère et un trouble du spectre de l’autisme. Deux ans après le drame, au terme d’un procès, la juge Fannie Côtes de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, a rejeté la défense de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux et a condamné l’adolescent coupable de meurtre au second degré.
Suite au verdict, la poursuite demandait à ce que l’adolescent soit assujetti à une peine pour adulte. Advenant qu’elle soit accueillie, cette demande ferait en sorte que l’adolescent (maintenant adulte) serait condamné à une peine beaucoup plus lourde que s’il s’agissait d’une peine infligée en vertu de l’article 42 (2)(q)(ii) de la LSJPA.
Rappelons que l’assujettissement demeure une mesure exceptionnelle. Le tribunal l’ordonne s’il est convaincu que la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent est réfutée et qu’une peine pour adolescents serait d’une durée insuffisante pour répondre aux objectifs de la LSJPA. Selon les orientations des directeurs provinciaux, la gravité objective de l’infraction ne peut constituer, en soi, le seul élément justifiant une recommandation d’assujettissement puisqu’il est essentiel de prendre en considération les caractéristiques de l’accusé, le sens de sa conduite, le niveau de risque qu’il présente et les possibilités de réadaptation et de réinsertion.
Finalement, à l’avant-veille de Noel, la juge Côtes a accueilli la demande d’assujettissement et a déterminé que l’adolescent serait soumis à une peine pour adulte. Entre autres, la juge a retenu les éléments suivants: 1) il n’est pas possible d’espérer à court, moyen ou long terme une réhabilitation suffisante de l’adolescent; 2) sa réhabilitation est tributaire de sa mobilisation, qui est inexistante; 3) l’atteinte d’un plateau sur le plan de la réhabilitation; 4) l’intérêt marqué de l’adolescent pour la violence et sa propension vers le morbide; 5) son risque de récidive élevé.
Pour approfondir la notion d’assujettissement, le lecteur pourra se référer au contenu de la trousse à ce sujet, ainsi qu’à la section pertinente du Manuel de référence.
Appel d’un meurtre au deuxième degré et peine applicable aux adultes
Dans R. v. Joseph, l’adolescent loge un appel à l’encontre de son verdict et de sa peine. Il avait été reconnu coupable de meurtre au deuxième degré par un jury et le juge du procès avait imposé une peine applicable aux adultes suite au verdict.
Nous ne détaillerons pas ici l’ensemble des questions soulevées en appel, mais seulement certaines qui nous apparaissent revêtir une pertinence particulière pour un adolescent visé par la LSJPA.
La première erreur alléguée par l’appelant concerne la décision du juge du procès d’admettre en preuve une déclaration faite par celui-ci aux policiers quelques jours après le meurtre. À ce moment, l’accusé a participé à une entrevue avec les policiers d’une durée de 26 minutes, à leur demande, en se présentant au poste de police accompagné de sa mère. L’appelant argumente que les policiers ont fait défaut de respecter les exigences de l’article 146(2) LSJPA, concernant l’admissibilité des déclarations.
La Cour d’appel de l’Ontario rejette la prétention de l’appelant à l’effet que l’article 146(2) LSJPA s’appliquait dans les circonstances. Pour que cet article s’applique, il existe trois prérequis dans la loi : (a) l’adolescent est en état d’arrestation, (b) l’adolescent est détenu ou (c) l’agent de la paix ou la personne en autorité a des motifs raisonnables de croire que l’adolescent a commis une infraction.
La Cour d’appel de l’Ontario confirme la décision du juge de première instance à l’effet qu’au moment de l’entrevue, les policiers n’avaient aucun motif raisonnable de croire que l’adolescent avait commis l’infraction. À ce moment, la seule information que possédaient les policiers était que l’appelant avait échangé plusieurs appels téléphoniques et messages texte avec la victime le jour de l’infraction. Pour la Cour, ceci est nettement insuffisant pour atteindre le critère des motifs raisonnables de croire. L’appelant n’était qu’une « personne d’intérêt » pour les policiers à ce moment.
Sur la question de la détention, l’appelant argumente qu’il fallait que le juge du procès analyse celle-ci sous l’angle des vulnérabilités uniques propres aux adolescents et qu’une analyse de la détention psychologique plus rigoureuse dans un contexte de LSJPA devait être effectuée. La Cour d’appel rejette cet argument, expliquant que la décision de déterminer si un accusé était détenu s’analyse de la même façon pour un adulte que pour un adolescent. D’ailleurs, le juge du procès avait correctement identifié le droit applicable et les enseignements de la Cour suprême du Canada en la matière, qui prévoit déjà que l’âge de l’accusé soit pris en considération.
Après avoir analysé tous les motifs d’appel soulevés par l’adolescent appelant, la Cour d’appel de l’Ontario rejette l’appel.
Assujettissement à une peine pour adultes
Les médias ont récemment annoncé l’intention du DPCP de présenter une demande d’assujettissement à une peine pour adultes dans le dossier de meurtre commis à l’Ile-des-Sœurs.
Comme le rappel la Trousse LSJPA, le cadre général en matière d’assujettissement est le suivant :
« Les procureurs des poursuites criminelles et pénales peuvent présenter, de façon exceptionnelle, une demande pour qu’un adolescent de plus de 14 ans soit assujetti à une peine pour adultes. Ce type de demande est fait à la première occasion ou plus tard avec l’autorisation du tribunal seulement. Elle peut être présentée lorsque l’adolescent a commis une infraction pour laquelle un adulte serait passible, s’il est reconnu coupable, d’une peine de plus de deux ans de prison au sens de Code criminel. Ces demandes peuvent être présentées lorsque le procureur estime que la gravité du délit ou les antécédents de l’adolescent le justifient.
L’audition sur la demande en vue de déterminer si l’adolescent doit être assujetti ou non à une peine pour adultes aura lieu au moment de la détermination de la peine. Si la demande d’assujettissement est contestée par l’adolescent, le directeur provincial devra produire un rapport afin d’aider le tribunal à décider si l’adolescent doit recevoir une peine spécifique ou une peine pour adulte. Le tribunal ordonnera l’assujettissement à une peine applicable aux adultes s’il est convaincu que la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent est réfutée et qu’une peine pour adolescents serait d’une durée insuffisante pour répondre aux objectifs de la LSJPA »
Rappel des étapes, les articles référant à la LSJPA :
– Avis de la demande d’assujettissement donné par le DPCP avant le plaidoyer ou avec l’autorisation du tribunal avant le début du procès, art. 64;
– L’adolescent fait le choix prévu à l’art. 67(2), soit juge du tribunal pour adolescent, juge sans jury, tribunal composé d’un juge et d’un jury;
Si l’adolescent est reconnu coupable, au moment de l’audition sur la détermination de la peine :
Si la demande est contestée, le tribunal doit :
– Donner aux parties, incluant aux parents, l’occasion de se faire entendre, art. 71;
– examiner le rapport pré-décisionnel, art. 72 (3);
-Le tribunal ordonnera l’assujettissement à une peine applicable aux adultes s’il est convaincu que la présomption de culpabilité morale moins élevée est réfutée et qu’une peine pour adolescents serait d’une durée insuffisante pour répondre aux objectifs de la LSJPA, art. 73 [rappel : le fardeau de la Couronne n’est pas hors de tout doute raisonnable, mais bien un fardeau assimilé à la prépondérance de preuve] ;
Si l’adolescent est assujetti à une peine pour adultes et que le juge lui impose une peine d’emprisonnement, il doit :
– Exiger la préparation d’un rapport pour déterminer le lieu où l’adolescent purgera sa peine, art. 76 (4) ;
– Donner l’occasion de se faire entendre à l’adolescent et ses parents, au DPCP, au DP et aux représentants des systèmes correctionnels fédéral et provincial, art. 76(3) ;
– Déterminer le lieu d’emprisonnement, soit un lieu de garde à l’écart de tout adulte (automatique si l’adolescent est âgé de moins de 18 ans), soit dans un établissement correctionnel pour adultes, soit dans un pénitencier si c’est une peine de plus de deux ans (art. 76).
La culpabilité morale dans le cadre d’une demande d’assujettissement à une peine adulte
Dans la décision R. v. McClements, le ministère public loge un appel à l’encontre du rejet de sa demande d’assujettissement à une peine adulte. La Cour d’appel du Manitoba, pour les motifs de la juge Hamilton, accueille l’appel et impose une peine d’emprisonnement à perpétuité à l’intimé, pour le meurtre au deuxième degré auquel il avait plaidé coupable en première instance. L’intimé, âgé de 17 ans et 4 mois au moment de l’infraction, a abattu un jeune homme dans la rue en tirant quatre ou cinq balles dans son dos. Un crime qualifié « d’inexplicable » et fait « sans raison apparente » par la juge de première instance. L’intimé faisait partie d’un gang de rue.
En appel, le ministère public reproche à la juge de première d’avoir erré en ne considérant pas la culpabilité morale de l’adolescent en application de l’article 72(1) LSJPA et plus particulièrement, de ne pas avoir analysé la première étape du test. Le ministère public reproche également à la juge d’avoir erré dans son analyse de l’imputabilité sous l’article 72(1)(b).
Dans son analyse du droit applicable, la Cour relève notamment les éléments suivants :
- L’article 72 LSJPA prévoit une analyse en deux étapes distinctes. Si le ministère public ne satisfait pas les deux étapes, une peine spécifique doit être imposée.
- La première étape du test, soit l’article 72(1)(a), nécessite que le ministère public repousse la présomption de culpabilité morale moins élevée en faisant la preuve que l’adolescent avait la capacité morale d’un adulte au moment de l’infraction. Les circonstances de l’infraction et de l’adolescent sont au cœur de cette analyse.
- Si le juge de première instance conclut que le ministère public a repoussé la présomption, il doit analyser la seconde étape du test, soit l’article 72(1)(b) et vérifier si une peine spécifique serait suffisante pour faire répondre l’adolescent de ses actes.
- Dans le cadre de cette deuxième étape, l’imputabilité (accountability) est l’équivalent du principe de châtiment pour un adulte.
- Bien que l’approche soit principalement centrée sur les circonstances de l’adolescent, les intérêts de la société demeurent importants, en particulier dans le cas d’un crime grave et violent.
- Une peine spécifique doit accomplir deux objectifs pour faire répondre un adolescent de ses actes. Premièrement, elle doit être suffisamment longue pour refléter la gravité de l’infraction et le rôle joué par l’adolescent. Deuxièmement, elle doit être suffisamment longue pour fournir une assurance raisonnable de la réadaptation de l’adolescent au point où il peut être réintégré en toute sécurité dans la société. Si le ministère public prouve que la peine spécifique ne serait pas assez longue pour atteindre l’un de ces objectifs, une peine adulte doit être imposée. (nos soulignements)
La Cour constate l’erreur manifeste de la juge de première instance dans ses motifs, celle-ci n’ayant pas fait référence à la première étape du test et ayant mis l’emphase sur l’imputabilité devant être analysée lors de la deuxième étape. De plus, la juge de première instance a fait défaut d’analyser l’imputabilité de façon complète et s’est limitée à vérifier si une peine spécifique serait d’une durée suffisante pour fournir une assurance raisonnable de la réadaptation de l’adolescent. L’analyse de la juge était donc incomplète à la lumière du droit applicable tel qu’exposé par la Cour.
La Cour, dans sa propre analyse de l’article 72(1) LSJPA, constate que le ministère public a repoussé la présomption de culpabilité morale moins élevée. La Cour retient notamment de la preuve le rapport d’un psychologue déposé en preuve faisant état que le mode de vie de l’adolescent était indépendant à un niveau qui excédait celui de ses pairs, en ce qu’il vivait comme un adulte. Cela reflète un degré de maturité et d’indépendance plus élevé que son âge. De plus, l’adolescent ne souffrait d’aucune déficience cognitive ou émotionnelle qui l’empêcherait d’apprécier les conséquences morales de ses actes.
Finalement, la Cour considère qu’une peine spécifique ne serait pas d’une durée suffisante pour refléter la gravité de l’infraction et le rôle joué par l’adolescent. La Cour relève de nombreuses décisions de jurisprudence où une peine adulte a été imposée pour meurtre au deuxième degré, notamment dans des cas de gang de rue. Pour la Cour, ces décisions démontrent que l’analyse de l’imputabilité tend à la conclusion qu’une peine adulte est nécessaire dans des cas de crimes violents et hautement moralement répréhensibles.
Ordonnance de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation pour meurtre au deuxième degré
Dans R. v. P.H., l’adolescent doit recevoir sa peine suite à une déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré. L’adolescent était âgé de 16 ans et 8 mois au moment du crime. Le ministère public demande l’imposition d’une peine pour adultes conformément à l’article 72 LSJPA, alors que l’adolescent propose plutôt l’imposition d’une ordonnance de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation sous 42(2)(r) LSJPA. Le ministère public convient que l’adolescent se qualifie pour cette peine selon 42(7) LSJPA.
L’adolescent a frappé la victime plusieurs fois à la tête avec un bâton de baseball. Il ne connaissait pas la victime, qui était initialement la cible d’un plan élaboré par l’adolescent et trois autres jeunes de lui voler un téléphone cellulaire et une montre. Le même soir, l’adolescent a contacté les policiers pour les informer de ce qu’il avait fait et s’est livré à ces derniers.
Le juge Bowden de la Cour suprême de Colombie-Britannique prend soin de noter qu’en raison de l’article 745.1(c) du Code criminel, et de la détention préventive purgée à ce jour qui serait déduite, l’adolescent passerait potentiellement moins de temps en placement sous garde avec l’imposition d’une peine pour adultes qu’avec l’imposition d’une peine spécifique. La différence notable entre les deux peines est à l’effet que l’adolescent demeurerait en libération conditionnelle à vie dans le cadre d’une peine pour adultes.
Le juge Bowden, après avoir analysé la conduite de l’adolescent, le profil de celui-ci, les évaluations déposées en preuve et les principes législatifs devant guider sa décision en vient à la conclusion que le ministère public n’a pas repoussé la présomption de culpabilité morale moins élevée et n’a pas démontré qu’une peine spécifique ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes.
Plus précisément quant au volet de la présomption de culpabilité morale moins élevée, le juge Bowden rappelle qu’afin de réfuter la présomption, le ministère public doit convaincre le tribunal qu’au moment de l’infraction, la preuve appuie la conclusion selon laquelle l’adolescent a démontré un niveau de maturité, de sophistication morale et une capacité de jugement d’un adulte. Le juge rappelle également que bien que les circonstances de l’infraction peuvent être pertinentes, elles ne doivent pas occulter les circonstances personnelles de l’adolescent. Quant à ce volet, le juge Bowden conclut que la conduite de l’adolescent démontre une immaturité et une impulsivité plutôt que la maturité ou la réflexion d’un adulte. Le juge retient également que l’adolescent manquait de maturité émotive et présentait maturité cognitive similaire aux autres adolescents de son âge.
Quant au volet de la durée suffisante de la peine spécifique, le juge Bowden mentionne l’importance des principes de proportionnalité, de réadaptation et de réinsertion sociale. Le juge passe ensuite en revue de nombreuses décisions dans des cas similaires, expliquant la pertinence de celles-ci afin de déterminer si une peine spécifique est suffisante pour faire répondre l’adolescent de ses actes. Le juge constate au terme de sa revue de la jurisprudence que même dans le cas d’un meurtre crapuleux, une peine spécifique a été jugée adéquate dans plusieurs cas.
Le juge arrive donc à la conclusion qu’une ordonnance de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation d’une durée de 7 ans, en plus du temps passé en détention préventive, est suffisante pour faire répondre l’adolescent de ses actes. Le juge fait le choix de n’accorder aucun crédit à la détention préventive. L’adolescent devra donc purger 4 ans en placement sous garde et la balance en liberté sous condition.
Appel d’une peine applicable aux adultes plus de trente ans après les faits
Dans R. v. Ellacott, Christopher Ellacott loge un appel à l’encontre de la peine applicable aux adultes d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant une période de sept ans reçue suite à une déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré. L’appelant a agressé sexuellement et tué sa voisine, une femme âgée de 70 ans, alors qu’il en avait 15 ans. Avant son arrestation, l’appelant avait échappé à la justice pendant près de 30 ans, le crime ayant été commis en 1983.
La victime était petite et fragile: elle pesait environ 100 livres et avait subi un accident vasculaire cérébral. Elle a été trouvée chez elle, en partie nue et allongée dans un bassin de sang. Elle avait des blessures défensives et avait été poignardée dans le cœur à plusieurs reprises. Sa veine jugulaire a été coupée. La preuve suggérait qu’elle avait été violée et sodomisée.
L’appelant reproche dans un premier temps au juge de première instance d’avoir omis de considérer si la présomption de culpabilité morale moins élevée avait été réfutée. Il argumente que le juge de première instance a plutôt directement passé à l’étape de vérifier si une peine spécifique ne serait pas d’une durée suffisante pour l’obliger à répondre de ses actes délictueux.
L’appelant reproche dans un deuxième temps au juge de première instance d’avoir utilisé son témoignage et sa négation de culpabilité comme facteurs aggravants.
L’appelant reproche finalement au jugement de première instance d’avoir omis de soupeser correctement les principes de réadaptation et de réintégration dans la société. Il se présente maintenant comme un homme bien établi dans la société et fait valoir qu’une peine pour adultes n’est pas nécessaire pour sa réadaptation ou pour la protection du public.
La Cour d’appel de l’Ontario, unanime sous la plume du juge Grant Huscroft, conclut que l’appelant a été correctement condamné comme un adulte. L’énormité du crime de l’appelant rend une peine spécifique manifestement insuffisante pour obliger l’appelant à répondre de ses actes délictueux.
Pour la Cour d’appel, il est implicite dans les motifs du juge de première instance lus dans leur ensemble que ce dernier avait conclu que la présomption de culpabilité morale moins élevée avait été réfutée. De plus, les circonstances de l’affaire étaient amplement suffisantes pour arriver à cette conclusion.
La Cour d’appel convient toutefois que le juge de première instance a erré dans ses remarques en lien avec la nature de la défense de l’appelant, compte tenu de la force de la preuve contre lui. Bien que le juge de première instance ait commis une erreur en utilisant le témoignage de l’appelant et son déni de culpabilité comme facteurs aggravants, l’erreur n’a aucune conséquence et la peine est néanmoins correcte. La Cour d’appel choisit de ne pas intervenir malgré cette erreur puisque la peine n’est pas déraisonnable à la lumière du principe de proportionnalité et qu’elle permet d’obliger l’appelant à répondre de ses actes délictueux.
Finalement, la Cour d’appel rejette l’argument de l’appelant voulant qu’une peine pour adultes ne soit pas nécessaire à la lumière de l’écoulement du temps et de son profil personnel actuel. La proposition de l’appelant fait fi de l’objectif de la loi qui vise à faire répondre un adolescent de l’infraction commise. Le juge de première instance n’a pas erré en concluant qu’une peine proportionnelle dans le cas de l’appelant devait passer par l’objectif de faire répondre celui-ci de ses actes plutôt que sa réadaptation et sa réinsertion.
Appel d’une peine applicable aux adultes d’une durée nette de trois ans
Dans R. v. K.O.-M., l’adolescente porte en appel la peine applicable aux adultes qui lui a été imposée suite à de nombreuses déclarations de culpabilité de matière de trafic humain et prostitution.
L’appelante, âgée de 15 ans au moment des infractions, forçait d’autres adolescentes à se prostituer. Si elles s’opposaient, l’appelante capturait des photos d’elles dans des situations sexuellement explicites et menaçait de les publier. Dans certains cas, l’appelante offrait alcool et drogue à ses victimes.
L’appelante s’est vue imposer en première instance une peine applicable aux adultes d’une durée de six ans et demi. Après déduction de la détention préventive, il lui restait trois ans à purger. Conformément à l’article 42(15) LSJPA, trois ans est la durée maximale que peut avoir une peine spécifique en pareilles circonstances.
L’appelante argumente donc que la peine spécifique aurait été d’une durée suffisante pour l’obliger à répondre de ses actes délictueux conformément à 72(1) LSJPA. En effet, en première instance, l’appelante demandait l’imposition d’une peine spécifique de trois ans, sans aucune déduction pour sa détention préventive. L’appelante argumente également que la juge de première instance a erré en refusant sa demande de ne pas déduire à sa peine la détention préventive purgée.
Après analyse, la Cour d’appel de l’Ontario rejette l’appel. Se basant sur le nouveau standard d’intervention en appel d’une peine établi par la Cour suprême du Canada dans R. c. Lacasse, la Cour conclut que la juge de première instance n’a commis aucune erreur de droit ou de principe dans son application de l’article 72 LSJPA ou dans le traitement de la détention préventive.
La Cour d’appel de l’Ontario rejette l’argument de l’appelante à l’effet que puisque l’équivalent d’une peine pour adulte de trois ans a été ultimement imposé, une peine spécifique de trois ans aurait été d’une durée suffisante pour l’obliger à répondre de ses actes délictueux. En effet, la juge de première instance, après analyse, a conclu qu’une peine de six ans et demi était nécessaire. Dans son esprit, une peine spécifique de trois ans n’était donc pas suffisante. La Cour rappelle certaines conclusions de la juge de première instance en citant cette dernière : « the sentencing judge found that the crimes were ‘vicious and premeditated acts designed to instill fear, shame, and dominance and to prevent the victims from escaping.’ »
Quant à l’argument visant la détention préventive, la Cour rappelle qu’en vertu de 38(3)(d) LSJPA, le juge a l’obligation de tenir compte du temps passé en détention préventive. Par contre, la Cour mentionne qu’il est bien établi que les juges de première instance ont toute la discrétion de déduire ou non, ainsi que de combien, la détention préventive purgée par un accusé.
Appel de la peine pour adulte dans le cas du triple meurtre à Trois-Rivières
Dans Sirois c. R., l’accusé loge un appel à la Cour d’appel du Québec de la peine applicable aux adultes qui lui a été imposée par le juge Bruno Langelier le 30 octobre 2015. Selon le juge de première instance, la poursuite a effectivement repoussé la présomption de culpabilité morale moindre et démontré que la peine spécifique prévue à l’alinéa 42 (q)(i) LSJPA, à savoir la peine maximale de 10 ans, qui consiste en une garde continue de 6 ans et d’une surveillance dans la collectivité de 4 ans, n’était pas, dans les circonstances, d’une durée suffisante.
Les faits très médiatisés se résument ainsi : le matin du 11 février 2014, le requérant et son complice B, tous deux alors âgés de moins de 18 ans, ont froidement abattu d’une balle dans la tête X, 17 ans, l’ami de cœur de X, Y, 17 ans, ainsi que la sœur de X, Z, 22 ans. Les meurtres, qui ont pris des allures d’exécutions sommaires, ont été perpétrés en moins de 30 secondes dans la résidence [de la famille A].
Le requérant reproche au premier juge les erreurs suivantes dans l’appréciation des critères énoncés au paragraphe 72(1) LSJPA, soit :
- D’avoir omis de prendre en considération sa maladie mentale et d’avoir associé le diagnostic de trouble de la personnalité limite à un facteur atténuant plutôt que de le considérer dans l’analyse de sa culpabilité morale;
- De n’avoir pas accordé suffisamment d’importance à son âge, à sa maturité et à sa personnalité;
- D’avoir rejeté l’opinion des quatre experts qui soutiennent qu’une peine spécifique est suffisante et de n’avoir pas accordé suffisamment d’importance à l’absence de risque de récidive en matière de violence;
- D’avoir accordé une importance indue à la gravité objective et subjective des infractions et conclu que le principe de proportionnalité de la peine a préséance sur les autres principes de détermination de la peine, incluant celui de la réhabilitation.
La Cour d’appel mentionne les éléments suivants avant de rejeter le pourvoi du requérant :
[37] Ainsi, pour justifier une intervention en l’espèce, le requérant doit démontrer la présence d’une erreur de principe ayant une incidence sur la détermination d’assujettissement à une peine pour adulte ou le caractère manifestement inapproprié de cette détermination.
[49] Le principe de proportionnalité requiert l’examen de la gravité de l’infraction, du degré de responsabilité du contrevenant et des circonstances aggravantes et atténuantes. Le requérant a donc aussi raison d’affirmer que la gravité du crime commis ne doit pas aveugler le Tribunal, au point de lui faire oublier les autres facteurs pertinents.
[51] Toutefois, contrairement à ce que plaide le requérant, l’importance accordée par le législateur au principe de réhabilitation et de réadaptation, tout comme à celui de la proportionnalité, ne doit pas être isolé ni prédominer sur les autres facteurs.
[61] S’il est vrai que le juge insiste sur certains facteurs reliés à la proportionnalité de la peine et au degré de responsabilité du requérant, il ne le fait pas en occultant les facteurs liés au principe de réhabilitation et de réadaptation.
[62] Ainsi, en l’espèce, malgré l’importance accordée par le juge à la gravité des infractions commises et au degré d’implication du requérant dans leur commission et malgré les quelques inexactitudes recensées et les nuances qui doivent être apportées à l’égard de certains des principes évoqués au jugement qui n’influent pas sur sa conclusion, force est de constater que son analyse est soignée, pondérée et nuancée.
[69] Le juge a considéré, comme il se devait, le trouble de personnalité comme un facteur atténuant […] au niveau de la culpabilité morale du requérant puisque la culpabilité morale est la seule considération à laquelle il est possible de rattacher le caractère atténuant du trouble psychologique.
[79] Les principes régissant l’appréciation des expertises et l’intervention de la Cour en pareille matière sont connus et ont été rappelés dans l’arrêt LSJPA‑088 :
- Le juge d’instance n’est pas lié par les témoignages des experts, comme pour tout autre témoin;
- L’appréciation de la valeur probante des témoignages d’experts revient au juge d’instance qui est dans une position privilégiée pour apprécier cette preuve qu’il a eu l’avantage d’entendre et d’examiner en profondeur;
- Il n’y a pas lieu pour un tribunal d’appel d’intervenir à moins d’une erreur manifeste et déterminante.
[87] En somme, la décision du juge est réfléchie et elle repose sur une analyse minutieuse de la preuve qui s’est révélée contradictoire à l’égard du pronostic de réhabilitation et du risque que représente le requérant pour l’avenir. Or, au-delà de l’argument portant sur le rejet non motivé des expertises qui lui sont favorables, lequel est non fondé, le requérant ne soumet aucun motif justifiant l’intervention de la Cour au regard de l’appréciation des expertises.
[88] À la lumière de ce qui précède, même s’il y a lieu d’accueillir la requête pour permission d’appeler, le requérant ne fait pas voir d’erreur de principe dans le jugement ni ne démontre le caractère manifestement inapproprié de la détermination d’assujettissement à une peine pour adulte de manière à justifier l’intervention de la Cour.
Appel d’une peine applicable aux adultes dans un cas de meurtre au premier degré
Dans R. v. M.W., deux accusés logent un appel à la Cour d’appel de l’Ontario à l’encontre de la peine applicable aux adultes imposée par le juge de première instance. Les appelants avaient été reconnus coupables de meurtre au premier degré pour avoir participé et développé un plan pour tuer la victime, bien que ce n’était pas eux qui avait fait feu.
En première instance, le juge avait fait droit à la demande du ministère public d’assujettir les accusés à une peine applicable aux adultes, alors que la défense proposait plutôt une peine de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation d’une période de dix (10) ans.
Deux motifs d’appel sont invoqués :
- Le juge de première instance a erré en concluant que les problèmes avec le programme intensif de réadaptation rendaient la peine spécifique inefficace en lien avec les principes de la peine.
- Le juge de première instance, en statuant sur la question de l’assujettissement à une peine pour adultes, a fait défaut de faire bénéficier les appelants de la présomption de culpabilité morale moins élevée.
La Cour d’appel de l’Ontario, sous la plume de la juge Gloria Epstein, conclut que l’appel doit être accueilli. La Cour accepte l’argument des appelants à l’effet que le juge de première instance a erré en concluant que le programme intensif de réadaptation ne permettrait pas leur réadaptation. En arrivant à cette conclusion, le juge de première instance s’est basé sur des craintes spéculatives liées à la bonne volonté des appelants de coopérer dans le cadre de la peine de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation, ainsi que d’autres hypothèses inexactes du juge sur la mise en œuvre et l’exécution de cette peine.
De l’avis de la cour, cette approche a entaché l’appréciation du juge de première instance quant à savoir si une peine spécifique dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation pour chaque appelant suffirait à atteindre les objectifs de détermination de la peine énoncés dans la LSJPA et, de l’avis de la cour, équivalait à une erreur réversible.
Ayant statué favorablement sur le premier motif d’appel, la Cour d’appel de l’Ontario ne répond pas au second motif, faute de nécessité. Elle mentionne toutefois que le fait pour le juge de première instance de ne pas avoir mentionné dans son jugement la présomption de culpabilité moins élevée constitue une préoccupation. Bien que l’infraction remonte à 2010 et que l’article 72 LSJPA ait été modifié depuis pour inclure expressément le critère de culpabilité morale moins élevée, la Cour d’appel d’Ontario rappelle que depuis l’arrêt R. c. D.B. de la Cour suprême du Canada, les juges de première instance se doivent de faire bénéficier tous les adolescents de la présomption de culpabilité morale moins élevée.
En conséquence, la Cour d’appel de l’Ontario renverse la décision de première instance d’imposer aux appelants une peine applicable aux adultes et substitue plutôt des peines de placement et surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation en vertu de 42(2)(r)(ii) LSJPA.