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Confirmation d’un jugement en appel

Le 26 février 2024, la Cour d’appel rendait jugement dans une affaire où un adolescent s’est vu à la fois condamner sous la LSJPA et sous le régime adulte.

Dans cet arrêt, la Cour devait analyser les prétentions du ministère public à l’encontre de la décision sur la peine rendue par la juge de première instance. Les motifs d’appel concernaient l’application par cette dernière du principe de totalité, prévu au Code criminel et plus largement, l’étendue de la discrétion d’un tribunal de première instance lors de l’imposition d’une peine.

Les faits à l’origine de l’appel sont simples : la juge de première instance a imposé une peine spécifique à l’adolescent, en ordonnant par ailleurs que cette peine soit purgée de manière concurrente à une peine imposée antérieurement en vertu d’accusations sous le régime adulte.

Le ministère public en appelle de cette décision en soutenant que la décision d’imposer la peine spécifique de manière concurrente à l’autre peine constitue une erreur de principe et qu’en sus, la décision n’est pas suffisamment motivée.

En référant aux précédents pertinents, la Cour d’appel rappelle le processus qui doit être suivi par un juge chargé de déterminer la peine appropriée suite à une déclaration de culpabilité « dans le cas d’infractions multiples où les circonstances peuvent amener le juge d’instance à ordonner que les peines soient purgées de façon concurrente ou consécutive ». La Cour ajoute que même si un juge devait s’écarter de cette démarche, il n’en résulte pas nécessairement une erreur révisable et à cet effet cite un passage de l’arrêt R. c. Desjardins, rendu par cette même cour :

[43] Je ne propose pas une approche formaliste. Dans la mesure où les motifs concernant la détermination de la peine permettent de constater que la peine à l’égard de chacun des chefs a été établie de façon raisonnée et transparente et que la peine totale est le résultat de cet exercice, la méthode serait correcte.

[50] Cependant, le fait que le juge a employé la méthode de la peine globale ne signifie pas nécessairement que la peine totale imposée est manifestement non indiquée. Tel que le souligne le juge Rowe dans R. v. A.T.S.: « that does not automatically mean the trial judge’s sentence is ‘clearly unreasonable/demonstrably unfit.’ A trial judge may apply faulty methodology and yet impose a sentence that is reasonable, in the exercise of his/her discretion. »

Et d’ajouter, en citant l’arrêt R. c. Norbert, de cette même cour :

[6] L’article 718.3(4) C.cr. énonce quatre situations pour lesquelles un juge peut ordonner des périodes consécutives d’emprisonnement.  Dans les cas prévus à cet article, le juge possède un pouvoir discrétionnaire.  Toutefois, il doit s’assurer de l’impact total des peines que le contrevenant sera appelé à purger consécutivement et s’assurer que la période d’emprisonnement totale est juste et appropriée.  L’opportunité des peines consécutives doit être examinée à la lumière de l’article 718.3(4) C.cr. et le juge doit se garder d’imposer une peine globalement excessive.

En rappelant la déférence qui s’impose en pareille matière vis-à-vis une décision de première instance se prononçant sur la peine appropriée, la Cour rejette l’argument avancé par le ministère public.

Concernant la suffisance des motifs, la Cour convient que les motifs rédigés par la juge de première instance sont succincts et même « laconiques » à certains égards, mais conclut finalement que « même si elle est peu loquace, ses motifs au soutien de cette décision sont compréhensibles et ressortent du dossier ».

La Cour conclut son analyse en rappelant les principes de détermination de la peine applicables en matière jeunesse pour étayer davantage sa conclusion selon laquelle la peine globale n’est pas manifestement non-indiquée.

La Cour rejette ainsi l’appel logé par le ministère public.

Rare rejet de la suggestion commune sur la peine concernant un adolescent

Dans une décision récente, le juge Eric Hamel écarte une suggestion commune sur la peine. Le juge souligne même qu’en 10 ans, c’est seulement la deuxième fois que cela lui arrive. On vous explique pourquoi dans ce billet.

Rappel des faits. L’accusé X a plaidé coupable à deux infractions, soit avoir été en possession d’une arme dans un dessein dangereux (un couteau) et de menaces de mort à l’égard de la victime, Z (menaces faites à personne interposée). Le tout s’est déroulé dans un contexte scolaire et sur toile de fond de disputes entre gangs rivaux émergents.

Les parties avaient convenu de la suggestion commune suivante suite à production d’un rapport pré décisionnel: un an de PASI (Programme d’assistance et de surveillance intensive). Par contre, fait important pour le juge: en interrogatoire, l’auteure du rapport pré décisionnel avait changé d’avis et après réflexion, elle suggérait plutôt une peine de 6 à 9 mois de garde et surveillance.

Notons que selon les enseignements de la Cour suprême, lorsqu’un juge refuse de suivre une suggestion commune, il est tenu de s’expliquer et de donner aux parties la chance de s’exprimer. La Cour suprême a reconnu que l’effet obligatoire des ententes sur le plaidoyer est une question d’importance capitale en ce qui a trait à l’administration de la justice, car elle rend le système équitable et efficace en permettant de régler la grande majorité des affaires pénales. Les suggestions communes peuvent toutefois être écartées si le juge estime que la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle est contraire à l’intérêt public.

Selon le juge, la preuve révélait que X n’allait clairement pas respecter les conditions du PASI et n’avait pas non plus respecté les conditions de sa remise en liberté (quoique non dénoncé par sa mère). Ces deux faits n’avaient pas été tenus en compte par les parties. L’adolescent valorisait un mode de vie délinquant- affichant d’ailleurs fièrement faire partie d’un gang émergent- en plus d’être explosif, oisif, et immature. Pour le juge, la personne raisonnable perdrait confiance en l’administration de la justice si le tribunal entérinait la suggestion commune d’un an de PASI.

Après analyse détaillée, le juge ordonne plutôt une peine de mise sous garde différée d’une période de six mois, suivie d’une probation de six mois.

Rare demande de maintien sous garde accueillie

Dans une décision très récente relative à l’article 98(1) LSJPA, la juge Gravel avait à se prononcer sur demande de maintien sous garde d’un adolescent. Notons que de telles demandes sont très rares, et le fardeau de preuve à remplir par le poursuivant est très lourd. Il faut en effet démontrer avoir des motifs raisonnables de croire que l’adolescent pourrait perpétrer une infraction avec violence avant l’expiration de sa peine, et que des conditions étroites de surveillance ne pourraient pas empêcher le passage à l’acte.

L’adolescent en question purgeait une peine de garde pour menaces de mort, bris de probation et possession de cannabis. Il avait de lourds antécédents. Il s’agissait de menaces envers le personnel du centre de réadaptation (tuerie de masse).

Or, l’adolescent avait confié à un intervenant qu’à sa sortie du centre, il allait terminer ce « qu’il avait commencé » (paroles sujettes à interprétation). Une lettre et un plan de tuerie avaient également été découverts. Le jeune manifestait des comportements d’agressivité en centre et un manque d’empathie.

De son côté, l’adolescent banalisait la gravité de ses gestes et affirmait n’avoir nullement l’intention de passer à l’acte.

Parlant d’un maintien sous garde, la juge souligne « qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle car l’application de la période de surveillance dans la collectivité demeure la règle et on ne peut y déroger que lorsque la sécurité du public l’exige. » La juge considère toutefois que la lettre et le plan d’action trouvés sont extrêmement inquiétants, surtout considérant le parcours du jeune et son profil.

La juge accueille la demande et ordonne le maintien de l’adolescent en garde fermée durant toute la période de surveillance obligatoire.

Demande d’assujettissement rejetée

Le 31 août dernier, la Cour de justice de l’Ontario rendait publics les motifs du juge A.A. Ghosh relativement à une demande de la Poursuite d’assujettir un adolescent à une peine applicable aux adultes.

Pour rappel, l’article 72 (1) de la LSJPA prévoit que le tribunal pour adolescents doit être convaincu de l’existence des deux conditions cumulatives suivantes afin d’assujettir un adolescent à une peine applicable aux adultes :

a) la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent est réfutée;

b) une peine spécifique conforme aux principes et objectif énoncés au sous-alinéa 3(1)b)(ii) et à l’article 38 ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux.

Concluant que la Poursuite a satisfait au premier critère, le juge se tourne vers le second aspect de l’analyse.

Les accusations portées contre l’adolescent concernent une possession d’arme à feu chargée et de cocaïne en vue d’en faire le trafic et une décharge d’arme à feu avec insouciance. L’adolescent est bien connu des services policiers et du juge lui-même, ayant de multiples antécédents judiciaires et des tendances criminelles bien documentées.

Il s’agit d’un adolescent aux prises avec une histoire psychosociale complexe et démontrant une certaine capacité à bénéficier de la réadaptation. On retiendra également que l’adolescent est, au moment de l’imposition de sa peine, sous détention provisoire depuis 20 mois. Il s’agit cependant aussi d’un adolescent peu enclin à intégrer des valeurs prosociales en communauté et bien ancré dans un cycle criminogène.

Le juge prend soin de rappeler les enseignements de la Cour d’appel de l’Ontario sur la notion de responsabilisation – accountability – liée à l’analyse du deuxième critère de l’article 72 de la LSJPA:

[40] Our Court of Appeal has identified accountability in the YCJA context as the equivalent to the adult sentencing principle of retribution. Further, it recognized the close connection between moral culpability and retribution. Retribution represents an objective, reasoned and measured determination of an appropriate punishment which properly reflects the “moral culpability of the offender, having regard to the intentional risk-taking of the offender, the consequential harm caused by the offender and the normative character of the offender’s conduct”.

Une peine spécifique sous la LSJPA est-elle conséquemment suffisante pour obliger cet adolescent à répondre de ses actes délictueux? Le juge conclut par l’affirmative, notamment en se prêtant à une analyse comparative de la peine adulte qui pourrait être imposée en circonstances connexes.

Bien qu’il admette que la suggestion de peine adulte formulée par la Poursuite se situe dans une fourchette raisonnable (6-7 ans de pénitencier), le juge conclut que la jurisprudence milite en faveur d’une peine plus courte, entre 5 et 6 ans de pénitencier. En tenant compte de la période purgée par l’adolescent sous détention provisoire et en accordant un crédit supplémentaire pour cette période, le juge infère que l’imposition d’une peine spécifique de placement et de surveillance de 3 ans, comme le prévoit la Loi, équivaut à toutes fins pratiques à la durée d’une peine adulte appropriée en les circonstances.

Le juge conclut ainsi:

[70] In imposing such a sentence, I will have effectively sentenced H.A.Q. under the youth regime to some semblance of a 5-and-a-half-year custodial term, mindful of the presentence custody. I find that is within the lower end of the available range for a young adult in similar circumstances. As unwieldly as that observation admittedly is, it signals that such a youth sentence is of sufficient length to hold this young person accountable for the serious offences he has committed.

Pour lire la décision, c’est ici.

Une peine de garde et surveillance pour un voleur de chiot

Digne du scénario des 101 Dalmatiens, les faits à l’origine de cette affaire sont inusités. En effet, l’accusé s’était présenté chez un éleveur pour lui voler des chiots, qui étaient à vendre pour 3000$ chacun. Devant la conjointe et les cinq enfants de ce dernier, l’accusé l’a menacé, l’a aspergé de poivre de Cayenne, puis s’est enfui avec un chiot. Contrairement au dénouement heureux du film, ce chiot volé n’a jamais été retrouvé. A peine trois semaines avant cet événement, l’accusé s’était présenté au domicile d’une connaissance, avec une arme à feu chargée, afin de soutirer de l’argent à la victime.

La juge Toupin se trouve à l’étape où elle doit déterminer la peine à infliger à l’adolescent. La délégué jeunesse suggérait une peine de garde et surveillance différée de 6 mois suivi d’une probation de 12 mois. La poursuite s’objectait à cette recommandation, demandant une peine de mise sous garde et surveillance de 12 mois, suivie de 6 mois de probation.

Infliger une peine de garde différée ou non, telle était la question à trancher.

La juge conclut d’abord que les faits en cause donnaient ouverture à une peine de garde et surveillance puisqu’il y a eu commission d’une infraction avec violence au sens de l’article 39(1)a) LSJPA. La juge rappelle toutefois que la possibilité du placement sous garde « ne signifie pas nécessairement que cette peine soit appropriée dans toutes les circonstances. » L’évaluation doit se faire au cas par cas.

Par contre, le recours à un différé n’est pas possible advenant qu’il y ait des lésions corporelles graves. Il doit s’agir « de blessures ou lésions physiques ou psychologiques qui nuisent d’une manière importante à l’intégrité, à la santé ou au bien-être de la victime. » Qu’en est il ici? La juge conclut par l’affirmative :

[53] Au cours du vol qualifié des chiots, monsieur A a été blessé à la main et a été aspergé de poivre de Cayenne. Cette blessure n’étant pas passagère, il en a souffert pendant quelques jours. De plus, non seulement lui, mais toute la famille, dont cinq (5) enfants, en ont subi les effets physiques par des vomissements. Il y a également des séquelles psychologiques suivant l’exposition à cette violence. La perte d’un chiot et les blessures causées à un autre ont créé chez ces derniers de l’angoisse et du chagrin.

[54] Cette description est en tout point conforme à la définition de « lésions corporelles graves » développée par la jurisprudence.

La juge retient aussi qu’il y a eu violations de domicile à deux reprises, présence d’enfants mineurs sur un des lieux, planification des gestes, et usage d’une arme et de poivre de Cayenne.

Finalement, la Cour écarte la recommandation de différé, se range du côté de la poursuite, et se rend à sa demande.

Pour lecture intégrale de la décision, c’est par ici.

Assujettissement rejeté pour un adolescent coupable de meurtre prémédité; il écope tout de même de la peine spécifique maximale

Dans une décision motivée de 26 pages, le Juge Perreault rejette la demande d’assujettissement de la poursuite dans le contexte d’un meurtre prémédité.  

Rappelons que l’adolescent en cause a plaidé coupable à une accusation de meurtre au premier degré, punissable d’une peine spécifique maximale de 10 ans dont un maximum de 6 ans de garde (article 42q)i) de la LSJPA). La peine pour une adulte est beaucoup plus lourde : 25 ans. L’enjeu était donc de taille.

L’adolescent, 16 ans au moment des faits, avait commis le meurtre de son beau-père avec l’aide de trois complices adultes, dans le but de voler 2700$ à sa mère. Or, la mère était absente au moment des événements et les complices n’ont jamais trouvé l’argent. Le beau-père a été attiré puis essentiellement battu à mort, au domicile.  

La poursuite demandait un assujettissement à une peine pour adulte, invoquant que la présomption de culpabilité moindre était renversée et que la peine spécifique ne serait pas suffisante pour faire répondre l’adolescent de ses actes.

Le juge rappelle d’abord qu’en matière d’assujettissement, le fardeau de la preuve repose sur la poursuite en tout temps.

Quant à l’exercice qui lui incombe, le juge affirme :

« les deux éléments prévus à l’article 72(1) doivent faire l’objet d’une analyse minutieuse effectuée en deux temps. Si le ministère public ne convainc pas le Tribunal que la présomption de culpabilité morale moindre est renversée, la question de la durée suffisante de la peine ne se pose pas et une peine spécifique doit être imposée. Toutefois, il appert et il est logique que certains facteurs nécessaires à l’analyse sur le premier élément puissent être pertinents sur le deuxième élément. Ainsi, la preuve deux critères se fait simultanément. »

Le juge rappelle aussi que le principe de culpabilité morale moindre a été élevé au rang de principe de justice fondamentale. Lors de l’analyse de ce premier élément, parmi les critères à analyser se retrouvent notamment : la gravité de l’infraction, les circonstances de sa perpétration, l’âge de l’adolescent au moment du crime, sa maturité, sa personnalité, ses antécédents et ses condamnations antérieures.

Après avoir entendu notamment une psychologue, un psychiatre, une délégué-jeunesse, le juge retient entre autres :

  • Une histoire de vie difficile (consommation de ses parents, absence du père, placement en famille d’accueil);
  • De la consommation de drogues, des problèmes de santé mentale, un TDAH au moment des faits;
  • Caractère influençable, grande immaturité, et désir fort d’appartenir à un groupe;
  • Aucun antécédent ni sanction extrajudiciaires avant les événements ;
  • Un risque très faible de récidive;
  • Des progrès importants depuis son placement sous garde, et une bonne capacité de réadaptation;

A noter qu’autant la délégué jeunesse que le psychiatre étaient d’avis que la durée de la peine spécifique était suffisante pour faire répondre l’adolescent de ses actes.

Le juge conclut que la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de renverser la présomption. Le premier critère n’étant pas rempli, il doit donc se demander quelle est la peine spécifique la plus appropriée, la peine maximale spécifique pour meurtre prémédité étant 10 ans dont 6 de garde.

Sur cet aspect, le juge impose la peine spécifique maximale sans tergiversation : « la gravité, les circonstances du crime et ses impacts sur les personnes affectées par ce crime militent pour l’imposition de la peine maximale de dix ans. Le processus de réhabilitation de l’adolescent milite aussi pour la durée maximale de peine. »

Le juge rappelle également qu’il doit tenir compte du temps passé en détention provisoire (ici, environ 37 mois), mais qu’il bénéficie d’une large discrétion se faisant. A part pour 2 mois où l’adolescent a fait du surplace au niveau de sa réadaptation, le juge souligne les grands progrès et le comportement exemplaire du jeune en centre ; il déduit donc 3 ans du total de 6 ans de garde fermée.

Vu la nature du crime, cette décision avait fait l’objet de l’attention des médias locaux.

La décision en version intégrale est disponible ici.

9 ans pour un meurtre

Récemment, dans un dossier de meurtre médiatisé dont nous avions discuté ici il y a plusieurs mois, La Presse rapporte que l’adolescent vient d’écoper de sa peine.

Rappelons que l’adolescent a plaidé coupable à un chef de meurtre pour un événement survenu en septembre 2021.

Rappel des faits retenus par la Juge

Le soir du 7 septembre 2021, l’adolescent se rend armé d’une machette dans une résidence pour rejoindre des gens. Il dépose l’arme sur le sofa à son arrivée et n’y retouchera plus. Un conflit éclate entre la victime et une autre personne. L’adolescent s’insère dans l’empoignade et blesse la victime en lui lançant un verre de bière sur la tête. Le conflit se poursuit dans la cuisine entre la victime et une autre personne. L’adolescent reste dans le salon et n’est donc pas témoin de la scène. Quand la victime revient au salon, il saigne abondamment. Il restera assis par terre pendant au moins une heure. La victime tente une première fois de s’enfuir en courant dans les escaliers. L’adolescent de 17 ans la rattrape toutefois et lui donne une raclée. L’adolescent va même jusqu’à projeter la victime sur une porte-miroir. Il la traine alors à l’étage. La victime tente de nouveau de s’enfuir. C’est lors de cette seconde tentative qu’elle sera poignardé à plusieurs reprises dans le dos. L’adolescent, toujours dans le salon, ne prend pas part à cette agression. L’adolescent participe ensuite au nettoyage de la scène de crime. Il enveloppe le corps de la victime dans plusieurs couches de tissu et le dépose dans un baril dans le garage. Ce n’est que trois jours plus tard que les policiers découvriront le corps à la suite d’une dénonciation.

Finalement, la Couronne et la défense ont présenté une suggestion commune, qui a été entérinée par Madame la Juge Lachance, à savoir une peine de 9 ans, divisée en 5 ans de placement en garde fermée suivi de 4 ans de mise en liberté sous conditions. Rappelons qu’en vertu de l’article 42(2)q)i LSJPA, la peine maximale pour meurtre est de 10 ans.

Pour lire la décision intégrale, voir ici.

L’arrêt Friesen et les peines rendues en vertu de la LSJPA

Dans une décision récente, la Cour du Québec a du se pencher sur la peine appropriée à infliger à un adolescent coupable d’agression sexuelle.

La trame factuelle est la suivante: l’adolescent, 16 ans aux moment des faits, plaide coupable d’avoir agressé sexuellement sa meilleure amie, elle aussi âgée de 16 au moment des faits. Essentiellement, l’accusé a eu des relations sexuelles complètes avec sa victime alors qu’il croyait celle-ci endormie. La victime présentait plusieurs séquelles en lien avec l’agression subie.

Le débat se situait au niveau de la peine: la poursuite réclamait une peine de garde de 4 mois à être purgée en milieu fermé suivie d’une période de probation de 24 mois, tandis que la défense proposait 120 heures de travaux bénévoles et une probation de 24 mois avec suivi. L’auteur du rapport pré décisionnel soumis recommandait quant à lui une probation de 24 mois avec suivi de même que l’accomplissement de travaux bénévole. Une peine de garde ou pas: telle était la question. La poursuite invoquait notamment les principes de l’arrêt de la Cour suprême dans R. c. Friesen pour justifier sa demande de garde.

D’abord, la juge Beaumont réitère certains principes propres au sentencing en LSJPA, pour conclure que la garde au sens de l’article 39(1)a) LSJPA serait possible en l’espèce compte tenu que l’agression sexuelle répond à une « infraction avec violence ». Aux paragraphes 14 à 19, la juge ajoute toutefois:

[14]      La Cour suprême dans l’arrêt R. c. C.D.K de 2005 confirme l’objectif de restreindre le recours à la garde pour les jeunes soumis à la LSJPA.

[15]      Cette même cour écrit en 2006 dans l’arrêt R. c B.W.P que la dissuasion générale ne constitue pas un principe de détermination de la peine sous le régime actuel. Le législateur favorise plutôt la protection du public en s’attaquant aux causes sous-jacentes à la criminalité chez les adolescents en mettant l’accent sur leur réadaptation et leur réinsertion sociale.

[16]      La poursuite dépose au soutien de sa demande de garde fermée une décision de la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse qui condamne un adolescent à une peine de garde fermée pour une infraction de la même nature et présentant des faits similaires à la présente cause.

[17]      Or, cette décision a été cassée en appel le 10 juin 2022 et la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a substitué à la peine de garde une peine de 12 mois de probation avec différentes conditions.

[18]      Dans cette affaire, la Cour d’appel reconnaît que l’agression sexuelle est intrinsèquement violente, doit être dénoncée et cause des préjudices importants aux victimes. Toutefois, elle invite les tribunaux à la prudence dans l’utilisation de l’arrêt Friesen en matière de délinquance juvénile. En effet l’arrêt Friesen concerne des peines à donner à des adultes coupables de crimes sexuels envers des enfants selon des principes de détermination de la peine qui ne s’appliquent pas aux adolescents.

[19]      Ainsi, les principes qui régissent la détermination de la peine en vertu de la Loi ne sont en aucun cas atténués ou modifiés par l’arrêt Friesen qui ne doit pas servir de prétexte pour imposer une peine plus sévère aux adolescents. (nos soulignements)

Après avoir soupesé l’ensemble de la preuve, notamment le fait que rien n’indiquait que l’adolescent ne se soumettrait pas à une peine ne comportant pas de garde, la juge se rend à l’opinion de l’auteur du rapport pré décisionnel et ordonne une peine de 24 mois de probation et 175 h de travaux bénévoles.

Peine maximale pour un homicide involontaire coupable

En lien avec une affaire que nous avions commentée ici à l’automne dernier, le jugement sur la peine a été rendu hier au palais de justice de Laval.

Rappelons que l’adolescent a été acquitté de meurtre, mais trouvé coupable d’homicide involontaire, pour avoir poignardé à mort son ami dans un parc dans ce qui semble avoir été une bagarre ayant mal tourné. Il avait 16 ans aux moments des faits.

Pour cette infraction, la peine maximale est effectivement de 3 ans de garde et surveillance en vertu de l’article 42(2)o) LSJPA. Contrairement à la peine infligée sous 42(2)n), le juge n’est pas lié par le principe « 2/3 garde 1/3 surveillance ». En effet, l’article 42(2)o) se lit:

42(2) o) dans le cas d’une infraction prévue aux articles 239 (tentative de meurtre), 232, 234 ou 236 (homicide involontaire coupable) ou 273 (agression sexuelle grave) du Code criminel, l’imposition, par une ordonnance de placement et de surveillance, d’une peine maximale de trois ans à compter de sa mise à exécution, dont une partie est purgée sous garde de façon continue et, sous réserve du paragraphe 104(1) (prolongation de la garde), l’autre en liberté sous condition au sein de la collectivité aux conditions fixées conformément à l’article 105; (nos surlignements)

La Juge Perreault a tranché le débat en ordonnant la peine maximale, soit 36 mois de garde et surveillance dont 26 mois en garde fermée, période suffisamment longue pour effectuer un long travail de réhabilitation. La Juge retient aussi l’opinion de la délégué jeunesse selon laquelle le risque de récidive est modérée (et non faible), et souligne le manque de responsabilisation et de progrès suffisants du jeune homme en centre de réadaptation. Rappelons qu’en vertu de l’article 105 (1) LSJPA, environ un mois avant la fin de sa période de garde, le jeune homme devra être amené par la directrice provinciale devant un juge afin que celui-ci fixe les conditions applicables aux dix mois restants de mise en liberté .

La décision intégrale est disponible ici.

Infractions violentes commises en milieu scolaire: quelle peine infliger?

Très récemment, dans R v DA, 2022 ABPC 55, un juge albertain a dû se pencher sur la peine appropriée à infliger dans un contexte d’infractions impliquant l’usage de la violence, en milieu scolaire.

L’adolescent avait plaidé coupable à des accusations de vol qualifié et de voie de fait causant lésion. Il n’avait aucun antécédent. Il avait perpétré les deux infractions dans son milieu scolaire, à savoir dans le stationnement et dans la cafeteria de son école secondaire. Il s’agissait de deux événements distincts, mais rapprochés dans le temps, impliquant deux victimes. Le premier événement s’était produit dans le stationnement de l’école, et l’adolescent avait vaporisé du poivre de cayenne directement dans le visage de sa victime, en lui volant un cellulaire. Lors du deuxième événement, survenu dans la cafétéria, l’adolescent avait roué de coups la victime, un étudiant du même établissement, qui se trouvait alors vraisemblablement au mauvais endroit, au mauvais moment. Durant la commission des deux infractions, l’adolescent n’avait pas agi seul.

Le ministère public demandait au juge de rendre une peine de garde et surveillance suivi d’une probation, alors que la défense proposait plutôt une longue peine de probation.

Le juge fait une analyse détaillée des facteurs listés à l’article 38 (3) LSJPA et les applique aux faits en l’espèce.

Retenons que le juge souligne la violence aggravée et gratuite de l’acte perpétré, de même que les conséquences pour la victime (la deuxième victime a eu les dents cassées, impliquant des coûts importants de dentisterie liés aux blessures). La Cour souligne également le rôle majeur joué par l’adolescent dans les deux infractions, notamment son acharnement sur la victime immobilisée au sol. Quant au fait que les infractions aient été perpétrées par plusieurs personnes de façon concertée, le juge ajoute « when a person acts in concert with other members of a group or gang to victimize a single victim, that person must accept the consequences which flow from this group action. » Le magistrat souligne la préméditation des actes reprochés et le manque de remords et de cheminement de l’adolescent.

Le juge reconnaît également le fléau grandissant de la violence en milieu scolaire et l’importance de le dénoncer (en citant son collègue):

Violence involving young persons within the school system is an ever-growing concern in contemporary society … Schools must foster mutual tolerance and respect for the physical integrity of others. Students must realize that acts of violence intended to do serious bodily harm, which in fact cause bodily harm, will not be countenanced.

Au vue de ces circonstances, le juge conclut qu’une peine de probation ne serait pas appropriée dans les circonstances. Après avoir fait une revue de la jurisprudence en la matière, il condamne l’adolescent à 240 jours de garde et surveillance, suivi de 12 mois de probation.