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Les « man-purses » griffés, les armes, et la légalité des fouilles

Dans un article paru aujourd’hui concernant une décision récente, un juge valide une fouille effectuée dans un contexte particulier impliquant le port d’un article de mode bien particulier: la sacoche pour homme, communément appelée man- purse, dans l’espace public.

Il s’agit à la base d’un jugement rejetant une demande d’exclusion de la preuve. Les faits sont les suivants: en octobre 2023, l’accusait marchait sur un trottoir du centre‑ville de Montréal avec un pistolet de marque Glock-19, chargé et modifié. L’arme était cachée dans un « man‑purse » de marque Givenchy. Deux policiers qui passaient par là, invoquant un comportement suspect de l’accusé, jugent avoir des motifs raisonnables de soupçonner qu’il transportait une arme à feu dissimulée. Ils le fouillent et trouvent l’arme, de même qu’une grande quantité d’argent. La défense invoquait essentiellement que le seul motif de fouille des policiers était le fait de se promener avec un man-purse de luxe, ce qui n’est pas en soi un motif valable.

Discutant de ce qu’on peut qualifier de comportement suspect aux yeux des policiers, le juge indique:

[74]         En matière d’infractions relatives à la possession d’arme de poing, la jurisprudence accorde une importance considérable au fait que la personne observée fait des mouvements calculés, contre nature, lorsqu’il aperçoit les policiers, notamment :

(1)  En serrant un objet ou un sac contre son corps;

(2)  En coinçant son bras ou son coude contre son torse

(3)  En oscillant bizarrement – ou en n’oscillant pas du tout – les bras en marchant

(4)  En réalignant discrètement son corps dans le but de cacher un objet de la ligne de mire du policier. La jurisprudence utilise le terme anglais « blading » pour décrire cette manœuvre.

(5)  En faisant des « self‑pat », soit le fait de s’autopalper momentanément, parfois de manière inconsciente, afin de confirmer que l’objet caché est toujours bel et bien à sa place

(6)  En sortant préventivement une pièce d’identité pour l’avoir prête, avant même que les policiers la demandent.

(7)  En faisant des mouvements plus manifestes compatibles avec le fait de vouloir cacher un objet.

Le juge ajoute aussi:

[86]         La défense soutient, de façon créative, qu’il y a bel et bien eu « profilage », soit un « profilage des gens portant des man‑purses ». Or, cela va de soi, dans une certaine mesure, bien que le mot « profilage » soit un terme trompeur. Sans admette un profilage quelconque, les deux policiers ont effectivement affirmé que le port du man‑purse était un signe pertinent à considérer, parmi tant d’autres et ce, conformément à leur formation spécialisée et leurs multiples expériences pratiques sur le terrain.

[87]         Avec égards pour l’avis contraire, ceci n’est pas répréhensible ou même problématique. Physiquement, de par sa conception, le sac en bandoulière est un accessoire de mode qui se prête bien au transport d’une arme de poing. Empiriquement, selon une preuve non contredite au voir-dire, les man-purses sont très souvent utilisés pour transporter des armes à feu illégales. Cette réalité ne doit pas être ignorée.

[88]         Le Tribunal a donc demandé au procureur en quoi ce « profilage » serait choquant ou indésirable. Certes, le profilage des suspects sera déplorable s’il est basé sur la race, l’origine ethnique, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle apparente ou l’appartenance à une classe sociale marginalisée. Par contre, selon le Tribunal, ces principes ne s’appliquent pas à une catégorie d’accessoire de mode. Par analogie, il est utile de rappeler que la discrimination étatique enfreindra l’art 15 de la Charte seulement si elle est basée sur des caractéristiques personnelles analogues qui sont fondées sur la dignité et l’identité de la personne, ou celles d’un groupe d’individus qui constituent une minorité discrète et isolée, selon l’ensemble du contexte social, politique et juridique. Or, la catégorie de « personnes avec une sacoche » n’est pas une classe protégée et elle ne doit pas le devenir. Ces personnes ne constituent certainement pas une minorité discrète et isolée. (nos caractères gras)

Et le juge de conclure en ces termes colorés sur la question des sacoches:

[98]         Si les jeunes hommes sont mécontents de l’attention que les man‑purses attirent de la part des policiers, ils n’ont qu’à ne pas en porter. Cet accessoire de mode n’est aucunement relié à la culture, à l’identité ou à l’intégrité de la personne. Il est loin d’être essentiel. La mode est relativement récente. Depuis des décennies, les hommes se débrouillaient bien sans man‑purses. Qu’ils soient sans crainte : les portefeuilles continuent à exister; les poches de pantalon et de manteau aussi. (nos caractères gras)

Le juge conclut que les policiers en l’espèce avait des faits objectifs observables qui rendaient la fouille par palpation légale.

Le lecteur avisé ne pourra s’empêcher de faire le lien avec les propos tenus lors d’une des conférences tenues à la dernière journée des juristes LSJPA, à l’automne dernier. Le policier conférencier d’ENSALA avait justement discuté de la prolifération des armes chez les jeunes, et évoqué le fait que ce type de sacoche était effectivement un « endroit de prédilection » pour transporter de telles armes à feu.

Radio-Canada enquête sur les fouilles complètes en centre de réadaptation

Dans un article paru le 24 avril dernier, Radio-Canada expose des statistiques liées aux fouilles complètes survenant en centre de réadaptation.

Une fouille complète est généralement effectuée à la demande d’un intervenant jeunesse, avec l’autorisation d’un superviseur. Divers motifs peuvent être invoqués, comme la possible possession de drogue, d’une arme ou d’un objet qui pourrait représenter un danger pour le jeune ou pour autrui.

Lors de la fouille, qui se fait dans un lieu en retrait, deux adultes doivent être présents, dont au moins un du même sexe que le jeune.

Le jeune doit alors retirer tous ses vêtements – y compris ses sous-vêtements – avant de se couvrir avec une robe de chambre ou une serviette. C’est à ce moment qu’il subit une inspection visuelle de certaines parties de son corps : aisselles, nuque, intérieur de la bouche, intérieur des mains, plante des pieds, etc. [*]

La nudité du jeune n’est toutefois jamais exposée aux adultes présents. En ce sens, la fouille complète ne peut pas être qualifiée de fouille à nu, une pratique interdite.

Le journaliste fait état des inquiétudes de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse concernant le nombre de fouilles survenant en centre.

Différents établissements expliquent par ailleurs que la façon de computer les fouilles peut être différente d’une région à l’autre. L’an dernier, plus de 5700 fouilles complètes ont été réalisées auprès de jeunes hébergés ou faisant l’objet d’une peine de placement sous garde en centre de réadaptation..

Par ailleurs, l’objectif des intervenants pour justifier ces fouilles est le même : la sécurité du jeune et des autres jeunes.

Pour lire l’ensemble du reportage, c’est ici.

* La pratique quant aux fouilles dépend d’une région à l’autre. Par exemple, dans certaines régions, l’adolescent peut garder ses sous-vêtements.

Fouille d’un casier scolaire sans mandat – abusive?

Dans la décision LSJPA – 1619, une adolescente accusée de possession de cannabis présente une requête en exclusion de la preuve. Elle prétend que la saisie de cannabis par le directeur de l’école est abusive car il n’avait pas de motifs raisonnables de fouiller son casier sans avoir un mandat. Le juge conclut plutôt que le directeur d’école avait des motifs raisonnables pour effectuer la fouille et donc que celle-ci n’est pas abusive. Le juge rejette donc la requête en exclusion de cette preuve.

Voici le contexte factuel de cette fouille :

  • L’adolescente a été suspendue de l’école le mois précédent puisqu’elle était en état de consommation, ce qu’elle reconnaît.
  • L’école de l’adolescente s’est dotée d’un règlement bien publié dans l’agenda scolaire qui prévoit que l’établissement se réserve le droit de procéder à la fouille d’un casier d’élève lorsqu’il existe des motifs de croire que l’élève contrevient à la loi.
  • Le jour de la fouille, l’adolescente est sortie de sa classe et de l’école seulement cinq minutes après le début d’un cours, ce qui représente une situation hautement inhabituelle.
  • Le directeur de l’école observe l’adolescente à l’extérieur de l’école : il voit qu’elle est en présence d’un jeune adulte et qu’elle a de l’argent dans les mains.
  • Lorsque le directeur de l’école la raccompagne en classe, l’adolescente s’arrête à son casier et met quelque chose dans la poche de son manteau.
  • Le directeur n’est pas en mesure de voir ce que l’adolescente met dans la poche de son manteau, mais il est en mesure de constater que ce n’est pas de l’argent.
  • Le directeur fouille alors avec un témoin le casier non-barré de l’adolescente et trouve un sachet de cannabis dans la poche de son manteau.

Voici l’analyse effectuée par le juge :

  • La Cour Suprême rappelle que les autorités scolaires ont une norme d’intervention plus souple en matière de fouille étant donné qu’elles doivent pouvoir réagir de façon rapide et efficace afin de protéger la sécurité des élèves et d’appliquer les règlements scolaires.
  • Un enseignant ou un directeur ne sont pas tenus d’obtenir un mandat pour procéder à la fouille d’un élève et donc l’absence d’un mandat ne laisse pas présupposer que la fouille est abusive.
  • Le critère applicable en l’espèce est celui du motif raisonnable de croire qu’une règle de l’école a été violée. Ces motifs peuvent être fondés sur des renseignements crédibles reçus, des observations effectuées ou une combinaison de ceux-ci que l’autorité scolaire estime crédible dans l’ensemble.
  • L’autorité scolaire jouit d’une large discrétion pour analyser la crédibilité des renseignements reçus et le contexte individuel de leurs élèves puisqu’ils sont les mieux placés pour évaluer ce qui se passe au sein de leur établissement.
  • Les tribunaux doivent reconnaître la situation privilégiée des autorités scolaires lorsqu’il est question d’évaluer s’il existe des motifs raisonnables de procéder à une fouille.

Fouille dans la chambre à coucher d’un adolescent

Dans la décision LSJPA-1540 2015 QCCQ 7663, la Cour a été saisie d’une requête en exclusion de la preuve fondée sur les articles 8, 10 b) et 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette requête a été présentée après que les policiers se soient rendus au domicile de l’adolescent et qu’ils aient fouillé sa chambre à coucher et le coffre-fort s’y retrouvant. Les policiers avaient été appelés par la mère de l’adolescent.

La Cour a dû répondre aux questions en litige suivantes:

L’adolescent a-t-il été informé de ses droits en conformité avec l’article 10 b) de la Charte? A-t-il renoncé à ce droit?

 L’adolescent avait-il une attente raisonnable en matière de vie privée lui permettant d’invoquer une atteinte à la protection constitutionnelle de l’article 8 de la Charte?

1.     Si oui, la renonciation de l’adolescent à cette protection par un consentement est-elle valide?

2.     Si non, le consentement de la mère était-il suffisant pour permettre aux policiers de fouiller la chambre et le coffre-fort de l’adolescent?

La fouille effectuée par les policiers, sans mandat, était-elle raisonnable?

La Cour a mentionné ce qui suit aux paragraphes 112,138,141,166 et 167 :

[112]     En conclusion, les règles particulières énoncées dans R. c. L.T.H. ont été respectées. L’adolescent a été informé de ses droits en conformité avec l’article 10 b) de la Charte et y a renoncé de façon libre et volontaire.

[138]     Parce que la mère est propriétaire de la maison et qu’elle en assume tous les frais, parce qu’elle bénéficie d’un droit d’accès non limité à toutes les pièces de la maison, incluant la chambre de l’adolescent, parce qu’elle édicte les règles de vie, incluant l’accès par des tiers dans la chambre de l’adolescent, la soussignée croit que l’adolescent ne pouvait pas avoir d’expectative de vie privée à l’égard de sa chambre, qu’il pouvait au contraire s’attendre à ce que sa mère ait un certain regard sur la situation.

[141]     En conséquence,  l’adolescent avait une attente raisonnable en matière de vie privée lui permettant d’invoquer une atteinte à la protection constitutionnelle de l’article 8 de la Charte en ce qui concerne le coffre-fort et son contenu.

[166]     Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas eu de violation des droits et libertés.

[167]     Pour tous les motifs énoncés, le Tribunal considère que la fouille effectuée sans mandat l’a été de façon raisonnable.

 

Légalité de l’intervention policière et la fouille accessoire à l’arrestation

Dans la décision LSJPA-1363 2013 QCCA 2198, la Cour d’appel siégeait en appel d’une décision de la Chambre de la jeunesse qui avait rejeté une requête en exclusion de la preuve en vertu des articles 7, 8 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Tout d’abord, la Cour a rappelé les principes des arrêts R. c. Dault et Joyal c. R.  à propos de l’intervention policière et elle a mentionné :  » le juge de première instance a eu raison de conclure que les policiers pouvaient en toute légalité s’approcher du véhicule de l’appelant et faire des observations visuelles à l’intérieur du véhicule.

De plus, après avoir analysé le droit de la fouille accessoire à l’arrestation à la lumière de la doctrine et de la l’arrêt Cloutier c. Langlois, la Cour a décidé que : « c’est à bon droit que le juge de première instance a conclu que les policiers avaient un motif objectivement raisonnable, lié à l’arrestation pour procéder à la fouille, qui a été effectuée de façon raisonnable ».