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Le Tribunal ne doit pas se fier à des mythes et préjugés en matière d’agression sexuelle

La Cour d’appel s’est prononcée à la fin du mois de septembre sur l’appréciation du témoignage d’une victime dans un procès d’agression sexuelle et d’inceste dont les faits remontent à plus de vingt (20) ans.

Dans un arrêt du 29 septembre 2022, la Cour d’appel était saisie d’un appel d’une décision de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, dans laquelle le juge avait acquitté l’intimé d’agression sexuelle et d’inceste. La victime avait témoigné de plusieurs événements à caractère sexuel ayant eu lieu alors qu’elle était âgée de 11 ans au courant desquels son frère de 13 ans l’avait notamment pénétré analement. La plaignante était la seule témoin du procès.

Le juge du procès avait déterminé que la plaignante était crédible et sincère, mais que sa mémoire était défaillante sur certains aspects, notamment qu’elle ne pouvait pas expliquer pourquoi son frère avait plusieurs préservatifs dans son tiroir de chambre. Le juge du procès reprochait également à la plaignante de ne pas se rappeler de certains détails, notamment les vêtements qu’elle portait lors des agressions. Il avait donc acquitté le frère en raison du manque de fiabilité du témoignage de la plaignante.

La Cour d’appel rappelle les principes applicables en matière de témoignage des personnes concernant des événements ayant eu lieu pendant leur enfance, notamment ceux ayant subis des abus sexuels durant leur enfance:

[22]      Selon l’arrêt W.(R.) le juge du procès devait déterminer s’il était surprenant que la plaignante ait oublié ces détails. En d’autres termes, « pour ce qui est de la partie de son témoignage qui porte sur les événements survenus dans son enfance, s’il y a des incohérences, surtout en ce qui concerne des questions connexes comme le moment ou le lieu, [le juge] devrait prendre en considération l’âge du témoin au moment des événements en question ». Or, le juge n’évalue pas cette question selon cette perspective et il avait l’obligation de le faire.

[23]   Les témoignages doivent être évalués selon les circonstances en tenant compte des forces et des faiblesses qui caractérisent les témoignages rendus dans une affaire donnée et non selon des règles inflexibles, des stéréotypes rigides ou des généralisations sans fondement factuel. Il est possible que les personnes ayant subi des abus sexuels répétés à l’enfance présentent une mémoire descriptive, selon un scénario sur les éléments centraux, en omettant des détails périphériques. Ainsi, le juge devait évaluer d’une manière particularisée l’importance dans le présent dossier de l’absence de détails sur des questions qui pouvaient être considérées comme secondaires.

Pour la Cour d’appel, le juge du procès commet une erreur de droit en n’appréciant pas le témoignage de la plaignante en fonction de son âge au moment des événements et en se fiant sur des mythes, des préjugés ou des généralisations qui n’ont aucun fondement factuel pour justifier sa décision.

La Cour d’appel considère que le juge du procès commet également une erreur de droit en exigeant que la poursuite prouve hors de tout doute raisonnable l’âge de l’accusé (au moins 12 ans) au moment des faits reprochés. La Cour rappelle que ce n’est pas un élément essentiel de l’infraction.

Si les principes appliqués par la Cour d’appel dans cet arrêt ne sont pas nouveaux, ils sont certainement d’actualité et il est important de les rappeler afin d’en être conscient lors du traitement des dossiers d’agressions sexuelles.

Fiabilité du témoignage de la victime adolescente

Dans l’arrêt Ménard c. R., un accusé porte en appel devant la Cour d’appel du Québec le verdict de culpabilité prononcé contre lui en lien avec le fait d’avoir, à des fins d’ordre sexuel, touché une partie du corps de la victime, alors âgée de moins de 16 ans.

Comme premier motif d’appel, l’appelant soutient que, vu qu’il n’a pas été contre-interrogé pendant son procès sur sa dénégation des faits, cela implique que son témoignage n’avait pas été ébranlé.  Ce motif est rapidement écarté par la Cour d’appel étant donné qu’il est commun qu’un témoin ne soit pas contre-interrogé et que ce fait à lui seul ne signifie pas que le témoignage doit être retenu comme étant crédible ou fiable.  Le juge du fond affirme: «La dénégation très générale de l’accusé a été faite et j’ai été en mesure d’observer l’accusé, a été faite du bout des lèvres, très timidement, sans grande conviction et était de manière très générale sans fournir aucune explication.»

Comme second motif d’appel, l’accusé dénote quatre contradictions entre le témoignage de la victime lors de l’audience et ses déclarations aux policiers.  Trois des contradictions ont été considérées comme portant sur des éléments secondaires (par exemple, sur le fait que la voiture de l’accusé soit en marche ou pas lorsqu’il s’est déboutonné le pantalon) et n’ont donc pas ébranlé l’évaluation de la crédibilité du témoignage de la victime.  La dernière contradiction a été jugée comme étant plus importante: la victime avait soutenu dans sa déclaration aux policiers que l’accusé avait éjaculé sur ses vêtements alors que, dans le cadre de son témoignage, elle a affirmé que ça avait plutôt eu lieu dans sa bouche.

Au sujet de cette dernière contradiction, le juge au fond avait écrit:

La version de la plaignante n’a pas été ébranlée dans son essence […] L’essence de ce témoignage c’est qu’ils sont allés, elle et l’accusé, en voiture dans un endroit isolé, qu’il a baissé ses pantalons, qu’il l’a forcée à faire une fellation et qu’il a éjaculé. Certaines incohérences ou contradictions peuvent très bien s’expliquer par le passage du temps alors que la plaignante, je le rappelle, n’avait que 15 ans à l’époque des événements.

La Cour d’appel fait donc preuve de déférence face à l’analyse de crédibilité qui avait été effectuée par le juge du fond et conclut qu’il n’y a pas eu d’erreur manifeste et déterminante quant à l’analyse de la crédibilité de la victime.

La délinquance sexuelle des adolescents: des auteurs québecois publient un ouvrage à la fine pointe des connaissances

La récente sortie, en avril 2012, du livre La délinquance sexuelle des mineurs, approches cliniques, sous la direction de Monique Tardif, Martine Jacob, Robert Quenneville et Jean Proulx, représente l’avancée des travaux menés au Québec  en matière d’évaluation et d’intervention auprès des adolescents auteurs d’infractions à caractère sexuel. Cet ouvrage s’adresse aux intervenants, gestionnaires, chercheurs et étudiants s’intéressant aux adolescents ayant commis ce type d’infraction. Mettant de l’avant les savoirs de cliniciens expérimentés et de chercheurs reconnus, tous étant à la fin pointe des connaissances en matière de délinquance sexuelle chez les adolescents, les auteurs apportent un éclairage nuancé et précis quant à l’évaluation et au traitement des adolescents ayant commis des infractions à caractère sexuel.

Le premier chapitre présente un vaste portrait descriptif des adolescents auteurs de ce type d’infraction, tandis que le deuxième chapitre, pour lequel la co-auteure, Martine Jacob du Centre jeunesse de Montréal Institut-Universitaire,   fournit un modèle décrivant de façon exhaustive les éléments qui doivent faire partie d’une bonne entrevue d’évaluation. On y précise non seulement les sphères de vie devant être abordées, mais on explique de plus les assises théoriques exigeant ces investigations ainsi que la posture, les attitudes et les techniques utiles au clinicien pour mener à terme une évaluation complète. Ce deuxième chapitre est une mine d’or pour tous les cliniciens souhaitant parfaire leurs connaissances en ce qui concerne l’évaluation d’une problématique sexuelle.

De manière plus générale, cet ouvrage s’intéresse bien sûr aux adolescents ayant commis une infraction à caractère sexuel, toutefois il a la particularité de considérer cette problématique de façon globale en s’attardant, notamment, à l’appréciation de la diversité des trajectoires que poursuivent les adolescents au cours de leur développement global, à la présence et à l’impact de la comorbidité entre la problématique sexuelle et d’autres problématiques, ainsi qu’à un variété d’approches concernant le traitement. On y aborde, de façon détaillée, différents modèles de traitement tel celui de la prévention de la rechute. Il y est aussi question de la thérapie individuelle, de groupe,  de l’intervention auprès des familles, de l’éducation psychosexuelle, des habiletés sociales, etc.

Le livre est disponible chez l’éditeur Les Presses de l’université de Montréal,  en version traditionnelle et en version numérique.

Un outil d’évaluation et d’intervention novateur au Centre jeunesse de Montréal-Institut Universitaire

Hier avait lieu le lancement d’un tout nouveau guide pratique visant à soutenir les intervenants travaillant auprès d’adolescents ayant commis une infraction à caractère sexuel. Ce guide a réuni, pendant près de deux ans, des chefs de service et des intervenants de la Direction des services spécialisés et des services aux jeunes contrevenants du CJM-IU, des chercheurs affiliés à l’UQAM et à l’Université de Montréal, tous poursuivant le même but : l’amélioration des pratiques cliniques auprès des jeunes contrevenants.

Les adolescents qui ont commis une infraction à caractère sexuel présentent des caractéristiques et des besoins diversifiés. L’équipe de rédaction du guide s’est donc intéressée aux trajectoires développementales multidimensionnelles de ces adolescents, plutôt qu’à un cadre théorique basé sur une typologie servant à classer ces adolescents.

 Le Centre Jeunesse de Montréal Institut-Universitaire s’est aussi référé à différents Centres jeunesse du Québec pour bonifier sa réflexion. Ainsi, le Centre jeunesse de la Montérégie, de la Mauricie-Centre-du Québec, de Québec-Institut Universitaire et du Saguenay-Lac St-Jean ont su, par leurs travaux respectifs, contribuer à améliorer la réflexion des concepteurs du guide.

Pour le développement d’un programme d’évaluation et d’intervention à la fine pointe des connaissances, l’équipe de rédaction a reçu, hier soir, le prix Raymond-Gingras, remis par la Fondation québécoise pour les jeunes contrevenants.

 Le guide est conçu pour évaluer et intervenir auprès des adolescents ayant commis une infraction à caractère sexuel et il est disponible pour tous les usagers du réseau RTSS par le catalogue Signal de la collection numérique des Centres jeunesse du Québec, en indiquant comme critère de recherche: Programme transversal pour les adolescents ayant commis une infraction à caractère sexuel.