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Confirmation d’un jugement en appel

Le 26 février 2024, la Cour d’appel rendait jugement dans une affaire où un adolescent s’est vu à la fois condamner sous la LSJPA et sous le régime adulte.

Dans cet arrêt, la Cour devait analyser les prétentions du ministère public à l’encontre de la décision sur la peine rendue par la juge de première instance. Les motifs d’appel concernaient l’application par cette dernière du principe de totalité, prévu au Code criminel et plus largement, l’étendue de la discrétion d’un tribunal de première instance lors de l’imposition d’une peine.

Les faits à l’origine de l’appel sont simples : la juge de première instance a imposé une peine spécifique à l’adolescent, en ordonnant par ailleurs que cette peine soit purgée de manière concurrente à une peine imposée antérieurement en vertu d’accusations sous le régime adulte.

Le ministère public en appelle de cette décision en soutenant que la décision d’imposer la peine spécifique de manière concurrente à l’autre peine constitue une erreur de principe et qu’en sus, la décision n’est pas suffisamment motivée.

En référant aux précédents pertinents, la Cour d’appel rappelle le processus qui doit être suivi par un juge chargé de déterminer la peine appropriée suite à une déclaration de culpabilité « dans le cas d’infractions multiples où les circonstances peuvent amener le juge d’instance à ordonner que les peines soient purgées de façon concurrente ou consécutive ». La Cour ajoute que même si un juge devait s’écarter de cette démarche, il n’en résulte pas nécessairement une erreur révisable et à cet effet cite un passage de l’arrêt R. c. Desjardins, rendu par cette même cour :

[43] Je ne propose pas une approche formaliste. Dans la mesure où les motifs concernant la détermination de la peine permettent de constater que la peine à l’égard de chacun des chefs a été établie de façon raisonnée et transparente et que la peine totale est le résultat de cet exercice, la méthode serait correcte.

[50] Cependant, le fait que le juge a employé la méthode de la peine globale ne signifie pas nécessairement que la peine totale imposée est manifestement non indiquée. Tel que le souligne le juge Rowe dans R. v. A.T.S.: « that does not automatically mean the trial judge’s sentence is ‘clearly unreasonable/demonstrably unfit.’ A trial judge may apply faulty methodology and yet impose a sentence that is reasonable, in the exercise of his/her discretion. »

Et d’ajouter, en citant l’arrêt R. c. Norbert, de cette même cour :

[6] L’article 718.3(4) C.cr. énonce quatre situations pour lesquelles un juge peut ordonner des périodes consécutives d’emprisonnement.  Dans les cas prévus à cet article, le juge possède un pouvoir discrétionnaire.  Toutefois, il doit s’assurer de l’impact total des peines que le contrevenant sera appelé à purger consécutivement et s’assurer que la période d’emprisonnement totale est juste et appropriée.  L’opportunité des peines consécutives doit être examinée à la lumière de l’article 718.3(4) C.cr. et le juge doit se garder d’imposer une peine globalement excessive.

En rappelant la déférence qui s’impose en pareille matière vis-à-vis une décision de première instance se prononçant sur la peine appropriée, la Cour rejette l’argument avancé par le ministère public.

Concernant la suffisance des motifs, la Cour convient que les motifs rédigés par la juge de première instance sont succincts et même « laconiques » à certains égards, mais conclut finalement que « même si elle est peu loquace, ses motifs au soutien de cette décision sont compréhensibles et ressortent du dossier ».

La Cour conclut son analyse en rappelant les principes de détermination de la peine applicables en matière jeunesse pour étayer davantage sa conclusion selon laquelle la peine globale n’est pas manifestement non-indiquée.

La Cour rejette ainsi l’appel logé par le ministère public.

9 ans pour un meurtre

Récemment, dans un dossier de meurtre médiatisé dont nous avions discuté ici il y a plusieurs mois, La Presse rapporte que l’adolescent vient d’écoper de sa peine.

Rappelons que l’adolescent a plaidé coupable à un chef de meurtre pour un événement survenu en septembre 2021.

Rappel des faits retenus par la Juge

Le soir du 7 septembre 2021, l’adolescent se rend armé d’une machette dans une résidence pour rejoindre des gens. Il dépose l’arme sur le sofa à son arrivée et n’y retouchera plus. Un conflit éclate entre la victime et une autre personne. L’adolescent s’insère dans l’empoignade et blesse la victime en lui lançant un verre de bière sur la tête. Le conflit se poursuit dans la cuisine entre la victime et une autre personne. L’adolescent reste dans le salon et n’est donc pas témoin de la scène. Quand la victime revient au salon, il saigne abondamment. Il restera assis par terre pendant au moins une heure. La victime tente une première fois de s’enfuir en courant dans les escaliers. L’adolescent de 17 ans la rattrape toutefois et lui donne une raclée. L’adolescent va même jusqu’à projeter la victime sur une porte-miroir. Il la traine alors à l’étage. La victime tente de nouveau de s’enfuir. C’est lors de cette seconde tentative qu’elle sera poignardé à plusieurs reprises dans le dos. L’adolescent, toujours dans le salon, ne prend pas part à cette agression. L’adolescent participe ensuite au nettoyage de la scène de crime. Il enveloppe le corps de la victime dans plusieurs couches de tissu et le dépose dans un baril dans le garage. Ce n’est que trois jours plus tard que les policiers découvriront le corps à la suite d’une dénonciation.

Finalement, la Couronne et la défense ont présenté une suggestion commune, qui a été entérinée par Madame la Juge Lachance, à savoir une peine de 9 ans, divisée en 5 ans de placement en garde fermée suivi de 4 ans de mise en liberté sous conditions. Rappelons qu’en vertu de l’article 42(2)q)i LSJPA, la peine maximale pour meurtre est de 10 ans.

Pour lire la décision intégrale, voir ici.

Demande d’absolution sous conditions en présence d’antécédents criminels de nature similaire

Dans LSJPA -2118, l’honorable Pierre Hamel, de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse analyse la demande d’absolution sous conditions d’un adolescent ayant plaidé coupable à une infraction de contacts sexuels et présentant des antécédents criminels de nature similaire.

Au soutien de sa demande, l’adolescent invoque l’impact négatif d’une déclaration de culpabilité sur ses objectifs professionnels ou personnels futurs, ainsi que le préjudice lié à l’accès à son dossier sur une période prolongée.

Le tribunal ne retient pas ces arguments, indiquant qu’au même titre qu’une ordonnance de probation, l’absolution sous conditions constitue une sanction et entraîne des conséquences semblables et bénéficie de protections similaires. En effet, l’adolescent, dans le cadre de la vie civile, pourra affirmer n’avoir jamais été reconnu coupable d’une infraction criminelle dès que la peine aura été purgée.

Également, l’accès aux renseignements relatifs à la déclaration de culpabilité d’un adolescent n’est accessible que par un nombre limité de personnes assumant des responsabilités dans l’application de la LSJPA ou relativement à l’exécution des peines imposées, et ce, pour des périodes de temps limitées.

Dans la présente situation, la période d’accès au dossier de l’adolescent s’il se voit imposer une absolution sous conditions est de trois ans, à compter de la déclaration de culpabilité, alors qu’elle serait de cinq ans, à compter de l’exécution de la peine spécifique, s’il se voit imposer une peine comportant une probation.

Le tribunal est donc d’avis que les protections relatives à l’accès au dossier et les interdictions relatives à la publication sont suffisantes pour protéger l’adolescent des stigmates qui pourraient résulter d’une déclaration de culpabilité et de l’imposition d’une peine.

Le Tribunal réitère les objectifs visés par une absolution, notamment, que celle-ci devrait être accordée aux adolescents ne présentant pas de risque de récidive ou un risque très faible, qui ont peu ou pas d’antécédents judiciaires ou lorsqu’il y a lieu de préserver l’adolescent des impacts néfastes que peut constituer une déclaration de culpabilité en soulignant judiciairement le caractère positif de sa personnalité et le peu de risque qu’il constitue pour la société.

Le tribunal estime que de manière générale, une absolution sous conditions ne devrait pas être imposée à un adolescent qui présente des antécédents criminels, de surcroit, s’ils sont de nature similaire.

Dans la situation qui nous occupe, l’adolescent avait déjà été déclaré coupable de contacts sexuels, incitation à des contacts sexuels, leurre informatique et séquestration et s’était vu imposer une probation de 18 mois. Au surplus, le tribunal souligne que l’adolescent était encore assujetti à une probation au moment de la commission de l’infraction.

Le tribunal indique finalement qu’en l’espèce, la responsabilité de l’adolescent est importante et aucun élément relié à sa condition personnelle ni certain déficit ne vient la diminuer, et donc, ne retient pas le critère de la personnalité positive de l’adolescent et sa bonne moralité, d’autant plus qu’il s’agit d’un contexte de récidive.

Dans ce contexte, le tribunal en arrive à la conclusion que l’absolution sous conditions ne constitue pas une sanction indiquée et qu’une période de probation doit être imposée à l’adolescent;

Une peine de probation pour diverses infractions de nature sexuelle

Dans LSJPA – 2121, l’adolescent doit recevoir sa peine suite à des plaidoyers de culpabilité, notamment pour contacts sexuels et incitation à des contacts sexuels. Les infractions concernent deux victimes. Les gestes sont sérieux (attouchements, baisers forcés, pénétration digitale et même relation sexuelle complète forcée). Les deux adolescentes victimes de ces gestes rapportent les conséquences importantes qu’ont eues ces gestes sur leur vie.

D’un côté, la poursuite plaide que seule une peine de placement sous garde est appropriée en l’espèce, alors que la défense réclame l’imposition d’une peine de probation assortie d’heures de travaux communautaires.

La juge Catherine Brousseau, de la Cour du Québec, rappelle que conformément au paragraphe 39(2) LSJPA :

Le Tribunal ne peut ordonner un tel placement que s’il en vient à la conclusion qu’aucune autre mesure de rechange, même combiné à d’autres, ne serait conforme aux principes et objectifs de détermination de la peine énoncés à l’article 38 de la loi.

Pour la juge Brousseau, plusieurs éléments doivent être pris en compte et militent en faveur du recours à des mesures alternatives au placement sous garde. Mentionnons notamment :

  • L’adolescent est sans antécédent judiciaire, a admis sa responsabilité et a collaboré au processus judiciaire;
  • La Directrice de la protection de la jeunesse est impliquée dans la vie de l’adolescent, qui est hébergé en centre de réadaptation;
  • L’adolescent évolue positivement et fonctionne bien en centre de réadaptation (foyer de groupe);
  • L’adolescent travaille son autonomie et a repris sa vie en mains;
  • L’adolescent a débuté un DEP en mécanique;
  • L’adolescent travaille les fins de semaine;
  • Une peine de placement sous garde priverait l’adolescent de sorties pendant le premier tiers de sa peine, ce qui serait contre-productif;
  • Rien n’indique que l’adolescent ne se conformerait pas à une peine ne comportant pas de mise sous garde;
  • L’adolescent a exprimé des remords sincères et s’est excusé aux victimes par lettres;

En terminant, la juge Brousseau rappelle qu’une revue de la jurisprudence permet d’ailleurs de constater que dans des cas similaires, d’autres options que la mise sous garde ont été envisagées. C’est pourquoi elle ordonne à l’adolescent de se soumettre à une probation avec suivi d’une durée de dix-huit (18) mois ainsi que d’exécuter 180 heures de travaux communautaires.

Le principe de retenue lors d’un assujettissement à une peine pour adultes

Dans R. v. Desir, l’adolescent loge un appel à l’encontre de la peine applicable aux adultes qu’il a reçue en première instance. L’adolescent a plaidé coupable à dix (10) chefs d’accusation, tous liés à des vols qualifiés avec usage d’une arme à feu à autorisation restreinte. Les vols visaient des bijouteries, ont été commis dans une succession rapide et étaient bien planifiés. Au moment des infractions, l’adolescent n’avait aucun antécédent et était âgé de seize (16) ans. Pour ces infractions, il s’est vu imposer une peine pour adultes globale de sept (7) ans de pénitencier.

L’adolescent argumente notamment en appel que la juge de première instance aurait fait défaut d’appliquer le principe de retenue lors de l’imposition de la peine, voulant qu’une première peine de pénitencier pour un délinquant en bas âge devrait être la plus courte possible. Il demande donc une réduction de peine afin de réduire la durée à six (6) ans.

La Cour d’appel de l’Ontario juge valable l’argument de l’appelant quant à cette question. La Cour rappelle que la durée d’une première peine de pénitencier pour un délinquant en bas âge devrait rarement être déterminée uniquement par les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Ce principe se reflète aux articles 718.2(d) et (e) du Code criminel.

Pour la Cour d’appel, la juge de première instance a commis une erreur en faisant défaut de mentionner et d’appliquer ce principe à la situation de l’adolescent. La Cour mentionne :

Le principe de retenue sert à minimiser la peine d’un jeune délinquant sans antécédent en ce qu’elle oblige le juge qui prononce la peine à considérer toutes les sanctions alternatives à l’incarcération et lorsque l’incarcération est requise, à rendre la peine aussi courte que possible et l’adapter aux circonstances individuelles du délinquant. (notre traduction)

Reconnaissant entre autre les progrès importants effectués par l’adolescent depuis son incarcération et les perspectives positives quant à sa réadaptation, la Cour accueille l’appel et réduit la peine d’incarcération globale à six (6) ans, soit une réduction d’une (1) année.

L’assujettissement pour la pire fusillade de masse de l’histoire de Toronto

Dans R. v. Owusu, l’adolescent maintenant adulte loge un appel à l’encontre de la peine applicable aux adultes qu’il s’est vu imposer en décembre 2016 pour des accusations, notamment, de meurtre au second degré et tentative de meurtre.

Les infractions dont l’adolescent a été déclaré coupable sont liées à la pire fusillade de masse de l’histoire de Toronto, alors que l’adolescent, âgé de 17 ans, a ouvert le feu lors d’une fête où il n’était pas le bienvenu. Deux personnes sont mortes et plus d’une vingtaine ont été blessées, dont un enfant âgé de moins de deux ans.

L’argument principal en appel de l’adolescent est à l’effet que le juge de première instance aurait erré en imposant une peine applicable aux adultes parce qu’il comprenait mal l’ordonnance de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation (42(2)r) LSJPA) et a conclu qu’elle ne serait pas une peine efficace dans les circonstances. L’appelant appuie son argumentaire sur la décision R. v. M.W. que nous avons traitée en 2017.

Au moment de recevoir sa peine en 2016, l’adolescent était désormais âgé de 21 ans et allait donc devoir purger sa peine dans un établissement correctionnel pour adultes. Le juge de première instance a conclu qu’une peine spécifique en vertu de 42(2)r) LSJPA verrait son efficacité entravée parce que l’adolescent serait tenu de purger sa peine dans un établissement provincial pour adultes conformément à l’art. 89 de la LSJPA et perdrait le financement/la programmation lié à sa peine si une ordonnance l’obligeait à purger sa peine dans un pénitencier fédéral.

La Cour d’appel de l’Ontario conclut toutefois que l’appel de l’adolescent doit être rejeté. Elle ne voit aucune erreur méritant son intervention et identifie des différences importantes entre la situation de l’adolescent et celle traitée dans l’arrêt R. v. M.W. La cour conclut ainsi :

In summary, there is no basis to interfere with the sentencing judge’s conclusions that the Crown had rebutted the presumption of reduced moral culpability; that only an adult sentence would hold the appellant accountable for his role in the events that led to two murders and more than 20 people being injured; that only an adult sentence was commensurate with the damage that was done; and, that only an adult sentence would provide for the ongoing supervision of the appellant he found necessary.

La Cour d’appel de l’Ontario écarte ensuite les autres arguments secondaires de l’adolescent pour finalement rejeter son appel et confirmer la peine imposée en première instance.

Le processus de transition de genre dans la détermination de la peine

Dans LSJPA – 213, l’adolescent loge un appel à la Cour d’appel du Québec à l’encontre de la peine de placement sous garde et surveillance de 12 mois imposée en première instance. Ce dernier avait plaidé coupable à un chef d’agression sexuelle et un chef de voies de fait.

Parmi les arguments de l’adolescent, celui-ci reproche au juge de première instance d’avoir omis de tenir compte du principe d’individualisation de la peine en lien avec le processus de transition de genre qu’il traversait au moment des infractions. Ce processus lui causait, selon ses dires, une grande détresse psychologique qui le rendait plus vulnérable.

La Cour d’appel confirme qu’il s’agit d’un facteur pertinent dont le juge de première instance aurait dû tenir compte et donc, qu’il commet une erreur de principe.

Toutefois, la Cour ne modifie pas la peine, cette erreur n’ayant eu aucune incidence sur la détermination de la peine. Au vu de l’ensemble de la preuve, la Cour conclut qu’il est permis d’inférer que le juge de première instance n’ait pas été convaincu de l’incidence du processus de transition de genre de l’adolescent sur la commission des crimes, d’une gravité très élevée.

Détermination de la peine en matière sexuelle

Dans R. v. C.Z., l’honorable Judith Doulis de la Cour provinciale de Colombie-Britannique doit imposer une peine à un adolescent désormais âgé de 18 ans, reconnu coupable d’agression sexuelle pour des faits survenus alors qu’il était âgé de 16 ans. La victime était alors âgée de 14 ans. L’adolescent est un jeune autochtone qui souffre de divers troubles neurodéveloppementaux, physiques et psychologiques. Son enfance a été marquée par la violence familiale, la pauvreté, l’instabilité résidentielle, la consommation d’alcool par ses parents, les abus physiques et sexuels. Une suggestion commune d’une probation d’une durée de vingt-quatre (24) mois est soumise par les parties.

Tout en entérinant la suggestion commune des parties, la juge Doulis analyse de façon extensive les principes de détermination de la peine, particulièrement en matière sexuelle. Elle rappelle que la détermination de la peine en vertu de la LSJPA dépend du contexte. Il s’agit d’un processus hautement individualisé qui dépend de l’infraction, des circonstances de l’infraction et des circonstances du contrevenant.

La juge Doulis fait une revue élaborée des différentes peines imposées par les tribunaux à un adolescent en matière sexuelle où la victime est également jeune. Les peines imposées varient grandement, allant de l’absolution conditionnelle à l’ordonnance de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation. Nombreux sont les juges ayant imposé une peine de probation ou de placement sous garde et de surveillance. Cette revue de la jurisprudence peut s’avérer utile dans l’élaboration d’une fourchette de peines pour des faits similaires (38(2)b) LSJPA).

Pour la juge Doulis, cette disparité dans les peines imposées par les tribunaux s’expliquent par les disparités dans les circonstances de :

  1. L’infraction : la nature de l’infraction, la fréquence des faits reprochés, les dommages causés à la victime, la durée des abus, un bris de confiance envers la victime, la présence de coercition, la présence de violence gratuite, si les faits surviennent au domicile de la victime, etc.
  2. L’adolescent : son âge au moment des faits et au moment de l’imposition de la peine, sa participation à l’infraction, la situation de confiance envers la victime, sa santé physique, mentale et émotionnelle, ses antécédents, son statut autochtone, son degré de consanguinité avec la victime, le soutien de sa famille et de sa communauté, la durée des conditions de mise en liberté, ses efforts en vue d’une réadaptation, son risque pour le public, ses remords, etc.
  3. La victime : son âge, le nombre de victimes, sa vulnérabilité, les impacts chez la victime, l’impact sur la communauté, etc.

Une analyse de ces éléments s’avère nécessaire dans l’imposition d’une sanction juste et appropriée.

Les rapports Gladue

Tel qu’il a déjà été abordé ici, le tribunal chargé d’imposer une peine spécifique à un délinquant autochtone doit tenir compte de ses besoins particuliers et doit examiner toutes les sanctions envisageables ne comportant pas de placement sous garde (articles 3(1) c) (iv), 38(2) d) et 50(1) LSJPA et 718.2 e) Code criminel). Suivant les enseignements de la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Gladue et R. c. Ipeelee, dans le cadre de la détermination de la peine à être imposée à un délinquant autochtone, le tribunal doit prendre en compte les facteurs systémiques ou historiques particuliers qui peuvent avoir eu un impact sur la trajectoire de de vie l’adolescent autochtone et expliquer en partie sa présence devant le tribunal. Le tribunal doit également analyser les types de procédures et de sanctions qui pourraient être appropriées à l’égard de l’adolescent en raison de son héritage ou de ses attaches autochtones. Pour ce faire, le tribunal devrait prendre connaissance des facteurs systémiques et historiques généraux touchant les autochtones, et de la priorité donnée dans les cultures autochtones à une approche corrective de la détermination de la peine. Ces renseignements peuvent être soumis au tribunal par le biais d’un rapport (communément appelé « rapport Gladue ») ou des observations présentées par les avocats ou la communauté autochtone du délinquant.

Dans un rapport mis à jour au mois de décembre 2019, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès (CERP) fait le point sur l’utilisation des rapports Gladue au Québec. On y rapporte qu’en moyenne, 123 rapports Gladue sont produits par année à travers la province en matière de justice criminelle pour les adultes. En matière de justice pénale pour les adolescents, aucun rapport Gladue n’aurait été demandé aux Services parajudiciaires autochtones du Québec. Le Ministère de la Justice et le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec n’ont pas formulé de recommandations quant à leur utilisation. Il semblerait que l’utilisation de ce type de rapport s’avère exceptionnelle.

Dans le reste du pays, il est possible de répertorier quelques décisions rendues en vertu de la LSJPA où un rapport Gladue fut produit et pris en compte par le tribunal au stade de la détermination de la peine. Une de celles-ci fut notamment discutée ici. D’autres décisions analysent les facteurs Gladue sans préciser qu’un tel rapport fut officiellement soumis au tribunal.

Il est à noter qu’en matière de justice pénale pour les adolescents, un rapport prédécisionnel confectionné par le Directeur provincial et faisant état de la situation personnelle de l’adolescent et de sa famille est régulièrement soumis au tribunal avant que celui-ci ne prononce une peine spécifique. Cela explique potentiellement le faible recours aux rapports Gladue lorsque le délinquant concerné est d’origine autochtone.

Pour plus de détails concernant les rapports Gladue, veuillez consulter la fiche LSJPA : la trousse sur ce sujet

La popularité des absolutions se maintient

Il semble que de plus en plus en décisions en matière d’absolution inconditionnelle ou conditionnelle soient rendues par la Cour du Québec, chambre de la jeunesse depuis environ deux ans. Cette tendance avait été soulignée lors de la Journée des juristes LSJPA du 11 novembre 2020. Voir à cet effet les décisions LSJPA – 1936, LSJPA – 1956 et LSJPA – 208.

Dans LSJPA – 2018, l’adolescent doit recevoir une peine suite à son plaidoyer de culpabilité à une infraction de voies de fait ayant causé des lésions. Il s’agit d’une agression gratuite « à la blague » en milieu scolaire. Les conséquences pour la victime ont été importantes : douleurs, hospitalisation, opération, physiothérapie, suivi médical régulier. L’adolescent a posé un geste dénotant une certaine immaturité, mais lourd de conséquences pour la victime et lui.

La poursuite recommande au tribunal l’imposition d’une peine de probation sans suivi d’une durée d’une année, ainsi qu’une peine de travaux bénévoles pour un total d’heures oscillant entre 70 et 90. La défense recommande plutôt une absolution inconditionnelle, argumentant principalement que l’adolescent ne pourra travailler auprès des enfants dans le cadre de ses emplois s’il a une déclaration de culpabilité à son actif.

L’adolescent présente un profil positif. Il est âgé de 15 ans au moment des événements. Il reconnaît les faits et est sans antécédent judiciaire. Il ne présente aucun trouble de comportement. Il offre une bonne collaboration depuis le moment de son arrestation. À titre de geste de réparation, il offre sa première paie aux parents de la victime. Il éprouve par ailleurs des remords. Le risque de récidive est pratiquement inexistant.

La juge Lisa Leroux doit donc analyser les principes et objectifs de la détermination de la peine afin de rendre la peine spécifique appropriée. Elle rappelle d’emblée qu’il est bien connu que l’imposition d’une absolution inconditionnelle comme peine spécifique ne revêt pas un caractère exceptionnel. Elle ne peut toutefois être imposée que si elle est préférable pour l’adolescent et non contraire à l’intérêt public (42(2)b) LSJPA).

En raison du profil fortement positif de l’adolescent, la juge Leroux conclut qu’une absolution inconditionnelle serait préférable pour lui.

[51] Toutefois, accorder l’absolution inconditionnelle serait de ne pas prendre en compte la gravité objective de l’infraction, des dommages considérables et toujours d’actualité subis par la victime et dont l’adolescent est l’unique responsable. De l’avis du Tribunal, cela s’avère contraire à l’intérêt public. Cette suggestion n’est donc pas retenue.

[…]

[53] L’absolution conditionnelle est une peine plus clémente qu’une ordonnance probatoire qui respecte les objectifs et les principes de la Loi. Elle permet à l’adolescent de réparer indirectement, mais concrètement, ses torts face au geste qu’il a commis. Elle répond aussi aux critères de justesse et de proportionnalité, elle tient compte de la responsabilité unique de l’adolescent, de la gravité objective de l’infraction de même qu’à l’étendue des dommages importants subit par la victime. Cela favorise sa réadaptation, le Tribunal estime que l’adolescent sera un actif positif pour la société dans quelques mois.

La juge impose donc à l’adolescent une peine d’absolution conditionnelle aux conditions de faire un don de 100$ via l’Organisme de Justice Alternative et l’exécution de 20 heures de travaux bénévoles, dans un délai de 6 mois.