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Constitutionnalité de l’article 37 (10) LSJPA

En 2019, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé une décision rendue par la Cour de justice de l’Ontario déclarant un adolescent coupable d’agression sexuelle à l’endroit d’une adolescente d’un an sa cadette.

L’adolescent a interjeté un pourvoi devant la Cour suprême du Canada, arguant d’une part que le verdict de culpabilité était déraisonnable et d’autre part, que l’article 37 (10) de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (ci-après LSJPA) était inconstitutionnel car incompatible avec les articles 7 et 15 de la Charte.

Le 7 mai 2021, la Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi relativement à chacune de ces questions.

Le caractère raisonnable du verdict de culpabilité

À l’exception de la juge Suzanne Côté qui a considéré qu’une faille logique dans l’analyse de la juge de première instance quant à la crédibilité du témoignage de l’accusé rendait la déclaration de culpabilité déraisonnable, l’ensemble des juges est arrivé à la conclusion que le verdict était raisonnable.

La contestation de la constitutionnalité de l’article 37 (10) LSJPA

L’opinion des juges est plus divisée sur la question de la constitutionnalité de l’article 37 (10) de la LSJPA.

L’article 691 (1)a) du Code criminel confère à l’accusé un droit automatique de porter en appel toute décision le déclarant coupable d’un acte criminel et dont la déclaration de culpabilité est confirmée par une cour d’appel avec une dissidence sur une question de droit. L’article 37 (10) de la LSJPA ne confère pas ce même droit aux adolescents de sorte qu’une permission d’appeler devra être obtenue, sans égard à l’existence d’une opinion dissidente dans la décision de la cour d’appel;

La majorité des juges de la Cour suprême a confirmé la validité constitutionnelle de cet article, tant au regard de l’article 15 que de l’article 7 de la Charte.

La compatibilité de l’article 37 (10) LSJPA avec l’article 15 de la Charte

Une disposition contrevient à la garantie prévue à l’article 15 de la Charte si elle (1) crée à première vue ou de par son effet une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue (2) et qu’elle impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage.

S’il est clair pour les juges de la Cour suprême que l’article 37 (10) LSJPA crée une distinction fondée sur l’âge de l’accusé, leur opinion est partagée lorsque vient le temps de déterminer s’il y a imposition d’un fardeau ou négation d’un avantage aux adolescents qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage.

Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Brown et Rowe sont d’avis que tel n’est pas le cas. Ils considèrent plutôt qu’il est dans l’intérêt des adolescents qu’il y ait un contrôle en appel du fait qu’ils sont, de par leur âge, particulièrement vulnérable aux préjudices causés par des procédures judiciaires prolongées. Ils arrivent à la conclusion que l’article 37 (10) LSJPA ne perpétue par conséquent pas de désavantage pour les adolescents.

Les juges Abella, Karakatsanis et Martin sont d’avis contraire. Elles avancent que l’article 37 (10) LSJPA prive les adolescents d’une garantie contre les condamnations injustifiées à laquelle les adultes ont droit et perpétue donc un désavantage dont ils font les frais dans le cadre du système de justice pénale. Elles arrivent à la conclusion que l’article 37 (10) LSJPA viole à première vue l’article 15 de la Charte.

Le juge Kasirer se range partiellement à l’opinion de la juge Abella en considérant lui aussi que l’article 37 (10) LSJPA perpétue un désavantage pour les adolescents. Il juge toutefois que cette restriction au droit à l’égalité se justifie au regard de l’article premier de la Charte. En effet, il qualifie d’urgent et réel l’objectif de promouvoir la rapidité, la réadaptation précoce et la réinsertion sociale des adolescents et croit que l’obligation d’obtenir l’autorisation peut servir de mesure dissuasive contre un appel mal fondé. L’avantage proféré par cet article serait à son sens plus important que l’effet préjudiciable causé par l’obligation des adolescents de formuler une demande d’autorisation d’appel.

La compatibilité de l’article 37 (10) LSJPA avec l’article 7 de la Charte

Les juges Wagner, Moldaver, Brown, Rowe et Kasirer sont d’avis que l’article 37 (10) LSJPA est compatible avec l’article 7 de la Charte.

Bien qu’ils reconnaissent que l’article 37 (10) LSJPA impose une limite aux droits à la liberté des adolescents, ils considèrent que cette privation est conforme aux principes de justice fondamentale.

Les tribunaux ont réitéré à maintes reprises qu’il n’y a pas de droit d’appel garanti par la Constitution et encore moins, de droit d’en appeler automatiquement devant la Cour suprême. En l’absence d’une preuve à l’effet que les tribunaux exercent de manière problématique leur pouvoir discrétionnaire de permettre la tenue d’auditions en appel, le juge Wagner conclue que l’article 37 (10) LSJPA ne prive pas les adolescents de garanties procédurales suffisantes et que la possibilité pour eux d’effectuer des appels automatiques n’est pas une condition essentielle à l’exercice de la justice. 

Les juges Abella, Karakatsanis, Martin et Côté n’ont pas abordé cette question en raison de leur position exprimée plus haut.

Délai pour comparaître (R. c. Reilly, 2020 CSC 27)

Le 13 octobre 2020, la Cour Suprême du Canada a rendu l’arrêt R. c. Reilly, 2020 CSC 27, qui porte sur les conséquences du non-respect du délai prévu pour faire comparaître un prévenu. Dans cette affaire, M. Ryan Curtis Reilly faisait l’objet de diverses accusations en lien avec un incident de violence conjugale qui aurait eu lieu le 31 mars 2017. M. Reilly a été arrêté par les services policiers d’Edmonton le 4 avril 2017 à 11h50. Suite à son arrestation, il a été amené aux bureaux des services policiers d’Edmonton. Par après, il a comparu et fait l’objet d’une enquête sur remise en liberté. Cette audience a eu lieu le 5 avril 2017 à 22h59, soit près de 36 heures après son arrestation.

Le Code criminel du Canada prévoit à son article 503(1)a) qu’un agent de la paix qui arrête une personne doit la faire conduire devant un juge de paix sans retard injustifié et, au plus tard, dans un délai de vingt-quatre heures après son arrestation. Dans le présent cas, l’Honorable juge R.R. Cochard de la Cour provinciale de l’Alberta a ordonné un arrêt des procédures étant donné qu’il a considéré que les droits fondamentaux de M. Reilly avaient été lésés vu sa détention de plus de 24 heures. Plus précisément, il considère que les droits de M. Reilly en vertu des articles 7, 9 et 11e) de la Charte canadienne des droits et libertés avaient été lésés, à savoir le droit à la liberté, le droit à la protection contre la détention arbitraire et le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable. Il considère également que le remède à cette lésion des droits de l’accusé est l’arrêt des procédures. Cette décision de première instance, pouvant être lue ici, effectue une analyse du problème systémique des détentions plus longues que 24 heures dans la province de l’Alberta.

La Couronne a porté cette décision en appel devant la Cour d’appel de l’Alberta. La Couronne admettait que les droits fondamentaux de l’accusé avaient été lésés, mais contestait le fait que l’arrêt des procédures soit le remède approprié. La Couronne questionnait s’il était approprié que l’arrêt des procédures soit utilisé comme remède individuel pour l’accusé alors que le problème des détentions trop longues était systémique au sein de la province. La Cour d’appel de l’Alberta a donné raison à la Couronne dans une décision pouvant être lue ici et ordonnait que le dossier soit retourné à la Cour provinciale de l’Alberta pour un procès de l’accusé.

M. Reilly a porté cette décision en appel devant la Cour Suprême du Canada. L’Honorable Russell Brown énonce ainsi les motifs unanimes de la Cour Suprême:

Eu égard aux circonstances, y compris la conclusion tirée par la juge de première instance au par. 63 de ses motifs (2018 ABPC 85, 411 C.R.R. (2d) 10), selon laquelle la violation de l’art. 503 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, était une manifestation d’un problème systémique et persistant à l’égard duquel aucune mesure satisfaisante n’était prise pour y remédier, nous sommes toutes et tous d’avis que rien ne justifiait l’intervention de la Cour d’appel dans l’exercice par la juge de première instance de son pouvoir discrétionnaire : voir R. c. Babos2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309, par. 41

L’appel est accueilli et l’arrêt des procédures est rétabli.

Ainsi, la Cour Suprême se trouve à réitérer l’importance qu’une personne prévenue soit amenée devant un juge de paix dans un délai maximal de 24 heures et confirme qu’il est possible qu’un arrêt des procédures soit prononcé lorsque ce délai n’est pas respecté.

Les délais pré-inculpatoires dans une requête de type Jordan (article 2 de 2)

Récemment, deux décisions sur des requêtes en arrêt des procédures pour violation au droit fondamental d’être jugé dans un délai raisonnable (11b) de la Charte canadienne) ont été rendues à l’endroit d’adolescents poursuivis sous la LSJPA. Ces décisions mettent notamment en lumière l’importance des délais pré-inculpatoires dans l’analyse contextualisée du juge saisi d’une requête de type Jordan. Il s’agit ici du délai entre la plainte policière et le dépôt des accusations. Un tel délai n’est normalement pas pris en considération dans le calcul établi par l’arrêt Jordan, qui vise plutôt le délai entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès.

Nous traiterons cette semaine de la deuxième de ces deux décisions.

Dans R. v. PAW, la juge Lloyd rappelle les enseignements de la Cour suprême en matière de délais judiciaires lorsqu’il s’agit d’adolescents (R. v. KJM), notamment que :

  • Compte tenu du préjudice particulier que subissent les adolescents face aux délais, la tolérance envers ceux-ci sera toujours moins grande que dans les instances mettant en cause des adultes.
  • Il sera donc moins rare qu’un délai soit jugé déraisonnable dans la situation d’un adolescent et ce, même si ce délai est inférieur au plafond présumé établi dans l’arrêt Jordan. Ceci est particulièrement pertinent puisque la juge arrive à la conclusion que le délai en l’espèce était d’un peu plus de seize (16) mois alors que le plafond présumé est de dix-huit (18) mois.

Après avoir conclu qu’en l’espèce, la défense avait pris des mesures utiles qui faisaient la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance et que le procès avait été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être, la juge aborde la question des délais pré-inculpatoires. Pour la juge, ces délais peuvent et doivent être considérés dans son analyse contextuelle puisque pertinents en regard des facteurs identifiés dans l’arrêt KJM vu la nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant en cause des adolescents. En l’espèce, un délai de treize (13) mois s’était écoulé entre la plainte policière et le dépôt des accusations. Pour la juge, ce délai est significatif, préoccupant et pertinent. Un arrêt des procédures est donc ordonné en raison d’une violation au droit d’être jugé dans un délai raisonnable.

Les délais pré-inculpatoires dans une requête de type Jordan (article 1 de 2)

Récemment, deux décisions sur des requêtes en arrêt des procédures pour violation au droit fondamental d’être jugé dans un délai raisonnable (11b) de la Charte canadienne) ont été rendues à l’endroit d’adolescents poursuivis sous la LSJPA. Ces décisions mettent notamment en lumière l’importance des délais pré-inculpatoires dans l’analyse contextualisée du juge saisi d’une requête de type Jordan. Il s’agit ici du délai entre la plainte policière et le dépôt des accusations. Un tel délai n’est normalement pas pris en considération dans le calcul établi par l’arrêt Jordan, qui vise plutôt le délai entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès.

Nous traiterons cette semaine de la première de ces deux décisions, et la semaine prochaine de la seconde décision.

Dans R. v. T.S.H., la juge McAuley conclut dans un premier temps à un délai net supérieur au plafond de dix-huit (18) mois établi par l’arrêt Jordan entre le dépôt des accusations et la fin anticipée du procès de l’adolescent. Le délai est donc présumé déraisonnable. Elle choisit tout de même de poursuivre son analyse quant aux délais pré-inculpatoires, l’âge et les circonstances de l’adolescent.

Tout d’abord, elle rappelle certains enseignements de la Cour suprême en matière de délais judiciaires lorsque l’accusé est un adolescent (R. v. KJM). Elle retient par ailleurs que l’adolescent a dû attendre vingt-deux (22) mois pour la conclusion de son procès ainsi que subir deux (2) remises. Compte tenu de son développement cognitif significativement inférieur, cette situation lui a porté un plus grand préjudice qu’à la moyenne des adolescents de son âge.

Quant aux délais pré-inculpatoires, la juge indique que ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’ils seront considérés dans une requête de type Jordan. Toutefois, ces délais peuvent être pris en considération quand les circonstances le justifient. En l’espèce, l’adolescent a subi un délai de plus de quinze (15) mois entre la plainte policière et le dépôt des accusations. Il était conscient de l’enquête policière, ce qui l’a placé dans un état d’anxiété perpétuelle. À ceci s’ajoutait le développement cognitif significativement inférieur de l’adolescent et l’important stress vécu par celui-ci.

Pour toutes ces raisons, la juge retient que les délais pré-inculpatoires ont été significatifs, en plus du délai post-inculpatoire qui excède le plafond présumé prévu par l’arrêt Jordan. Pour la juge, ces délais, jumelés à l’âge de l’adolescent et à son développement cognitif rendent le délai global déraisonnable au sens de l’article 11b) de la Charte canadienne. Un arrêt des procédures est ordonné.

La Charte canadienne des droits des victimes

La Charte canadienne des droits des victimes a été établie en 2015 afin de tenir compte du fait notamment que les actes criminels ont des répercussions préjudiciables sur les victimes et la société et que les victimes d’actes criminels et leurs familles méritent d’être traitées avec courtoisie, compassion et respect.

La Charte s’applique aux personnes qui ont été victimes d’actes criminels et elle fait état principalement des droits suivants:

  • le droit à l’information: une victime a le droit, tout au long du processus judiciaire, de bénéficier d’un accompagnement afin d’obtenir réponses à ses questions. Elle pourra obtenir ces réponses de la part des services policiers, des centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) et des services correctionnels.
  • le droit à la protection: une victime peut demander certaines protections si elle éprouve des craintes.  Ces craintes pourraient être, par exemple, que la personne délinquante entre en contact avec la victime ou ses proches ou que la vie privée de la victime soit rendue publique.
  • le droit à la participation: une victime a le droit de participer aux procédures judiciaires en lien avec l’acte criminel dont elle a été victime et elle a le droit de faire une déclaration au tribunal quant à la détermination de la peine ou aux commissions de libération conditionnelle. Ces instances devront tenir compte de la déclaration de la victime pour prendre leurs décisions.
  • le droit au dédommagement: une victime peut demander un dédommagement monétaire lorsqu’elle a vécu des pertes financières en raison du crime.

La liste des droits appartenant aux victimes mentionnée ci-haut n’est pas exhaustive. Pour plus d’informations en lien avec la Charte, nous référons nos lecteurs à la brochure préparée par l’Association québécoise Plaidoyer-Victimes.  Vous la trouverez ici.

Une première cour d’appel se penche sur l’arrêt Jordan en LSJPA

Dans R. v. KJM, l’adolescent loge un appel à l’encontre d’une décision ayant rejeté sa demande en arrêt des procédures pour ne pas avoir été jugé dans un délai raisonnable, conformément à l’article 11b) de la Charte canadienne. Il s’agit d’une première cour d’appel au pays devant se pencher sur la question de l’application du plafond présumé établi par l’arrêt Jordan, en matière de justice pénale pour adolescents.

La Cour d’appel de l’Alberta est divisée sur la question de savoir si un plafond présumé inférieur à 18 mois devrait s’appliquer pour un adolescent poursuivi en vertu de la LSJPA. La majorité choisit de rejeter l’appel de l’adolescent et confirme la décision de première instance. La troisième juge aurait toutefois accueilli l’appel et ordonné un arrêt des procédures.

Dans un premier temps, le juge Wakeling rappelle que l’arrêt Jordan a établi qu’il existe un plafond présumé de dix-huit mois pour les infractions jugées par un tribunal provincial et un plafond présumé de trente mois pour les infractions jugées par une cour supérieure. Un adolescent poursuivi en vertu de la LSJPA est jugé devant un tribunal pour adolescents. Un tribunal pour adolescents peut être un tribunal provincial ou supérieur. Il s’ensuit que les procédures intentées devant un tribunal pour adolescents sont assujetties aux plafonds présumés prévus par l’arrêt Jordan. De plus, le juge considère que la preuve au dossier ne permet pas à la Cour de déterminer rationnellement un plafond présumé différent pour les adolescents, aucune preuve d’expert n’ayant été présentée. Le juge considère qu’il relève du Parlement d’adopter des lois s’il est d’avis que le plafond présumé établi par la Cour suprême est inapproprié pour un adolescent.

Ensuite, le juge O’Ferrall, expose ses motifs concordants quant au résultat. Il est plutôt d’avis qu’aucun plafond présumé ne devrait s’appliquer à un adolescent. Pour le juge, étant donné le caractère arbitraire et la rigidité relative de tout plafond présumé, il serait erroné en droit d’appliquer des plafonds présumés aux adolescents. Une durée raisonnable entre les accusations et le procès dans le cas des adolescents dépendra d’une multitude de facteurs. Il n’y a pas de place pour les plafonds présumés dans les affaires concernant les tribunaux pour adolescents. Selon le juge, le délai analysé par la juge de première instance n’était pas déraisonnable.

Finalement, la juge Veldhuis aurait accueilli l’appel. Ses arguments se rapportent au passage du temps qui est vécu différemment par un adolescent que par un adulte. Elle explique qu’en apparence, un plafond plus bas pour les adolescents peut sembler leur procurer une garantie constitutionnelle spéciale. Toutefois, un plafond inférieur est requis pour garantir aux adolescents le même niveau de protection par la Charte que les adultes. Un plafond inférieur est requis pour pleinement donner effet à l’art. 11b) dans le cas d’un adolescent. Ne pas faire la distinction entre les adultes et les adolescents de cette manière ignorerait les effets préjudiciables accrus vécus par les adolescents en raison des délais et aurait pour effet de les traiter de façon plus sévère que les adultes. La juge conclut que le plafond présumé pour un adolescent devrait être de quinze mois.

Périodes d’isolement excessives menant à un arrêt des procédures

Dans la décision R. v. CCN, l’accusé demande un arrêt des procédures suite à sa déclaration de culpabilité pour une accusation de voies de fait armées. L’accusé base sa demande sur l’article 24(1) de la Charte canadienne et allègue que ses droits fondamentaux prévus aux articles 7, 9, 10(b) et 12 de la Charte n’ont pas été respectés. L’accusé soumet avoir subi des abus au niveau physique et psychologique, en étant placé en isolement cellulaire (solitary confinement) pour de longues périodes et n’étant pas scolarisé.

Le juge Ho de la Cour provinciale d’Alberta débute son analyse en rappelant que les tribunaux ont reconnu que, sauf en cas de violation manifeste d’un droit garanti par la Charte, les autorités correctionnelles doivent disposer d’une latitude considérable dans l’administration des établissements correctionnels et des centres de détention. Le juge note toutefois que l’accusé a passé près de deux ans en isolement, étant restreint à sa chambre 23 heures par jour. Il conclut que l’accusé a été placé en isolement cellulaire à répétition, sans contact humain significatif.

Le juge analyse ensuite le droit garanti par l’article 9 de la Charte, soit le droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraire. Pour le juge, le placement de l’accusé en isolement cellulaire pour de telles durées constitue un niveau d’emprisonnement plus grand que n’importe quelle peine de placement sous garde imposée par la Cour. Le juge en vient à la conclusion que le placement d’un adolescent en isolement cellulaire est incompatible avec les objectifs et les principes de la LSJPA, faisant un lien entre les articles 83(2) LSJPA (principes et objectifs du placement sous garde) et 3 LSJPA (principes généraux de la loi). Pour le juge, la pratique de l’isolement cellulaire des adolescents en Alberta ne repose sur aucune base législative ou juridique.

Le juge Ho aborde ensuite un autre aspect, soit celui de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant à laquelle fait partie le Canada, tel que mentionné dans le préambule de la LSJPA. Le juge fait le constat que l’isolement cellulaire illégal auquel a été soumis l’accusé enfreint l’article 37b) et d) de la Convention. Il s’agit, comme le mentionne le juge, d’une « prison dans une prison ».

Quant aux impacts de l’isolement cellulaire sur les adolescents, le juge conclut que l’accusé s’est vu retirer ses chances de réhabilitation et de réinsertion sociale. Le juge conclut également qu’un adolescent, placé aussi longtemps en isolement cellulaire, va probablement présenter un risque plus important pour le public une fois libéré que s’il n’avait pas fait l’objet d’isolement cellulaire.

En conclusion, pour le juge Ho, la violation du droit garanti par l’article 9 de la Charte qu’a subie l’accusé fait partie d’un des cas manifestes justifiant l’arrêt des procédures. Le système de justice doit se dissocier de la pratique de placer des adolescents illégalement en isolement cellulaire. L’arrêt des procédures est donc ordonné.

L’arrêt Jordan et son application en matière de LSJPA

Dans la décision R. c. D.M.B., l’Honorable Marquis S. Felix de la Cour de justice de l’Ontario se questionne sur l’application des principes de R. c. Jordan en matière de justice pénale pour les adolescents.

L’arrêt Jordan établit un plafond présumé de 18 mois pour les causes entendues par une cour provinciale et ce, calculé du dépôt des accusations jusqu’à la fin du procès.  Ce calcul n’inclut pas les délais imputables à la défense.  Lorsque le délai est inférieur au plafond présumé, la défense peut tout de même faire la preuve que le délai a été déraisonnable.  À ce niveau, elle devra démontrer deux critères: la défense a, de manière soutenue, tenté de prendre des mesures visant à accélérer l’instance et le délai a été définitivement plus long qu’il aurait dû l’être.

Dans cette situation, le procès de l’adolescent s’est terminé un peu plus de 15 mois après le dépôt des accusations contre lui.  L’adolescent demande un arrêt des procédures en lien avec son droit d’être jugé dans un délai raisonnable prévu à l’article 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés. L’adolescent soulève que le plafond présumé devrait être plus court que 18 mois en matière de LSJPA, ce que conteste la poursuite.

Le juge explique qu’il peut effectivement être tentant de penser à un plafond présumé ajusté à la baisse pour les adolescents étant donné certains principes primordiaux de la LSJPA.  Nous pourrions notamment souligner à ce niveau la diligence et la célérité avec lesquelles doivent intervenir les personnes chargées de l’application de la LSJPA compte tenu du sens qu’a le temps dans la vie des adolescents (article 3 LSJPA).

Par contre, le juge refuse l’arrêt des procédures pour les raisons suivantes:

  • la Cour Suprême connaissait les principes primordiaux de la LSJPA au moment où elle énonçait les principes de l’arrêt Jordan et elle n’a pas énoncé un plafond présumé plus bas en cette matière
  • la Cour Suprême souhaitait que l’analyse à effectuer afin de vérifier si un inculpé a été jugé dans un délai raisonnable soit plus simple et fluide
  • la Cour d’Appel de l’Ontario a rendu des décisions depuis l’arrêt Jordan sans se prononcer sur une distinction au plafond présumé basée sur la LSJPA
  • la Cour de justice de l’Ontario a décliné l’offre d’appliquer un plafond présumé basé sur la LSJPA dans deux décisions antérieures

Le juge explique donc que le fardeau de démontrer que les délais ont été déraisonnables repose sur les épaules de la défense étant donné que le plafond présumé n’était pas encore rencontré, ce que la défense n’a pas été en mesure de faire dans ce cas.

Le juge termine en expliquant que si un plafond présumé plus bas peut sembler logique en lien avec les principes de la LSJPA, ce seront les tribunaux d’appel ou le législateur qui devront apporter des changements au plafond présumé.

 

Mesures transitoires et article 11(i) de la Charte

Dans la décision R. v. DT, l’accusé doit recevoir sa peine sur trois chefs d’agression sexuelle sur son cousin et sa cousine. L’accusé est âgé de 42 ans au moment des plaidoyers. Les abus ont eu lieu pendant plusieurs années et à plus d’une centaine d’occasions.

La défense argumente que les mesures transitoires de la LSJPA (articles 158 et suivants) rendent applicables les dispositions de la Loi aux procédures intentées contre l’accusé, puisqu’entamées après son entrée en vigueur. Toutefois, l’article 11(i) de la Charte canadienne doit être pris en considération. Cet article prévoit que tout inculpé a le droit de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence. En conséquence, la défense soumet que l’article 24 de la Loi sur les jeunes contrevenants, en vigueur au moment de la perpétration de l’infraction, est davantage favorable à l’accusé que les dispositions de la LSJPA.

L’article 24(1) LJC prévoit que le tribunal pour adolescents n’impose le placement sous garde en vertu de l’alinéa 20(1)k) que s’il estime cette mesure nécessaire pour la protection de la société, compte tenu de la gravité de l’infraction et de ses circonstances, ainsi que des besoins de l’adolescent et des circonstances dans lesquelles il se trouve. La défense argumente donc que preuve doit être faite que le placement sous garde doit être nécessaire pour la protection de la société et que cette exigence ne se retrouve pas à la LSJPA. La défense plaide que l’écoulement du temps et l’absence de récidive depuis la commission des infractions démontrent que l’accusé ne présente pas un danger pour la société. Une peine de 24 mois de probation est proposée.

Le ministère public argumente plutôt que la défense fait une interprétation trop restrictive de l’article 24 LJC et oublie les autres considérations de cet article. L’accusé se qualifie au placement sous garde en vertu de 39(1)a) puisque les infractions sont des infractions avec violence. De plus, la Cour suprême, dans l’arrêt R. c. C.D., fait état des objectifs de la LSJPA, dont celui de restreindre le recours au placement sous garde et de réduire le nombre inacceptable de jeunes incarcérés en vertu de la LJC. En lisant la LJC dans son entièreté, il aurait été encore plus probable pour l’accusé de se voir imposer une peine de placement sous garde en vertu de cette loi. La LSJPA est donc la loi la plus favorable à l’accusé en regard de l’article 11(i) de la Charte. Une peine totale de placement et surveillance de 18 mois suivie d’une probation de 12 mois est proposée.

Le juge Holmstrom de la Cour provinciale de l’Alberta se range du côté des arguments du ministère public. Le juge se dit non convaincu que l’application de la LJC résulterait en l’imposition d’une peine ne comportant pas de placement sous garde. Le juge rappelle que la totalité de l’article 24 LJC doit être considérée lorsqu’il s’agit de déterminer si une peine de placement sous garde est appropriée et fait référence à certaines décisions de la Cour d’appel de l’Alberta. Pour le juge, il était clairement de l’intention du législateur lors de l’adoption des mesures transitoires prévues aux articles 158 à 164 LSJPA que ce soit cette loi qui s’applique rétroactivement.

Le juge va plus loin. Il mentionne dans ses motifs que l’accusé se qualifie au placement sous garde non seulement en raison de l’article 39(1) LSJPA, mais qu’il se qualifierait également en vertu de la LJC. Autant la LSJPA que la LJC doivent être lues dans leur ensemble. En faisant cet exercice, l’on constate clairement, tout comme la jurisprudence l’a déjà fait, que la LSJPA est plus restrictive que la LJC en matière d’imposition de placement sous garde. Le juge rejette donc l’argument de la défense basé sur l’article 11(i) de la Charte.

Après une analyse des principes de détermination de la peine sous la LSJPA, le juge impose à l’accusé une peine globale de 12 mois de placement et surveillance, suivie d’une probation de 12 mois.

Fouille d’un casier scolaire sans mandat – abusive?

Dans la décision LSJPA – 1619, une adolescente accusée de possession de cannabis présente une requête en exclusion de la preuve. Elle prétend que la saisie de cannabis par le directeur de l’école est abusive car il n’avait pas de motifs raisonnables de fouiller son casier sans avoir un mandat. Le juge conclut plutôt que le directeur d’école avait des motifs raisonnables pour effectuer la fouille et donc que celle-ci n’est pas abusive. Le juge rejette donc la requête en exclusion de cette preuve.

Voici le contexte factuel de cette fouille :

  • L’adolescente a été suspendue de l’école le mois précédent puisqu’elle était en état de consommation, ce qu’elle reconnaît.
  • L’école de l’adolescente s’est dotée d’un règlement bien publié dans l’agenda scolaire qui prévoit que l’établissement se réserve le droit de procéder à la fouille d’un casier d’élève lorsqu’il existe des motifs de croire que l’élève contrevient à la loi.
  • Le jour de la fouille, l’adolescente est sortie de sa classe et de l’école seulement cinq minutes après le début d’un cours, ce qui représente une situation hautement inhabituelle.
  • Le directeur de l’école observe l’adolescente à l’extérieur de l’école : il voit qu’elle est en présence d’un jeune adulte et qu’elle a de l’argent dans les mains.
  • Lorsque le directeur de l’école la raccompagne en classe, l’adolescente s’arrête à son casier et met quelque chose dans la poche de son manteau.
  • Le directeur n’est pas en mesure de voir ce que l’adolescente met dans la poche de son manteau, mais il est en mesure de constater que ce n’est pas de l’argent.
  • Le directeur fouille alors avec un témoin le casier non-barré de l’adolescente et trouve un sachet de cannabis dans la poche de son manteau.

Voici l’analyse effectuée par le juge :

  • La Cour Suprême rappelle que les autorités scolaires ont une norme d’intervention plus souple en matière de fouille étant donné qu’elles doivent pouvoir réagir de façon rapide et efficace afin de protéger la sécurité des élèves et d’appliquer les règlements scolaires.
  • Un enseignant ou un directeur ne sont pas tenus d’obtenir un mandat pour procéder à la fouille d’un élève et donc l’absence d’un mandat ne laisse pas présupposer que la fouille est abusive.
  • Le critère applicable en l’espèce est celui du motif raisonnable de croire qu’une règle de l’école a été violée. Ces motifs peuvent être fondés sur des renseignements crédibles reçus, des observations effectuées ou une combinaison de ceux-ci que l’autorité scolaire estime crédible dans l’ensemble.
  • L’autorité scolaire jouit d’une large discrétion pour analyser la crédibilité des renseignements reçus et le contexte individuel de leurs élèves puisqu’ils sont les mieux placés pour évaluer ce qui se passe au sein de leur établissement.
  • Les tribunaux doivent reconnaître la situation privilégiée des autorités scolaires lorsqu’il est question d’évaluer s’il existe des motifs raisonnables de procéder à une fouille.