Archives de catégorie : Actualités

Un constat préoccupant quant au taux de détention des Autochtones, particulièrement des Inuits

La semaine dernière, La presse rapportait qu’un Inuit sur 20 a déjà été détenu au cours de la période d’un an s’échelonnant du 31 mars 2021 au 31 mars 2022. Ce taux est près de deux fois supérieur à celui de tous les autres groupes autochtones, et de 15 fois plus élevé que la moyenne provinciale. Ce constat est fort préoccupant.

Les Inuits représentent moins de 0,16 % de la population québécoise, mais comptent pour 2,45 de la population carcérale; ils forment aussi 12,4 % de la population autochtone au Québec, mais ils comptent pour 35 % de la population carcérale autochtone dans les prisons québécoises. Malheureusement, ces chiffres ne sont pas décortiqués par groupe d’âge, donc nous n’avons pas la statistique pour les adolescents Inuit. Il y a fort à parier que ces chiffres soient aussi très élevés.

Le manque de ressources serait au cœur du problème. La Presse rapportait que les programmes visant à prévenir les crimes ou à détourner les contrevenants du système judiciaire ne sont pas souvent disponibles dans le Nunavik, où vit la majorité des Inuits de la province. De plus, contrairement aux Cris, les Inuits n’ont pas pris en charge l’administration de la justice. En mai 2022, le Service de police du Nunavik ne comptait que 4 agents inuits sur les 88 qu’ils employaient, alors que la population de la région est inuite à 90 %. Finalement, il n’existerait aucune prison au Nunavik. Les détenus doivent souvent être emprisonnés à plus de 1000 kilomètres de chez eux. 

AVIS DE PROBLÈME TECHNIQUE

Attention! Avis a tous nos chers abonnes: nous éprouvons présentement des problèmes techniques avec le site http://www.lsjpa.com.

Si vous tentez de vous y rendre, vous serez temporairement redirigés vers le site https://lsjpa.wordpress.com/

Ce site de remplacement temporaire est identique a l’ancien. Vous continuez d’avoir accès a l’ensemble du contenu usuel.

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MISE A JOUR EN DATE DU 6 MARS: LE PROBLEME TECHNIQUE EST RESOLU.

Le tribunal décline juridiction pour procéder à un examen de peine déposé après l’expiration de ladite peine

Dans une décision rendue publique récemment, la Cour du Québec devait trancher une question intéressante. 

L’adolescente avait déposé une demande d’examen au tribunal après la date de fin de sa peine. Le DPCP et le DP argumentaient que le tribunal n’avait pas compétence pour procéder à l’examen puisque la demande n’était pas recevable, puisque déposée après la fin de l’ordonnance. L’adolescente soutenait pour sa part que l’article 59 LSJPA ne précise pas de délai dans lequel cette demande doit être faite. Le Tribunal aurait donc la compétence pour agir, selon elle.

Les faits étaient les suivants : le 10 mars 2022, l’adolescente reçoit une peine d’absolution conditionnelle, dont la condition est de réaliser 75 heures de travaux bénévoles dans un délai de six mois. Le délai expire donc le 9 septembre 2022. Or, le 20 septembre 2022, donc plusieurs jours après l’expiration du délai, l’adolescente dépose une demande d’examen en vertu de l’article 59 LSJPA, invoquant son travail et des problèmes de santé pour expliquer son manquement à effectuer les travaux bénévoles.

La juge se range de l’opinion du DPCP/DP et en vient à la conclusion que la notion de prolongation telle que prévue à 59 LSJPA implique nécessairement que la peine soit toujours en vigueur. En gros, la juge s’exprime ainsi :

[12]        Les termes de l’article 59 (7) de la LSJPA laissent peu de place à une autre interprétation. Qu’il s’agisse du texte français ou anglais, la loi précise que Tribunal a compétence pour confirmer la peine, l’annuler (terminate) ou la modifier. Conséquemment, qu’importe la demande que l’adolescent fait, il faut que la peine existe pour que le Tribunal puisse agir. La peine qui a cessé de produire ses effets ne peut pas être soumise à une demande d’examen.

(…)


[19]        De plus, lorsque le Tribunal fait bénéficier un adolescent d’une peine d’absolution c’est qu’il a confiance en son sens des responsabilités. Après coup, l’adolescent ne peut plaider sa négligence pour demander que la peine renaisse ou soit plus sévère afin d’obtenir un délai additionnel pour faire face à ses obligations. Une telle interprétation contreviendrait au principe de la responsabilisation qui est aussi inscrit dans la loi. (nos soulignements)

Dans une autre affaire assez similaire d’examen d’absolution conditionnelle datant de 2018, le tribunal n’avait pas décliné compétence, mais a contrario de la présente affaire, la demande en examen avait été déposée avant la fin de la peine.

Subsidiairement, la juge conclut que même si elle avait compétence, l’adolescente a été négligente et aurait dû agir promptement.

Le port du masque de procédure empêche t il le tribunal d’apprécier la crédibilité d’un témoin?

Dans une décision récente, la juge Bolduc a dû trancher une objection assez inusitée.

Dans cette affaire, l’accusé faisait face à des accusations d’agressions sexuelles. Le Ministère public demandait que l’enregistrement vidéo de la déclaration de la plaignante, mineure, soit admis en preuve, conformément à 715.1 Code criminel. La déclaration de la victime avait été enregistrée environ 10 mois après les faits reprochés.

L’accusé s’objectait au dépôt de l’enregistrement video au motif que la victime portait un masque de procédure (conformément aux règles sanitaires applicables à ce moment) couvrant une partie de son visage, le privant ainsi de son droit à une défense pleine et entière. Pour l’accusé, le fait que le visage de la victime ne soit pas visible dans son ensemble portait aussi atteinte à la bonne administration de la justice puisque le juge serait empêché de constater les expressions faciales du témoin, et ainsi d’apprécier sa crédibilité. L’accusé alléguait également que le fait que l’enquêteuse soit à plus de 2 mètres (mesures sanitaires obligent) et donc hors du champ de la caméra lui portait également préjudice. Finalement, sans s’objecter formellement pour ce motif, l’accusé questionnait également le caractère raisonnable du délai de 10 mois.

Rappelons que l’article 715.1. du Code criminel permet à certaines conditions de déposer l’enregistrement video de l’entrevue faite avec une victime mineure :

Témoignages — victimes ou témoins âgés de moins de dix-huit ans

715.1 (1) Dans les procédures dirigées contre l’accusé, dans le cas où une victime ou un témoin est âgé de moins de dix-huit ans au moment de la perpétration de l’infraction reprochée, l’enregistrement vidéo réalisé dans un délai raisonnable après la perpétration de l’infraction reprochée et montrant la victime ou le témoin en train de décrire les faits à l’origine de l’accusation est, sauf si le juge ou le juge de paix qui préside est d’avis que cela nuirait à la bonne administration de la justice, admissible en preuve si la victime ou le témoin confirme dans son témoignage le contenu de l’enregistrement.

Pour le ministère public, toutes les conditions de 715.1. étaient remplies.

Au terme de son analyse, la Juge rejette l’objection de l’accusé et autorise le dépôt de la video policière. La Juge s’exprime ainsi :

[21]                       Ainsi, l’objectif premier visé par l’article 715.1. du Code criminel est de préserver le meilleur récit ou le meilleur souvenir des événements de la victime ou du témoin afin de pouvoir aider à la découverte de la vérité.

[22]                       Cette disposition permet aux enfants et aux adolescents, pour qui il est souvent difficile de faire face au processus judiciaire, de rendre témoignage et d’être entendu de la manière la plus fiable possible.

[23]                       Pour être admissible en preuve, le Ministère public doit établir, selon la balance des probabilités, les quatre éléments prévus à l’article 715.1 du Code criminel.

[24]                       D’abord, la victime ou le témoin doit être âgé de moins de 18 ans au moment de la perpétration de l’infraction reprochée. En l’espèce, la plaignante avait 16 ans.

[25]                       Il doit être ensuite démontré que l’enregistrement vidéo de la déclaration a été réalisé dans un délai raisonnable après la perpétration de l’infraction reprochée. En l’espèce, les faits reprochés se sont produits le 27 juillet 2020, et l’enregistrement de la déclaration, 10 mois plus tard, soit le 26 mai 2021.

[26]                       La plaignante explique qu’elle a continué de côtoyer l’accusé à la suite de l’incident. Elle a ressenti de la honte et de la culpabilité. Elle s’est finalement confiée à un ami, qui en a parlé à l’éducatrice du milieu scolaire, et la mère a été informée de la situation. Rapidement, les policiers ont été contactés, soit le 12 mai 2021, puis la plaignante a été rencontrée par l’enquêteuse, qui a procédé à l’entrevue vidéo quelques jours plus tard, soit le 26 mai.

[27]                       Le législateur n’a pas précisé ce que constitue un délai raisonnable pour procéder à l’enregistrement de la déclaration vidéo, laissant au juge des faits l’appréciation de celui-ci à la lumière des circonstances propres à l’affaire.

[28]                       En l’espèce, un délai de 10 mois apparaît raisonnable considérant notamment la nature de l’infraction reprochée et la proximité entre l’accusé et la plaignante. Cette dernière explique qu’elle connaissait l’accusé depuis environ un an et demi. Bien qu’ils ne fréquentaient pas la même école, elle l’avait côtoyé à plusieurs occasions, notamment lors de partys, et le considérait comme un ami. Elle mentionne aussi avoir été sous le choc à la suite de l’incident.

[29]                       Le Ministère public doit établir, comme troisième élément, que l’enregistrement vidéo montre la victime ou le témoin en train de décrire les faits à l’origine de l’accusation.

[30]                       Dans la présente affaire, le visionnement de l’entrevue permet de voir la plaignante relater les faits qui ont conduit à l’accusation portée contre l’accusé. Toutefois, celle-ci porte un masque de procédure qui lui couvre la bouche et le nez, en raison des règles sanitaires strictes alors en vigueur. C’est principalement cette situation qui mène à la contestation de la part de l’accusé.

[31]                       L’accusé soumet que l’enregistrement vidéo de la déclaration de la plaignante ne devrait pas être admis en preuve pour valoir son témoignage puisque cela nuirait à la bonne administration de la justice et affecterait l’équité du procès. Il soutient que le fait que la plaignante porte un masque de procédure opaque le prive, de même que le juge, de pouvoir apprécier sa crédibilité en observant notamment ses expressions faciales.

[36]                       Dans l’affaire qui nous occupe, l’article 715.1. du Code criminel permet, à certaines conditions, que soit utilisé pour valoir le témoignage de la plaignante au procès l’enregistrement vidéo de la déclaration qu’elle a fournie à l’enquêteuse. Cela équivaudrait donc à permettre son témoignage alors que son visage était partiellement couvert d’un masque de procédure opaque.

[37]                       L’article 715.1 prévoit cependant que l’utilisation de l’enregistrement vidéo pour valoir le témoignage de la victime ou du témoin est conditionnelle au fait qu’elle ou qu’il confirme dans son témoignage au procès le contenu dudit enregistrement.

[38]                       Ainsi, dans la présente affaire, la plaignante sera présente au procès, pour rendre témoignage. Elle sera également disponible pour être contre-interrogée par la défense, et à cette occasion, elle déposera à visage découvert. Il sera donc possible, tant pour l’accusé que le juge, d’observer ses expressions faciales et les changements dans son comportement qui sont susceptibles d’avoir un impact sur l’appréciation de sa crédibilité.

[39]                       Il faut par ailleurs garder à l’esprit que la crédibilité d’un témoin ne s’évalue pas uniquement par ses expressions faciales, mais aussi, de façon non limitative, par la façon dont elle rend témoignage, par sa façon de répondre aux questions, de livrer son récit, par ses hésitations, sa voix, ou son langage corporel. De nombreux éléments doivent ainsi être considérés, et la façon dont a été captée la déclaration de la plaignante et celle dont sera tenu le procès en l’espèce permettront au juge de pouvoir procéder à une telle évaluation.

[40]                       Il faut se rappeler qu’il appartient au juge du procès d’évaluer, à la lumière de l’ensemble de la preuve reçue, la valeur probante des différents témoignages entendus. (nos surlignements)

Pour lire la décision intégrale, c’est par ici.

9 ans pour un meurtre

Récemment, dans un dossier de meurtre médiatisé dont nous avions discuté ici il y a plusieurs mois, La Presse rapporte que l’adolescent vient d’écoper de sa peine.

Rappelons que l’adolescent a plaidé coupable à un chef de meurtre pour un événement survenu en septembre 2021.

Rappel des faits retenus par la Juge

Le soir du 7 septembre 2021, l’adolescent se rend armé d’une machette dans une résidence pour rejoindre des gens. Il dépose l’arme sur le sofa à son arrivée et n’y retouchera plus. Un conflit éclate entre la victime et une autre personne. L’adolescent s’insère dans l’empoignade et blesse la victime en lui lançant un verre de bière sur la tête. Le conflit se poursuit dans la cuisine entre la victime et une autre personne. L’adolescent reste dans le salon et n’est donc pas témoin de la scène. Quand la victime revient au salon, il saigne abondamment. Il restera assis par terre pendant au moins une heure. La victime tente une première fois de s’enfuir en courant dans les escaliers. L’adolescent de 17 ans la rattrape toutefois et lui donne une raclée. L’adolescent va même jusqu’à projeter la victime sur une porte-miroir. Il la traine alors à l’étage. La victime tente de nouveau de s’enfuir. C’est lors de cette seconde tentative qu’elle sera poignardé à plusieurs reprises dans le dos. L’adolescent, toujours dans le salon, ne prend pas part à cette agression. L’adolescent participe ensuite au nettoyage de la scène de crime. Il enveloppe le corps de la victime dans plusieurs couches de tissu et le dépose dans un baril dans le garage. Ce n’est que trois jours plus tard que les policiers découvriront le corps à la suite d’une dénonciation.

Finalement, la Couronne et la défense ont présenté une suggestion commune, qui a été entérinée par Madame la Juge Lachance, à savoir une peine de 9 ans, divisée en 5 ans de placement en garde fermée suivi de 4 ans de mise en liberté sous conditions. Rappelons qu’en vertu de l’article 42(2)q)i LSJPA, la peine maximale pour meurtre est de 10 ans.

Pour lire la décision intégrale, voir ici.

La vidéo d’une poursuite policière sur l’autoroute Décarie à Montréal devient virale sur les réseaux sociaux

Le 7 janvier dernier, une impressionnante poursuite policière a eu lieu à Montréal à la suite d’un vol de téléphones dans un magasin de Granby. Les suspects ont été aperçus à bord de leur véhicule alors qu’ils étaient de retour sur l’île de Montréal.

La poursuite policière, qui a eu lieu en plein jour et qui s’est terminée sur l’autoroute Décarie, a été filmée par un citoyen. La vidéo a été publiée le 15 janvier dernier sur la plateforme Tiktok et elle compte à ce jour plus de 12 millions de vues.

On y voit les suspects prendre la fuite à pied, alors qu’ils sont pourchassés par une policière qui tente en vain de maîtriser l’un des individus.

Ceux-ci ont finalement été arrêtés un peu plus loin. L’un des suspects est d’âge mineur et il a été libéré suite à son arrestation. Les suspects font notamment face à des accusations de vol qualifié et de conduite dangereuse.   

Pour davantage de détails et pour visionner la vidéo en question, rendez-vous ici.

Arrêt des procédures ordonné pour un adolescent dont le droit au silence a été bafoué de façon flagrante lors de son interrogatoire

Dans une décision récente et fort intéressante, l’Honorable juge Savard de la Cour du Québec accueille une demande en arrêt de procédures, au motif que le droit au silence de l’adolescent avait été bafoué par la policière ayant procédé à son interrogatoire. La juge devait également trancher un voir dire sur l’admission en preuve de déclarations du jeune en vertu de 146 LSJPA.

Les faits étaient les suivants: l’adolescent faisait face à un chef d’accusation d’agression sexuelle et avait seulement 14 ans au moment de son interrogatoire. Le 18 octobre 2021, il se présente au poste de police accompagné de sa mère pour l’exécution d’un mandat visé contre lui, mandat signé par un juge. Il est alors mis en état d’arrestation et interrogé pendant une période de 6 heures 17 minutes.

La chronologie précise de l’interrogatoire est importante au dénouement de l’affaire donc nous la résumons ici. Dès son entrée en salle d’interrogatoire vers 9h22, la juge retient que l’accusé demande la présence de sa mère pour l’assister, demande qu’il va réitérer à 6 reprises avant qu’elle ne soit finalement accordée vers 11h31 (donc deux heures plus tard). Ce n’est qu’à 15h23 que l’adolescent est informé qu’il sera remis en liberté sous conditions. L’accusé a également été informé de ses droits constitutionnels. Toutefois, pendant sa détention, l’accusé va mentionner à la policière à pas moins de 15 reprises qu’il veut garder le silence, qu’il n’a rien à dire, qu’il ne veut pas parler et qu’il ne veut pas répondre aux questions. Malgré ces protestations répétées, la policière continue l’interrogatoire. De plus, elle utilise plusieurs techniques questionnantes, notamment d’invoquer à tort que de l’ADN de l’accusé a été trouvé dans la trousse médicolégale de la victime, qu’elle sait qu’il ment, que le juge ayant émis le mandat visé pense qu’il s’agit d’un dossier « très clair » etc. Finalement, vers 14h46, sans s’admettre coupable, l’adolescent finit par faire une déclaration incriminante.

La juge réitère d’abord les protections particulières s’appliquant aux adolescents, qui sont jugés plus vulnérables à la pression policière, et elle s’exprime ainsi quant aux faits de l’affaire en l’espèce:


[77]      (…) il y a lieu de s’interroger sur le respect du droit de l’adolescent d’être assisté par sa mère, et ce, dès le moment de son arrestation. L’explication donnée par l’enquêtrice pour ne pas faire droit à la demande de l’accusé dès son arrestation ne peut justifier un tel refus. Elle explique avoir attendu que le volet informationnel soit terminé, car elle voulait s’assurer que l’accusé comprenait bien ses droits et surtout qu’il ne se sentait pas mal à l’aise de discuter des faits (de nature sexuelle) devant sa mère. Il devait donc être informé qu’à tout moment, il pouvait demander l’exclusion de sa mère.

[78]      Avec respect, ceci aurait très bien pu être fait en présence de la mère ou encore juste avant qu’elle entre en salle d’interrogatoire. L’accusé connaissait ses droits puisqu’il avait consulté un avocat avant la rencontre et l’enquêtrice en avait été informée. Il était bien au fait que sa mère pouvait l’assister et c’est exactement la première demande qu’il a formulée. L’enquêtrice a fait fi des demandes multiples de l’accusé et ce faisant, elle a omis de mettre en œuvre les protections spéciales accordées aux adolescents.

[79]      Par ce refus, l’accusé s’est retrouvé dans une situation de grande vulnérabilité et de stress. L’enquêtrice aurait dû faire droit immédiatement à sa demande d’être assisté par sa mère. L’enquêtrice a fait fi de son droit, et ce, basé sur sa propre interprétation subjective des besoins de l’accusé. Elle aurait dû écouter et faire droit à la demande de l’accusé.

[80]      Mais ceci n’est que la pointe de l’iceberg. L’interrogatoire qui va s’en suivre pendant près de quatre heures est un cas flagrant de violation par l’enquêtrice du droit au silence de l’accusé.

[81]      Le Tribunal ne peut pas, comme le fait valoir la poursuite, isoler en séquences l’interrogatoire de l’accusé. C’est le contexte global de cette détention prolongée que le Tribunal doit analyser pour évaluer si, par sa conduite, l’enquêtrice a violé le droit de l’accusé de garder le silence. Agir autrement déconsidérerait grandement la valeur à accorder aux droits fondamentaux protégés par la Charte en plus de banaliser les gestes répréhensibles de l’État. L’interrogatoire de l’accusé doit être analysé comme un tout. C’est le cumul des violations commises par l’enquêtrice qui rend répréhensible sa conduite. (…)

Ensuite, la juge analyse les principes dégagés par la jurisprudence en matière d’interrogatoire et retient:

[89]      La Cour suprême a réitéré à plusieurs reprises l’importance que revêt l’interrogatoire dans le travail d’enquête des policiers. Le droit d’un accusé de garder le silence ne lui accorde pas le droit de ne pas se faire adresser la parole par les policiers.

[90]      Dans l’arrêt Hebert, la Cour souligne toutefois l’importance que l’enquête policière se fasse dans le respect des droits fondamentaux du prévenu. Il doit y avoir un juste équilibre entre les intérêts de la personne détenue et ceux de l’État. On y énonce que « la persuasion policière qui ne prive pas le suspect de son droit de choisir ni de son état d’esprit conscient ne viole pas le droit de garder le silence »Il y a toutefois des limites : « Si le suspect choisit de faire une déclaration, il peut le faire. Mais si le suspect choisit de ne pas en faire, l’État ne peut pas utiliser son pouvoir supérieur pour faire fi de la volonté du suspect et nier son choix ».

[91]      La question suivante se pose : jusqu’à quel point peut-on user de persuasion envers l’accusé qui souhaite choisir le silence pour la convaincre de passer aux aveux sans brimer son libre arbitre?

[92]      La Cour d’appel répond à cette question dans R. c. Otis.  La Cour y dégage certains principes afin de mieux comprendre l’étendue du pouvoir de persuasion:

1)   Il est légitime de donner l’opportunité aux policiers de poursuivre leur enquête afin d’obtenir des aveux;

2)   En dépit des aveux spontanés qui peuvent toujours survenir, l’expérience démontre que c’est l’interrogatoire qui généralement permet de convaincre une personne de passer aux aveux;

3)   Tout en concédant aux policiers le pouvoir de persuader une personne de passer aux aveux en dépit de son intention exprimée de garder le silence, doit être prise en compte la position de force qu’occupe celui qui interroge le sujet qui est en situation de dépendance;

4) Quand une personne fait valoir son droit, on ne peut l’ignorer et agir comme si elle y avait renoncé;

5) Dans l’état actuel du droit, ce sont à la fois les facteurs objectifs et subjectifs qui doivent être examinés dans la détermination du caractère volontaire des aveux, règle qui met essentiellement en cause ce qui a influé sur le libre arbitre;

6) Outre la règle énoncée au paragraphe précédent, la Charte garantit à la personne détenue son droit au silence et quand elle choisit le silence, « l’État ne peut utiliser son pouvoir supérieur pour faire fi de la volonté du suspect et nier son choix »;

7) Si à l’égard de l’al. 10 b), les policiers ont l’obligation d’accorder à la personne détenue ou arrêtée une possibilité raisonnable de consulter un avocat sans délai, ils doivent donc suspendre leur interrogatoire jusqu’à ce que cette personne ait eu cette possibilité raisonnable.

[93]      Dans cette même décision, la Cour, se référant à l’arrêt R. c. Liew, rappelle qu’il n’est pas nécessaire de faire la preuve d’un climat d’oppression pour établir la violation du droit au silence.

[94]      Dans Buttino c. R., la Cour d’appel note que la persuasion policière à des limites. Est interdite « la persuasion policière qui prend la forme de pression ou contrainte, physique ou psychologique, ou toute ruse ou stratagème qui prive de fait le suspect de son droit de choisir librement ou de conserver son choix ». La Cour souligne que « le droit au respect de son choix n’est pas, pour reprendre cette métaphore, un parapluie qu’on enlève lorsqu’il pleut ».

(nos soulignements).

Au terme de son analyse détaillée, la juge conclut que seul le droit au silence a été violé, que la conduite de l’État est choquante et abusive, qu’elle mine l’intégrité du processus judiciaire et doit être dénoncée, et que seul un arrêt des procédures peut constituer le remède approprié. Elle conclut aussi que les prescriptions de l’article 146 LSPJA n’ont pas non plus été respectées et que la déclaration n’était pas libre et volontaire. Conséquemment, elle ordonne un arrêt des procédures.

Adolescent reconnu coupable d’agression sexuelle et d’agression sexuelle causant des lésions corporelles

Le 10 novembre 2022, l’honorable Gilbert Lanthier, juge à la Chambre de la jeunesse, rendait une décision où il était amené à examiner le bien-fondé d’accusations d’agression sexuelle et d’agression sexuelle causant des lésions.

Les faits à l’origine des accusations relèvent de versions contradictoires. La plaignante témoigne sur plusieurs événements s’étant échelonnés sur une période d’un peu moins de deux (2) mois, au cours desquels elle et l’accusé ont eu plusieurs rapports sexuels consentants.

Ceci dit, la plaignante explique que bien que certains actes sexuels ont bien fait l’objet d’un consentement de sa part, d’autres, ceux à l’origine des accusations, se sont produits sans qu’elle n’y consente.

À cet effet, la plaignante réfère à des fellations et à un cunnilingus forcés et à un événement où l’accusé lui aurait causé des lésions au palais lors d’une fellation non consentie.

Le juge Lanthier se livre à une analyse de la crédibilité de chacune des versions et en vient à la conclusion que la poursuite s’est déchargée de prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels des infractions reprochées.

En effet, le juge Lanthier considère le témoignage de l’accusé, qui choisit de présenter une preuve, comme peu digne de foi. Son récit des faits comporte des contradictions et l’accusé tente à tout prix de présenter une image positive de lui-même en omettant les nécessaires nuances que comporte ce genre de témoignage. À l’inverse, le juge considère le témoignage de la plaignante comme crédible et ainsi, y prête foi.

Cette décision fait intervenir plusieurs notions de droit établies en Cour suprême du Canada, notamment la méthode d’analyse de versions contradictoires (R. c. W. (D.)), le consentement sexuel (R. c. Ewanchuk; R. c. J.A.) et de la Cour d’appel du Québec (R. c. Balde).

Pour lire la décision, c’est ici.

Les suggestions de balados (podcasts) en français…et en anglais

L’équipe d’Équijustice nous offre un balado québécois tout récent sur la justice réparatrice dans plusieurs situations: cas de non-consentement et de partage d’images intimes sur le web, voies de faits, homicide et tentative de meurtre, conflit intrafamilial, violence intime, conflit de voisinage. C’est disponible ici et sur toutes les plateformes de balados. Le premier épisode? Un partage d’images intimes sur les réseaux sociaux d’une adolescente qui a mené à un processus de médiation dans le cadre de la LSJPA. À écouter!

En attendant les prochains balados québécois sur le système de justice pénale pour adolescent ou ce qui l’entoure, après le succès de « Bienvenue à Cité-des-Prairies », dont nous vous parlions ici, nous vous suggérons des balados qui ont rencontré un certain succès en France ou ailleurs et qui peuvent intéresser l’ensemble des praticien.nes, des délégué.es aux avocat.es en passant par les ressources communautaires.

D’abord, « Mauvaise graine, la petite délinquance sous surveillance » plonge dans l’histoire française de la « délinquance juvénile » (l’équivalent de nos jeunes contrevenants) et propose un portrait fascinant des jeunes qui se retrouvaient dans ce système dans les années 1950 et 1960 et les transformations lentes du système vers un objectif d’éducation plutôt que de répression. C’est gratuit sur France Culture et ça se trouve ici.

Ensuite, une revue intéressante de l’état de la justice pénale pour adolescents en France est dressée par l’Alliance des Avocats pour les Droits de l’Homme (ADH) dans leur balado du 12 octobre 2022 intitulé « La justice pénale des mineurs ». La discussion est plutôt juridique, mais peut également intéresser les praticien.nes qui souhaitent en apprendre sur un autre système de justice pénale pour mineur.es. On peut facilement faire des rapprochements avec notre pratique, mais également constater les différences entre les juridictions sur le traitement de cet enjeu sociétal important. C’est gratuit et disponible sur le site de l’ADH (et sur toutes les plateformes de balados comme Spotify et Apple Podcasts), en cliquant sur le lien ici.

Finalement, une suggestion d’un balado anglophone qui propose de se plonger dans le système de justice pénale pour mineurs aux États-Unis chaque semaine. Il suffit de se diriger sur leur site internet ou sur toute plateforme de balados pour avoir accès à l’ensemble des épisodes. Les intervenant.es y parlent d’une panoplie de sujets, notamment de la détermination de la peine, de santé mentale, des affaires judiciaires importantes et du système de protection de la jeunesse. D’ailleurs, le balado a traité de la question du système de protection de la jeunesse/jeunes contrevenants pour les autochtones au Canada dans un épisode complet en date du 12 octobre 2022.

Assujettissement à une peine applicable aux adultes pour un ado reconnu coupable de proxénétisme

Radio-Canada Info publiait le 28 novembre un article relatif à une affaire entendue à la Chambre de la jeunesse – l’honorable Dominic Pagé – dans le cadre de laquelle un adolescent a été reconnu coupable de proxénétisme et assujetti à une peine applicable aux adultes.

Rappelons que l’assujettissement à une peine applicable aux adultes demeure une décision lourde de sens et exceptionnelle dans le système de justice pénale pour adolescents, en lien avec les objectifs de la LSJPA. Le tribunal appelé à statuer sur une telle demande doit recevoir une preuve le convaincant que :

a) la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent est réfutée;

b) une peine spécifique conforme aux principes et objectif énoncés au sous-alinéa 3(1)b)(ii) et à l’article 38 ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux.

Le juge a insisté sur le risque sérieux de récidive chez l’accusé, sur des remords exprimés sans réelle intention, en ajoutant que l’accusé « semble davantage préoccupé par son image, sa réputation et son avenir que par ceux des victimes ».

L’adolescent s’est vu imposer une peine d’emprisonnement de 5 ans.

La décision n’est toujours pas publiée à ce jour, mais pour lire l’article, c’est ici.