Archives d’auteur : Me Jeanne Tugault
Un constat préoccupant quant au taux de détention des Autochtones, particulièrement des Inuits
La semaine dernière, La presse rapportait qu’un Inuit sur 20 a déjà été détenu au cours de la période d’un an s’échelonnant du 31 mars 2021 au 31 mars 2022. Ce taux est près de deux fois supérieur à celui de tous les autres groupes autochtones, et de 15 fois plus élevé que la moyenne provinciale. Ce constat est fort préoccupant.
Les Inuits représentent moins de 0,16 % de la population québécoise, mais comptent pour 2,45 de la population carcérale; ils forment aussi 12,4 % de la population autochtone au Québec, mais ils comptent pour 35 % de la population carcérale autochtone dans les prisons québécoises. Malheureusement, ces chiffres ne sont pas décortiqués par groupe d’âge, donc nous n’avons pas la statistique pour les adolescents Inuit. Il y a fort à parier que ces chiffres soient aussi très élevés.
Le manque de ressources serait au cœur du problème. La Presse rapportait que les programmes visant à prévenir les crimes ou à détourner les contrevenants du système judiciaire ne sont pas souvent disponibles dans le Nunavik, où vit la majorité des Inuits de la province. De plus, contrairement aux Cris, les Inuits n’ont pas pris en charge l’administration de la justice. En mai 2022, le Service de police du Nunavik ne comptait que 4 agents inuits sur les 88 qu’ils employaient, alors que la population de la région est inuite à 90 %. Finalement, il n’existerait aucune prison au Nunavik. Les détenus doivent souvent être emprisonnés à plus de 1000 kilomètres de chez eux.
AVIS DE PROBLÈME TECHNIQUE
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MISE A JOUR EN DATE DU 6 MARS: LE PROBLEME TECHNIQUE EST RESOLU.
Le tribunal décline juridiction pour procéder à un examen de peine déposé après l’expiration de ladite peine
Dans une décision rendue publique récemment, la Cour du Québec devait trancher une question intéressante.
L’adolescente avait déposé une demande d’examen au tribunal après la date de fin de sa peine. Le DPCP et le DP argumentaient que le tribunal n’avait pas compétence pour procéder à l’examen puisque la demande n’était pas recevable, puisque déposée après la fin de l’ordonnance. L’adolescente soutenait pour sa part que l’article 59 LSJPA ne précise pas de délai dans lequel cette demande doit être faite. Le Tribunal aurait donc la compétence pour agir, selon elle.
Les faits étaient les suivants : le 10 mars 2022, l’adolescente reçoit une peine d’absolution conditionnelle, dont la condition est de réaliser 75 heures de travaux bénévoles dans un délai de six mois. Le délai expire donc le 9 septembre 2022. Or, le 20 septembre 2022, donc plusieurs jours après l’expiration du délai, l’adolescente dépose une demande d’examen en vertu de l’article 59 LSJPA, invoquant son travail et des problèmes de santé pour expliquer son manquement à effectuer les travaux bénévoles.
La juge se range de l’opinion du DPCP/DP et en vient à la conclusion que la notion de prolongation telle que prévue à 59 LSJPA implique nécessairement que la peine soit toujours en vigueur. En gros, la juge s’exprime ainsi :
[12] Les termes de l’article 59 (7) de la LSJPA laissent peu de place à une autre interprétation. Qu’il s’agisse du texte français ou anglais, la loi précise que Tribunal a compétence pour confirmer la peine, l’annuler (terminate) ou la modifier. Conséquemment, qu’importe la demande que l’adolescent fait, il faut que la peine existe pour que le Tribunal puisse agir. La peine qui a cessé de produire ses effets ne peut pas être soumise à une demande d’examen.
(…)
[19] De plus, lorsque le Tribunal fait bénéficier un adolescent d’une peine d’absolution c’est qu’il a confiance en son sens des responsabilités. Après coup, l’adolescent ne peut plaider sa négligence pour demander que la peine renaisse ou soit plus sévère afin d’obtenir un délai additionnel pour faire face à ses obligations. Une telle interprétation contreviendrait au principe de la responsabilisation qui est aussi inscrit dans la loi. (nos soulignements)
Dans une autre affaire assez similaire d’examen d’absolution conditionnelle datant de 2018, le tribunal n’avait pas décliné compétence, mais a contrario de la présente affaire, la demande en examen avait été déposée avant la fin de la peine.
Subsidiairement, la juge conclut que même si elle avait compétence, l’adolescente a été négligente et aurait dû agir promptement.
Le port du masque de procédure empêche t il le tribunal d’apprécier la crédibilité d’un témoin?
Dans une décision récente, la juge Bolduc a dû trancher une objection assez inusitée.
Dans cette affaire, l’accusé faisait face à des accusations d’agressions sexuelles. Le Ministère public demandait que l’enregistrement vidéo de la déclaration de la plaignante, mineure, soit admis en preuve, conformément à 715.1 Code criminel. La déclaration de la victime avait été enregistrée environ 10 mois après les faits reprochés.
L’accusé s’objectait au dépôt de l’enregistrement video au motif que la victime portait un masque de procédure (conformément aux règles sanitaires applicables à ce moment) couvrant une partie de son visage, le privant ainsi de son droit à une défense pleine et entière. Pour l’accusé, le fait que le visage de la victime ne soit pas visible dans son ensemble portait aussi atteinte à la bonne administration de la justice puisque le juge serait empêché de constater les expressions faciales du témoin, et ainsi d’apprécier sa crédibilité. L’accusé alléguait également que le fait que l’enquêteuse soit à plus de 2 mètres (mesures sanitaires obligent) et donc hors du champ de la caméra lui portait également préjudice. Finalement, sans s’objecter formellement pour ce motif, l’accusé questionnait également le caractère raisonnable du délai de 10 mois.
Rappelons que l’article 715.1. du Code criminel permet à certaines conditions de déposer l’enregistrement video de l’entrevue faite avec une victime mineure :
Témoignages — victimes ou témoins âgés de moins de dix-huit ans
715.1 (1) Dans les procédures dirigées contre l’accusé, dans le cas où une victime ou un témoin est âgé de moins de dix-huit ans au moment de la perpétration de l’infraction reprochée, l’enregistrement vidéo réalisé dans un délai raisonnable après la perpétration de l’infraction reprochée et montrant la victime ou le témoin en train de décrire les faits à l’origine de l’accusation est, sauf si le juge ou le juge de paix qui préside est d’avis que cela nuirait à la bonne administration de la justice, admissible en preuve si la victime ou le témoin confirme dans son témoignage le contenu de l’enregistrement.
Pour le ministère public, toutes les conditions de 715.1. étaient remplies.
Au terme de son analyse, la Juge rejette l’objection de l’accusé et autorise le dépôt de la video policière. La Juge s’exprime ainsi :
[21] Ainsi, l’objectif premier visé par l’article 715.1. du Code criminel est de préserver le meilleur récit ou le meilleur souvenir des événements de la victime ou du témoin afin de pouvoir aider à la découverte de la vérité.
[22] Cette disposition permet aux enfants et aux adolescents, pour qui il est souvent difficile de faire face au processus judiciaire, de rendre témoignage et d’être entendu de la manière la plus fiable possible.
[23] Pour être admissible en preuve, le Ministère public doit établir, selon la balance des probabilités, les quatre éléments prévus à l’article 715.1 du Code criminel.
[24] D’abord, la victime ou le témoin doit être âgé de moins de 18 ans au moment de la perpétration de l’infraction reprochée. En l’espèce, la plaignante avait 16 ans.
[25] Il doit être ensuite démontré que l’enregistrement vidéo de la déclaration a été réalisé dans un délai raisonnable après la perpétration de l’infraction reprochée. En l’espèce, les faits reprochés se sont produits le 27 juillet 2020, et l’enregistrement de la déclaration, 10 mois plus tard, soit le 26 mai 2021.
[26] La plaignante explique qu’elle a continué de côtoyer l’accusé à la suite de l’incident. Elle a ressenti de la honte et de la culpabilité. Elle s’est finalement confiée à un ami, qui en a parlé à l’éducatrice du milieu scolaire, et la mère a été informée de la situation. Rapidement, les policiers ont été contactés, soit le 12 mai 2021, puis la plaignante a été rencontrée par l’enquêteuse, qui a procédé à l’entrevue vidéo quelques jours plus tard, soit le 26 mai.
[27] Le législateur n’a pas précisé ce que constitue un délai raisonnable pour procéder à l’enregistrement de la déclaration vidéo, laissant au juge des faits l’appréciation de celui-ci à la lumière des circonstances propres à l’affaire.
[28] En l’espèce, un délai de 10 mois apparaît raisonnable considérant notamment la nature de l’infraction reprochée et la proximité entre l’accusé et la plaignante. Cette dernière explique qu’elle connaissait l’accusé depuis environ un an et demi. Bien qu’ils ne fréquentaient pas la même école, elle l’avait côtoyé à plusieurs occasions, notamment lors de partys, et le considérait comme un ami. Elle mentionne aussi avoir été sous le choc à la suite de l’incident.
[29] Le Ministère public doit établir, comme troisième élément, que l’enregistrement vidéo montre la victime ou le témoin en train de décrire les faits à l’origine de l’accusation.
[30] Dans la présente affaire, le visionnement de l’entrevue permet de voir la plaignante relater les faits qui ont conduit à l’accusation portée contre l’accusé. Toutefois, celle-ci porte un masque de procédure qui lui couvre la bouche et le nez, en raison des règles sanitaires strictes alors en vigueur. C’est principalement cette situation qui mène à la contestation de la part de l’accusé.
[31] L’accusé soumet que l’enregistrement vidéo de la déclaration de la plaignante ne devrait pas être admis en preuve pour valoir son témoignage puisque cela nuirait à la bonne administration de la justice et affecterait l’équité du procès. Il soutient que le fait que la plaignante porte un masque de procédure opaque le prive, de même que le juge, de pouvoir apprécier sa crédibilité en observant notamment ses expressions faciales.
[36] Dans l’affaire qui nous occupe, l’article 715.1. du Code criminel permet, à certaines conditions, que soit utilisé pour valoir le témoignage de la plaignante au procès l’enregistrement vidéo de la déclaration qu’elle a fournie à l’enquêteuse. Cela équivaudrait donc à permettre son témoignage alors que son visage était partiellement couvert d’un masque de procédure opaque.
[37] L’article 715.1 prévoit cependant que l’utilisation de l’enregistrement vidéo pour valoir le témoignage de la victime ou du témoin est conditionnelle au fait qu’elle ou qu’il confirme dans son témoignage au procès le contenu dudit enregistrement.
[38] Ainsi, dans la présente affaire, la plaignante sera présente au procès, pour rendre témoignage. Elle sera également disponible pour être contre-interrogée par la défense, et à cette occasion, elle déposera à visage découvert. Il sera donc possible, tant pour l’accusé que le juge, d’observer ses expressions faciales et les changements dans son comportement qui sont susceptibles d’avoir un impact sur l’appréciation de sa crédibilité.
[39] Il faut par ailleurs garder à l’esprit que la crédibilité d’un témoin ne s’évalue pas uniquement par ses expressions faciales, mais aussi, de façon non limitative, par la façon dont elle rend témoignage, par sa façon de répondre aux questions, de livrer son récit, par ses hésitations, sa voix, ou son langage corporel. De nombreux éléments doivent ainsi être considérés, et la façon dont a été captée la déclaration de la plaignante et celle dont sera tenu le procès en l’espèce permettront au juge de pouvoir procéder à une telle évaluation.
[40] Il faut se rappeler qu’il appartient au juge du procès d’évaluer, à la lumière de l’ensemble de la preuve reçue, la valeur probante des différents témoignages entendus. (nos surlignements)
Pour lire la décision intégrale, c’est par ici.
9 ans pour un meurtre
Récemment, dans un dossier de meurtre médiatisé dont nous avions discuté ici il y a plusieurs mois, La Presse rapporte que l’adolescent vient d’écoper de sa peine.
Rappelons que l’adolescent a plaidé coupable à un chef de meurtre pour un événement survenu en septembre 2021.
Rappel des faits retenus par la Juge
Le soir du 7 septembre 2021, l’adolescent se rend armé d’une machette dans une résidence pour rejoindre des gens. Il dépose l’arme sur le sofa à son arrivée et n’y retouchera plus. Un conflit éclate entre la victime et une autre personne. L’adolescent s’insère dans l’empoignade et blesse la victime en lui lançant un verre de bière sur la tête. Le conflit se poursuit dans la cuisine entre la victime et une autre personne. L’adolescent reste dans le salon et n’est donc pas témoin de la scène. Quand la victime revient au salon, il saigne abondamment. Il restera assis par terre pendant au moins une heure. La victime tente une première fois de s’enfuir en courant dans les escaliers. L’adolescent de 17 ans la rattrape toutefois et lui donne une raclée. L’adolescent va même jusqu’à projeter la victime sur une porte-miroir. Il la traine alors à l’étage. La victime tente de nouveau de s’enfuir. C’est lors de cette seconde tentative qu’elle sera poignardé à plusieurs reprises dans le dos. L’adolescent, toujours dans le salon, ne prend pas part à cette agression. L’adolescent participe ensuite au nettoyage de la scène de crime. Il enveloppe le corps de la victime dans plusieurs couches de tissu et le dépose dans un baril dans le garage. Ce n’est que trois jours plus tard que les policiers découvriront le corps à la suite d’une dénonciation.
Finalement, la Couronne et la défense ont présenté une suggestion commune, qui a été entérinée par Madame la Juge Lachance, à savoir une peine de 9 ans, divisée en 5 ans de placement en garde fermée suivi de 4 ans de mise en liberté sous conditions. Rappelons qu’en vertu de l’article 42(2)q)i LSJPA, la peine maximale pour meurtre est de 10 ans.
Pour lire la décision intégrale, voir ici.
Arrêt des procédures ordonné pour un adolescent dont le droit au silence a été bafoué de façon flagrante lors de son interrogatoire
Dans une décision récente et fort intéressante, l’Honorable juge Savard de la Cour du Québec accueille une demande en arrêt de procédures, au motif que le droit au silence de l’adolescent avait été bafoué par la policière ayant procédé à son interrogatoire. La juge devait également trancher un voir dire sur l’admission en preuve de déclarations du jeune en vertu de 146 LSJPA.
Les faits étaient les suivants: l’adolescent faisait face à un chef d’accusation d’agression sexuelle et avait seulement 14 ans au moment de son interrogatoire. Le 18 octobre 2021, il se présente au poste de police accompagné de sa mère pour l’exécution d’un mandat visé contre lui, mandat signé par un juge. Il est alors mis en état d’arrestation et interrogé pendant une période de 6 heures 17 minutes.
La chronologie précise de l’interrogatoire est importante au dénouement de l’affaire donc nous la résumons ici. Dès son entrée en salle d’interrogatoire vers 9h22, la juge retient que l’accusé demande la présence de sa mère pour l’assister, demande qu’il va réitérer à 6 reprises avant qu’elle ne soit finalement accordée vers 11h31 (donc deux heures plus tard). Ce n’est qu’à 15h23 que l’adolescent est informé qu’il sera remis en liberté sous conditions. L’accusé a également été informé de ses droits constitutionnels. Toutefois, pendant sa détention, l’accusé va mentionner à la policière à pas moins de 15 reprises qu’il veut garder le silence, qu’il n’a rien à dire, qu’il ne veut pas parler et qu’il ne veut pas répondre aux questions. Malgré ces protestations répétées, la policière continue l’interrogatoire. De plus, elle utilise plusieurs techniques questionnantes, notamment d’invoquer à tort que de l’ADN de l’accusé a été trouvé dans la trousse médicolégale de la victime, qu’elle sait qu’il ment, que le juge ayant émis le mandat visé pense qu’il s’agit d’un dossier « très clair » etc. Finalement, vers 14h46, sans s’admettre coupable, l’adolescent finit par faire une déclaration incriminante.
La juge réitère d’abord les protections particulières s’appliquant aux adolescents, qui sont jugés plus vulnérables à la pression policière, et elle s’exprime ainsi quant aux faits de l’affaire en l’espèce:
[77] (…) il y a lieu de s’interroger sur le respect du droit de l’adolescent d’être assisté par sa mère, et ce, dès le moment de son arrestation. L’explication donnée par l’enquêtrice pour ne pas faire droit à la demande de l’accusé dès son arrestation ne peut justifier un tel refus. Elle explique avoir attendu que le volet informationnel soit terminé, car elle voulait s’assurer que l’accusé comprenait bien ses droits et surtout qu’il ne se sentait pas mal à l’aise de discuter des faits (de nature sexuelle) devant sa mère. Il devait donc être informé qu’à tout moment, il pouvait demander l’exclusion de sa mère.
[78] Avec respect, ceci aurait très bien pu être fait en présence de la mère ou encore juste avant qu’elle entre en salle d’interrogatoire. L’accusé connaissait ses droits puisqu’il avait consulté un avocat avant la rencontre et l’enquêtrice en avait été informée. Il était bien au fait que sa mère pouvait l’assister et c’est exactement la première demande qu’il a formulée. L’enquêtrice a fait fi des demandes multiples de l’accusé et ce faisant, elle a omis de mettre en œuvre les protections spéciales accordées aux adolescents.
[79] Par ce refus, l’accusé s’est retrouvé dans une situation de grande vulnérabilité et de stress. L’enquêtrice aurait dû faire droit immédiatement à sa demande d’être assisté par sa mère. L’enquêtrice a fait fi de son droit, et ce, basé sur sa propre interprétation subjective des besoins de l’accusé. Elle aurait dû écouter et faire droit à la demande de l’accusé.
[80] Mais ceci n’est que la pointe de l’iceberg. L’interrogatoire qui va s’en suivre pendant près de quatre heures est un cas flagrant de violation par l’enquêtrice du droit au silence de l’accusé.
[81] Le Tribunal ne peut pas, comme le fait valoir la poursuite, isoler en séquences l’interrogatoire de l’accusé. C’est le contexte global de cette détention prolongée que le Tribunal doit analyser pour évaluer si, par sa conduite, l’enquêtrice a violé le droit de l’accusé de garder le silence. Agir autrement déconsidérerait grandement la valeur à accorder aux droits fondamentaux protégés par la Charte en plus de banaliser les gestes répréhensibles de l’État. L’interrogatoire de l’accusé doit être analysé comme un tout. C’est le cumul des violations commises par l’enquêtrice qui rend répréhensible sa conduite. (…)
Ensuite, la juge analyse les principes dégagés par la jurisprudence en matière d’interrogatoire et retient:
[89] La Cour suprême a réitéré à plusieurs reprises l’importance que revêt l’interrogatoire dans le travail d’enquête des policiers. Le droit d’un accusé de garder le silence ne lui accorde pas le droit de ne pas se faire adresser la parole par les policiers.
[90] Dans l’arrêt Hebert, la Cour souligne toutefois l’importance que l’enquête policière se fasse dans le respect des droits fondamentaux du prévenu. Il doit y avoir un juste équilibre entre les intérêts de la personne détenue et ceux de l’État. On y énonce que « la persuasion policière qui ne prive pas le suspect de son droit de choisir ni de son état d’esprit conscient ne viole pas le droit de garder le silence ». Il y a toutefois des limites : « Si le suspect choisit de faire une déclaration, il peut le faire. Mais si le suspect choisit de ne pas en faire, l’État ne peut pas utiliser son pouvoir supérieur pour faire fi de la volonté du suspect et nier son choix ».
[91] La question suivante se pose : jusqu’à quel point peut-on user de persuasion envers l’accusé qui souhaite choisir le silence pour la convaincre de passer aux aveux sans brimer son libre arbitre?
[92] La Cour d’appel répond à cette question dans R. c. Otis. La Cour y dégage certains principes afin de mieux comprendre l’étendue du pouvoir de persuasion:
1) Il est légitime de donner l’opportunité aux policiers de poursuivre leur enquête afin d’obtenir des aveux;
2) En dépit des aveux spontanés qui peuvent toujours survenir, l’expérience démontre que c’est l’interrogatoire qui généralement permet de convaincre une personne de passer aux aveux;
3) Tout en concédant aux policiers le pouvoir de persuader une personne de passer aux aveux en dépit de son intention exprimée de garder le silence, doit être prise en compte la position de force qu’occupe celui qui interroge le sujet qui est en situation de dépendance;
4) Quand une personne fait valoir son droit, on ne peut l’ignorer et agir comme si elle y avait renoncé;
5) Dans l’état actuel du droit, ce sont à la fois les facteurs objectifs et subjectifs qui doivent être examinés dans la détermination du caractère volontaire des aveux, règle qui met essentiellement en cause ce qui a influé sur le libre arbitre;
6) Outre la règle énoncée au paragraphe précédent, la Charte garantit à la personne détenue son droit au silence et quand elle choisit le silence, « l’État ne peut utiliser son pouvoir supérieur pour faire fi de la volonté du suspect et nier son choix »;
7) Si à l’égard de l’al. 10 b), les policiers ont l’obligation d’accorder à la personne détenue ou arrêtée une possibilité raisonnable de consulter un avocat sans délai, ils doivent donc suspendre leur interrogatoire jusqu’à ce que cette personne ait eu cette possibilité raisonnable.
[93] Dans cette même décision, la Cour, se référant à l’arrêt R. c. Liew, rappelle qu’il n’est pas nécessaire de faire la preuve d’un climat d’oppression pour établir la violation du droit au silence.
[94] Dans Buttino c. R., la Cour d’appel note que la persuasion policière à des limites. Est interdite « la persuasion policière qui prend la forme de pression ou contrainte, physique ou psychologique, ou toute ruse ou stratagème qui prive de fait le suspect de son droit de choisir librement ou de conserver son choix ». La Cour souligne que « le droit au respect de son choix n’est pas, pour reprendre cette métaphore, un parapluie qu’on enlève lorsqu’il pleut ».
(nos soulignements).
Au terme de son analyse détaillée, la juge conclut que seul le droit au silence a été violé, que la conduite de l’État est choquante et abusive, qu’elle mine l’intégrité du processus judiciaire et doit être dénoncée, et que seul un arrêt des procédures peut constituer le remède approprié. Elle conclut aussi que les prescriptions de l’article 146 LSPJA n’ont pas non plus été respectées et que la déclaration n’était pas libre et volontaire. Conséquemment, elle ordonne un arrêt des procédures.
L’arrêt Friesen et les peines rendues en vertu de la LSJPA
Dans une décision récente, la Cour du Québec a du se pencher sur la peine appropriée à infliger à un adolescent coupable d’agression sexuelle.
La trame factuelle est la suivante: l’adolescent, 16 ans aux moment des faits, plaide coupable d’avoir agressé sexuellement sa meilleure amie, elle aussi âgée de 16 au moment des faits. Essentiellement, l’accusé a eu des relations sexuelles complètes avec sa victime alors qu’il croyait celle-ci endormie. La victime présentait plusieurs séquelles en lien avec l’agression subie.
Le débat se situait au niveau de la peine: la poursuite réclamait une peine de garde de 4 mois à être purgée en milieu fermé suivie d’une période de probation de 24 mois, tandis que la défense proposait 120 heures de travaux bénévoles et une probation de 24 mois avec suivi. L’auteur du rapport pré décisionnel soumis recommandait quant à lui une probation de 24 mois avec suivi de même que l’accomplissement de travaux bénévole. Une peine de garde ou pas: telle était la question. La poursuite invoquait notamment les principes de l’arrêt de la Cour suprême dans R. c. Friesen pour justifier sa demande de garde.
D’abord, la juge Beaumont réitère certains principes propres au sentencing en LSJPA, pour conclure que la garde au sens de l’article 39(1)a) LSJPA serait possible en l’espèce compte tenu que l’agression sexuelle répond à une « infraction avec violence ». Aux paragraphes 14 à 19, la juge ajoute toutefois:
[14] La Cour suprême dans l’arrêt R. c. C.D.K de 2005 confirme l’objectif de restreindre le recours à la garde pour les jeunes soumis à la LSJPA.
[15] Cette même cour écrit en 2006 dans l’arrêt R. c B.W.P que la dissuasion générale ne constitue pas un principe de détermination de la peine sous le régime actuel. Le législateur favorise plutôt la protection du public en s’attaquant aux causes sous-jacentes à la criminalité chez les adolescents en mettant l’accent sur leur réadaptation et leur réinsertion sociale.
[16] La poursuite dépose au soutien de sa demande de garde fermée une décision de la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse qui condamne un adolescent à une peine de garde fermée pour une infraction de la même nature et présentant des faits similaires à la présente cause.
[17] Or, cette décision a été cassée en appel le 10 juin 2022 et la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a substitué à la peine de garde une peine de 12 mois de probation avec différentes conditions.
[18] Dans cette affaire, la Cour d’appel reconnaît que l’agression sexuelle est intrinsèquement violente, doit être dénoncée et cause des préjudices importants aux victimes. Toutefois, elle invite les tribunaux à la prudence dans l’utilisation de l’arrêt Friesen en matière de délinquance juvénile. En effet l’arrêt Friesen concerne des peines à donner à des adultes coupables de crimes sexuels envers des enfants selon des principes de détermination de la peine qui ne s’appliquent pas aux adolescents.
[19] Ainsi, les principes qui régissent la détermination de la peine en vertu de la Loi ne sont en aucun cas atténués ou modifiés par l’arrêt Friesen qui ne doit pas servir de prétexte pour imposer une peine plus sévère aux adolescents. (nos soulignements)
Après avoir soupesé l’ensemble de la preuve, notamment le fait que rien n’indiquait que l’adolescent ne se soumettrait pas à une peine ne comportant pas de garde, la juge se rend à l’opinion de l’auteur du rapport pré décisionnel et ordonne une peine de 24 mois de probation et 175 h de travaux bénévoles.
Délinquance juvénile: constats et facteurs de risque
Le mois de novembre 2022 est riche en matière de publications portant sur la délinquance juvénile et nous vous proposons aujourd’hui d’en découvrir une.
Comme nous le savons tous, la délinquance juvénile avant un phénomène accessoire à l’adolescence: entre 80 % à 95 % des personnes âgées entre 12 et 18 ans reconnaissent avoir posé une action interdite par la loi au moins une fois. La distribution de la délinquance peut être illustrée sous la forme d’un « U » inversé : les premiers agirs apparaissent vers 12 ans, atteignent un sommet à 16 ans et se résorbent au début de la vingtaine. Autre fait intéressant au niveau de la courbe de distribution: une majorité d’adolescents commettent peu de délits, et une minorité en commet beaucoup. De plus, ce n’est généralement qu’un phénomène passager puisque ce n’est que 5 % à 10 % des adolescents contrevenants qui persisteront dans une trajectoire criminelle à l’âge adulte. Généralement, la délinquance juvénile cible les biens plutôt que les personnes, et les infractions sont commises sans grande planification. Les jeunes tendent à agir impulsivement et sont guidés par le principe du « ici et maintenant ».
Malheureusement, pour une minorité d’adolescents, la délinquance s’installera plus durablement. Qui sont ces jeunes et quels sont les facteurs de risque associés à une telle persistance? Comment prédire une telle trajectoire? La recherche a fait ressortir plusieurs facteurs de risque prédictifs d’un engagement profond dans la délinquance, que nous pouvons résumer ainsi:
Sur le plan individuel:
- être un garçon;
- avoir commis ses premiers délits à un âge précoce (avant 12 ans);
- présenter certains traits de personnalité antisociaux et une agressivité précoce;
Sur les plans familial et social:
- évoluer dans un système familial caractérisé par l’engagement de membres de la famille dans la criminalité;
- l’exposition à la violence et aux conflits parentaux récurrents, subir des abus physiques et de la négligence, de même que de la discipline inconséquente/manque de supervision parentale ;
- au niveau scolaire: cumuler de mauvaises performances/ des échecs répétés, rejeter l’autorité et l’absence d’attachement à l’école;
- consommation de substances;
- fréquenter de pairs délinquants et s’associer aux réseaux délinquants;
- absence d’investissement dans un loisir et ou activité pro sociale ;
- vivre dans une communauté économiquement défavorisée.
Et après?…Heureusement, le désistement d’une telle trajectoire délinquante est possible et fait partie de la démarche de réinsertion. Ce processus de désistement n’est pas linéaire et comprend généralement trois phases: un changement de comportement, une adoption de rôle pro social, puis le développement d’un nouveau sentiment d’appartenance.
*Cet article se veut un résumé d’un article publié par l’Institut universitaire Jeunes en difficulté en novembre 2022 et disponible ici: BRISEBOIS, René-André, La délinquance juvénile : ses particularités et ses causes
Retour sur la journée des juristes LSJPA 2022
Le 26 octobre dernier s’est tenue en mode hybride la sixième édition de la journée des juristes LSJPA.
La journée a débuté avec la maintenant « traditionnelle » revue de la jurisprudence récente en matière de la LSJPA, dispensée par Me Tiago Murias et la soussignée.
Ensuite, Me Sandra Couture (Justice Canada) a présenté les grandes lignes d’un rapport portant sur la mobilisation des jeunes noirs et le système de justice pénale. Ce rapport explore les difficultés rencontrées par les jeunes noirs, leur trajectoire et leur surreprésentation dans le système, et certaines des solutions proposées.
La première conférence de l’après midi, intitulée L’état de la situation- usage criminel des armes à feu, a été donnée par le SD Dubé. Le sergent détective a présenté les statistiques récentes en matière d’usage d’armes à feu, leur usage, et les marqueurs de changement en la matière (glorification et banalisation de l’usage, influence des réseaux sociaux, phénomène de « courtage », plus grande intensité, fabrication illicite et artisanale d’armes à feu).
La deuxième conférence, dispensée par Me Jeanne Mageau Taylor (Justice Canada), a porté sur le droit de la justice juvénile mexicain dans une perspective de droit comparé. Me Mageau a également expliqué les tenants et aboutissants d’un projet de coopération judiciaire Canada-Mexique sur la justice juvénile auquel elle a participé directement dans le cadre de son travail.
La journée s’est terminée par une présentation intitulée La créativité dans l’application de la LSJPA, dispensée par cinq acteurs du système. Les participants ont partagé leur expérience positive dans la gestion créative du cas particulier d’un adolescent suivi en LSJPA.
La date de l’édition 2023 de la Journée des juristes n’est pas encore arrêtée, mais elle vous sera communiquée via ce blog dès qu’elle sera fixée.
Nous remercions les conférenciers et les nombreux participants, notamment pour leur patience face aux difficultés informatiques rencontrées au courant de la journée.
Avis aux participants : les présentations power point et les attestations de présence suivront dans les prochaines semaines.
Peine maximale pour un homicide involontaire coupable
En lien avec une affaire que nous avions commentée ici à l’automne dernier, le jugement sur la peine a été rendu hier au palais de justice de Laval.
Rappelons que l’adolescent a été acquitté de meurtre, mais trouvé coupable d’homicide involontaire, pour avoir poignardé à mort son ami dans un parc dans ce qui semble avoir été une bagarre ayant mal tourné. Il avait 16 ans aux moments des faits.
Pour cette infraction, la peine maximale est effectivement de 3 ans de garde et surveillance en vertu de l’article 42(2)o) LSJPA. Contrairement à la peine infligée sous 42(2)n), le juge n’est pas lié par le principe « 2/3 garde 1/3 surveillance ». En effet, l’article 42(2)o) se lit:
42(2) o) dans le cas d’une infraction prévue aux articles 239 (tentative de meurtre), 232, 234 ou 236 (homicide involontaire coupable) ou 273 (agression sexuelle grave) du Code criminel, l’imposition, par une ordonnance de placement et de surveillance, d’une peine maximale de trois ans à compter de sa mise à exécution, dont une partie est purgée sous garde de façon continue et, sous réserve du paragraphe 104(1) (prolongation de la garde), l’autre en liberté sous condition au sein de la collectivité aux conditions fixées conformément à l’article 105; (nos surlignements)
La Juge Perreault a tranché le débat en ordonnant la peine maximale, soit 36 mois de garde et surveillance dont 26 mois en garde fermée, période suffisamment longue pour effectuer un long travail de réhabilitation. La Juge retient aussi l’opinion de la délégué jeunesse selon laquelle le risque de récidive est modérée (et non faible), et souligne le manque de responsabilisation et de progrès suffisants du jeune homme en centre de réadaptation. Rappelons qu’en vertu de l’article 105 (1) LSJPA, environ un mois avant la fin de sa période de garde, le jeune homme devra être amené par la directrice provinciale devant un juge afin que celui-ci fixe les conditions applicables aux dix mois restants de mise en liberté .
La décision intégrale est disponible ici.