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Arrêt des procédures en appel

Le 26 juillet 2023, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse était amenée à se prononcer quant à une situation assez particulière.

On en comprend qu’après une période de délibéré, le juge de première instance impose à l’adolescent une peine de garde et surveillance d’une durée de 24 mois sur des chefs d’accusation de contacts sexuels. Le même jour, le juge rejette verbalement la demande formulée par la défense afin d’obtenir un arrêt des procédures, fondée sur l’application des principes de l’arrêt Jordan. Le juge explique alors avoir pris connaissance des arguments présentés par écrit par la poursuite et la défense, énonce sa décision, mais soulève avoir été incapable de fournir des motifs écrits « at this time ». Le juge s’exprime ainsi :

« Suffice it to say I reject the application for a stay by the defence based primarily on the court accepting the position outlined by the Crown in their brief. A more formal Jordan decision will be provided to counsel in due course […] ». Le hic, c’est que ces motifs n’ont jamais été fournis aux parties.

La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse rappelle que « reasons will not withstand appellate scrutiny if they are both inadequate and inscrutable ».

En l’espèce, la Cour d’appel conclut que les motifs fournis par le juge de première instance sont largement insuffisants :

« The requirements for sufficient reasons established by the Supreme Court of Canada […] were not satisfied: the reasons did not inform the defence of the basis for the dismissal of the motion nor do they enable this Court to understand the judge’s rationale.

The judge’s reasons do not explain the basis for his decision, especially in light of trial Crown advancing two arguments to counter the defence motion: implicit waiver by the defence of over a year’s worth of delay and, in the alternative, the exceptional discrete circumstance of the Covid pandemic. For exceptional circumstances to be in play there has to be a determination the delay has exceeded the Jordan ceiling. A finding of implied waiver, on the other hand, grounds a finding that the ceiling was not reached ».

Le raisonnement du juge comporte de graves lacunes puisqu’il ne permet pas de déterminer lequel des arguments il accepte. Ces argument supposent pourtant des considérations bien distinctes. Ainsi, le juge néglige l’analyse qui lui est pourtant imposée lorsque saisi d’une telle demande, dans le souci de dûment procéder à la computation des délais et de trancher quant à l’application des principes de l’arrêt Jordan.

Considérant ces constats, la Cour d’appel procède à l’analyse des délais de l’affaire et conclut que le délai imposé par la Cour suprême sous l’article 11 b) de la Charte canadienne est excédé. La Cour prononce l’arrêt des procédures à l’endroit de l’adolescent.

Pour lire la décision, c’est ici.

Une première cour d’appel se penche sur l’arrêt Jordan en LSJPA

Dans R. v. KJM, l’adolescent loge un appel à l’encontre d’une décision ayant rejeté sa demande en arrêt des procédures pour ne pas avoir été jugé dans un délai raisonnable, conformément à l’article 11b) de la Charte canadienne. Il s’agit d’une première cour d’appel au pays devant se pencher sur la question de l’application du plafond présumé établi par l’arrêt Jordan, en matière de justice pénale pour adolescents.

La Cour d’appel de l’Alberta est divisée sur la question de savoir si un plafond présumé inférieur à 18 mois devrait s’appliquer pour un adolescent poursuivi en vertu de la LSJPA. La majorité choisit de rejeter l’appel de l’adolescent et confirme la décision de première instance. La troisième juge aurait toutefois accueilli l’appel et ordonné un arrêt des procédures.

Dans un premier temps, le juge Wakeling rappelle que l’arrêt Jordan a établi qu’il existe un plafond présumé de dix-huit mois pour les infractions jugées par un tribunal provincial et un plafond présumé de trente mois pour les infractions jugées par une cour supérieure. Un adolescent poursuivi en vertu de la LSJPA est jugé devant un tribunal pour adolescents. Un tribunal pour adolescents peut être un tribunal provincial ou supérieur. Il s’ensuit que les procédures intentées devant un tribunal pour adolescents sont assujetties aux plafonds présumés prévus par l’arrêt Jordan. De plus, le juge considère que la preuve au dossier ne permet pas à la Cour de déterminer rationnellement un plafond présumé différent pour les adolescents, aucune preuve d’expert n’ayant été présentée. Le juge considère qu’il relève du Parlement d’adopter des lois s’il est d’avis que le plafond présumé établi par la Cour suprême est inapproprié pour un adolescent.

Ensuite, le juge O’Ferrall, expose ses motifs concordants quant au résultat. Il est plutôt d’avis qu’aucun plafond présumé ne devrait s’appliquer à un adolescent. Pour le juge, étant donné le caractère arbitraire et la rigidité relative de tout plafond présumé, il serait erroné en droit d’appliquer des plafonds présumés aux adolescents. Une durée raisonnable entre les accusations et le procès dans le cas des adolescents dépendra d’une multitude de facteurs. Il n’y a pas de place pour les plafonds présumés dans les affaires concernant les tribunaux pour adolescents. Selon le juge, le délai analysé par la juge de première instance n’était pas déraisonnable.

Finalement, la juge Veldhuis aurait accueilli l’appel. Ses arguments se rapportent au passage du temps qui est vécu différemment par un adolescent que par un adulte. Elle explique qu’en apparence, un plafond plus bas pour les adolescents peut sembler leur procurer une garantie constitutionnelle spéciale. Toutefois, un plafond inférieur est requis pour garantir aux adolescents le même niveau de protection par la Charte que les adultes. Un plafond inférieur est requis pour pleinement donner effet à l’art. 11b) dans le cas d’un adolescent. Ne pas faire la distinction entre les adultes et les adolescents de cette manière ignorerait les effets préjudiciables accrus vécus par les adolescents en raison des délais et aurait pour effet de les traiter de façon plus sévère que les adultes. La juge conclut que le plafond présumé pour un adolescent devrait être de quinze mois.

La tendance en Ontario quant à l’arrêt Jordan pour les adolescents

Cet article fait suite à un article publié sur notre Blogue le 12 mars 2018 et qui analysait l’application de l’arrêt Jordan aux causes intentées en vertu de la LSJPA en Ontario.

Dans la décision R. v. Z.N., la Cour de justice de l’Ontario, sous la plume du juge Webber, se penche sur une demande en arrêt des procédures. L’adolescent allègue que son droit d’être jugé dans un délai raisonnable, tel que prévu à l’article 11b) de la Charte canadienne, n’a pas été respecté. L’adolescent argumente d’une part que le plafond présumé de 18 mois n’a pas été respecté et que, subsidiairement, un plafond présumé moins élevé devrait être établi pour les causes concernant les adolescents poursuivis sous la LSJPA.

Sans reprendre l’analyse détaillée du juge quant à la computation des délais et du plafond présumé de 18 mois, mentionnons simplement que le juge arrive à la conclusion que les délais excèdent le plafond présumé de 18 mois.

Suite à cette conclusion, le juge Webber se livre tout de même à l’analyse de l’argument soumis par la défense à l’effet que les adolescents devraient bénéficier d’un plafond présumé inférieur à celui prévu par la Cour suprême dans l’arrêt Jordan. Le juge Webber se déclare tout à fait en accord avec les motifs du juge Paciocco dans l’arrêt R. v. J.M., auxquels les juges Watson et O’Marra avaient adhéré également dans les décisions R. v. P.S. et R. v. D.A. respectivement.

Pour appuyer sa position, le juge Webber se base principalement sur l’aspect du préjudice subi par les adolescents en lien avec les délais judiciaires. Tout comme l’avait mentionné la Cour d’appel de l’Ontario avant l’arrêt Jordan, le passage du temps est particulièrement préjudiciable pour un adolescent. Pour le juge, le préjudice est accéléré en quelque sorte pour les adolescents. Ce n’est qu’en abaissant le plafond présumé établi par l’arrêt Jordan qu’on parviendra à ce que les adultes et les adolescents vivent et expérimentent les mêmes garanties constitutionnelles.

Pour ces raisons, le juge Webber conclut que le plafond présumé pour les adolescents devrait être de quinze (15) mois. Le juge ouvre toutefois la porte à ce que ce plafond soit même abaissé à douze (12) mois vraisemblablement dans un avenir rapproché.

L’arrêt Jordan continue de diviser la Cour de justice d’Ontario

Comme l’a exposé notre collègue Me Rosalie Kott le 2 février dernier, la Cour de justice d’Ontario s’est récemment penchée sur la question du plafond présumé établi par l’arrêt Jordan quant au droit d’être jugé dans un délai raisonnable et ce, en matière de justice pénale pour adolescents.

Deux jugements datés du 5 mars 2018 rendus par deux juges différents, siégeant pour la Cour de justice d’Ontario, traitent également de la question du plafond présumé en matière de justice pénale pour adolescents. Dans chaque cas, l’adolescent demande l’arrêt des procédures pour ne pas avoir été jugé dans un délai raisonnable, comme l’exige l’article 11b) de la Charte canadienne. Ces jugements reconnaissent notamment la division de leur propre cour sur la question.

Dans R. v. D.A., le juge Paul Thomas O’Marra accepte l’argument qu’un adolescent doit bénéficier d’un plafond présumé plus bas que celui déterminé par la Cour suprême dans l’arrêt Jordan (18 mois pour ce genre de cause). Il se base notamment sur l’article 3(1)b) LSJPA et sur les arguments du juge Paciocco dans l’arrêt R. v. J.M. Le juge O’Marra conclut que pour un cas qui n’est pas particulièrement complexe, le plafond présumé devrait être de 12 mois pour un adolescent. Il mentionne entre autre ce qui suit :

youth court proceedings should conclude more quickly than adult proceedings. Secondly, the effect of time is distorted for a young person. Finally, there is a need to appreciate the connection between behaviour and its consequences.

Dans R. v. P.S., le juge Ronald Cameron Blake Watson accepte également l’argument qu’un plafond présumé plus bas que celui de Jordan devrait être prévu dans le cas d’adolescents poursuivis en vertu de la LSJPA. Pour se faire, le juge Watson reprend de façon extensive les arguments du juge Paciocco dans J.M. Le juge ne se prononce toutefois pas sur la durée d’un tel plafond présumé réduit.

Dans ces deux décisions, l’arrêt des procédures est ordonné.