Archives du blogue

Contrevenants et baisse de la récidive: quels besoins prioriser en cours d’intervention?

Un article scientifique vient tout juste de paraître dans la dernière publication de la revue Criminal Justice and Behavior, volume 41, numéro 3, du mois de mars 2014. Les auteurs, Wooditch, Tang et Taxman de l’Université George Mason en Virginie, s’intéressent aux besoins dit criminogènes, qui sont en fait des facteurs de risque dynamiques. Ces facteurs de risque dynamiques sont reconnus dans la littérature comme étant les cibles appropriées à viser en cours d’intervention avec les contrevenants si on souhaite voir diminuer les risques de récidive (Andrew et Bonta, 2010). Ils sont représentés par les sept domaines suivants: les attitudes et les cognitions antisociales, les comportements antisociaux, les pairs antisociaux, les relations familiales, l’école et/ou le travail, la consommation de drogue et d’alcool, l’absence de loisir et d’activité récréative structurée.

Dans leur article intitulé «Wich Criminogenic Need Changes Are Most Important in Promoting Desistance From Crime and Substance Abuse?», les auteurs de la Virginie s’intéressent aux changements qui sont survenus dans ces sept domaines, chez des contrevenants de sexe masculin (n=251). Les contrevenants étaient tous soumis à une peine de probation dans la collectivité en lien avec des infractions reliées aux drogues. Ils étaient de plus exposés à un traitement intensif de 18  semaines impliquant des interventions de types cognitives-comportementales. Les auteurs ont suivi l’évolution des probationnaires en cours d’intervention sur une période de 12 mois. L’étude tente précisément d’identifier dans quelle mesure les fluctuations qui surviennent dans ces sept domaines, dits facteurs de risque dynamiques ou besoins criminogènes, sont de bons prédicteurs de la récidive et de la consommation de drogue illicite.

Les résultats indiquent que les probationnaires arrivaient à faire changer de façon significative quelques-uns des facteurs de risque dynamiques (ou besoins dits criminogènes) après les premiers 6 mois de la période de suivi, toutefois ces changements étaient plus marqués, et susceptibles de se produire, dans les 6 derniers mois. La participation à l’intervention intensive proposée serait un facilitateur du changement pour certains facteurs de risque dynamiques. Les probationnaires pour lesquels les besoins criminogènes s’étaient améliorés dans les domaines suivants:  famille, travail et/ou école et consommation d’alcool, sont ceux dont le risque de récidive diminuait le plus significativement. On peut penser qu’il s’agissait des facteurs de risque les plus représentés dans l’échantillon de 251 probationnnaires. De plus, les probationnaires ayant investi davantage le domaine des activités de loisirs et récréatives strucutrées sont ceux qui étaient les moins susceptibles de révéler faire usage de drogue.

Les auteurs concluent en disant que le modèle RBR identifient les domaines les plus fortement associés à la récidive comme étant: les attitudes et les cognitions antisociales, les pairs antisociaux, et les antécédents judiciares. Cette étude ne corroborent qu’en partie les résultats du modèle RBR. Les auteurs mettent plutôt en évidence la capacité de changer des contrevenants dans de courtes périodes de temps et l’importance de s’adresser aux besoins dits criminogènes en cours d’intervention. De plus, pour certains contrevenants, dont ceux sanctionnés pour des infractions reliées aux drogues, des interventions ciblant davantage leurs capacités sociales ( la famille, l’école, le travail et les loisirs structurés) que leurs capacités criminelles (attitudes et cognitions antisociales, pairs antisociaux) seraient efficaces en terme de réduction de la récidive.

Dérogation professionnelle et évaluation du risque:un bon ménage?

Un récent article paru au mois de juin 2013 dans la revue Criminal Justice and Behavior nous renseigne sur l’exercice clinique qu’on appelle dérogation professionnelle dans le cadre d’une évaluation du risque de récidive supportée par un instrument de type actuariel. La dérogation professionnelle consiste à considérer d’autres éléments, que ceux évalués dans l’instrument de type actuariel, pour décider du niveau d’encadrement qui sera offert à un contrevenant.

L’article, intitulé Practitioner Compliance with Risk/Needs Assessment Tools: A Theoritical and Empirical Assessment, s’intéresse à la pratique des cliniciens dans leur utilisation des instruments de type actuariel. Ces instruments visent à identifier les risques de récidive et les besoins liés aux facteurs criminogènes devant être ciblés par l’intervention auprès des contrevenants.

Les auteurs, Joel Miller (Rutgers University, New Jersey) et Carrie Maloney (Shippensburg University, New Jersey) affirment que la recherche contemporaine en criminologie reconnaît l’utilité des évaluations de type actuariel, car elles structurent le jugement clinique. Utilisés de façon conforme, les instruments de type actuariel contribuent à la réduction de la récidive (Harris et coll., 2004; Luong et Wormith, 2011). Toutefois, ces mêmes études indiquent que les effets positifs observés sont largement tributaires de la fidélité, donc de la conformité des cliniciens dans l’utilisation de ce type d’instrument. Shwalbe (2004), dans une meta-analyse sur l’évaluation du risque, suggère d’ailleurs qu’il y aurait un pattern de sous-utilisation des instruments par les cliniciens, donc de non-conformité.

Miller et Maloney présentent, dans leur article, des résultats issus d’une enquête effectuée auprès de 1087 professionnels américains utilisant des instruments de type actuariel. Ils concluent que la non-conformité peut prendre plusieurs formes, notamment dans 1) la complétion de l’instrument lui-même. Les deux autres types de non-conformité des cliniciens concernent  2) les décisions relatives au type d’encadrement, basée sur le niveau de  risque et 3)les décisions relatives aux cibles d’intervention, basée sur les besoins criminogènes.

Les analyses de Miller et Maloney démontrent que les instruments sont généralement bien complétés. En effet 49 % de leur échantillon complétait l’instrument de façon conforme. Les cliniciens prenaient toutefois des décisions trop sévères (ou plus restrictives) par rapport à ce que suggérait l’instrument quant à l’encadrement prescrit. 

Un autre groupe de cliniciens (39%) complétait lui aussi l’instrument de façon conforme. Toutefois,  ce groupe avait de pauvres résultats quant  aux décisions relatives au type d’encadrement (basée sur principe de risque) et aux décisions relatives aux cibles d’intervention.  Ces cliniciens étaient plus restrictifs en termes d’encadrement que le  prescrivait l’instrument et ils ne visaient pas des besoins criminogènes dans leur intervention.

Un dernier groupe (12%) n’utilisait pas bien l’instrument dans les trois aspects proposés par les auteurs.

L’utilisation d’instruments actuariels permet aux cliniciens d’aujourd’hui d’avoir une appréciation très juste du niveau de risque et des besoins liés aux facteurs criminogènes, deux composantes essentielles dans la détermination du type de traitement offert à un contrevenant.  Comme le constatent les auteurs, il semble que du travail demeure à faire auprès des communautés cliniques afin d’animer ces instruments  la pratique quotidienne.

Au Québec l’instrument du type actuariel qui est utilisé pour évaluer les adolescents contrevenants s’appelle Inventaire des risques et des besoins liés aux acteurs criminogènes (IRBC). Il est utilisé dans quelques-uns des Centres jeunesse du Québec.

Modèle RBR: principe de réceptivité

Le présent article constitue la suite et la fin d’une série d’articles portant sur le modèle RBR, développé par Andrews et Bonta.

Il existe en psychologie criminelle plusieurs famille de traitement: psychodynamique, humaniste, behavioriste ayant chacune leurs multiples déclinaisons. Au fil du temps et avec toutes les recherches scientifiques ayant eu cours dans le domaine de l’intervention de réadaptation, il apparaît clair que certaines stratégies d’intervention semblent plus efficaces auprès des contrevenants; l’objectif visé étant de faire diminuer la récidive. Les méta-analyses sur le sujet établissent que les programmes de traitement de type cognitif-comportemental serait les plus efficaces auprès de cette population (Andrews, Bonta et Hoge, 1990; Andrews, Zinger, Hoge, Bonta, Gendreau et Cullen, 1990; Landenberger et Lipsey, 2005). Le choix d’un programme de traitement jugé efficace, afin de s’adresser aux besoins criminogènes des contrevenants évalués comme étant à haut risque, représente l’essence du principe de réceptivité générale, (Andrews et Bonta, 2010). Le principe de réceptivité générale consiste donc à exposer les contrevenants aux types de traitements évalués comme étant efficaces auprès de cette population. Par exemple, des traitements de type psycho-thérapeutiques  où le contrevenant, en rencontre avec le cliniciens, s’exprime dans le cadre d’entrevues non directives sur les sujets qu’il choisit (i.e. qui ne sont pas en lien avec ses besoins criminogènes) arrive à des résultats moins probants que les approches plus dirigées, comme les traitements de type cognitif-comportemental.

Les traitements de type cognitif-comportemental sont effectués dans le cadre de l’interaction entre le contrevenant et le clinicien, qui utilise des situations sociales concrètes, sous forme de jeux de rôle, où le contrevenant pratique des habiletés spécifiques en lien avec les besoins criminogènes. Ces habiletés, tant comportementales que cognitives, sont susceptibles d’aider le contrevenant à adopter des stratégies comportementales plus adaptées.

Le principe de réceptivité a aussi un pendant spécifique. Lorsque vient le temps d’exposer le contrevenant à des programmes de traitement, comme mentionné précédemment, certains types de traitements sont plus efficaces. Toutefois, les stratégies qui seront utilisées pendant le dit traitement sont à considérer en fonction des caractéristiques personnelles du contrevenant. Donc, les aspects particuliers propres à la personnalité du contrevenant : son style d’apprentissage, sa motivation au traitement, son niveau de maturité, ses affects, son intelligence verbale, son origine culturelle,  etc. sont des facteurs qui doivent être considérés. Ils influent sur la réceptivité et, par conséquent, sur l’efficacité du traitement (Andrew et Bonta, 2010). La personnalité du thérapeute doit, elle aussi, être considérée dans l’optique où son association avec les caractéristiques personnelles du contrevenant est un élément qui favorise la réceptivité et, ainsi, de meilleures chances de succès du traitement. L’équation entre les caractéristiques personnelles du contrevenant et les stratégies d’intervention en cours de traitement et la personnalité du thérapeute vise l’atteinte du résultat suivant : un traitement différencié s’adressant à la personnalité du contrevenant. Le principe de réceptivité spécifique avance qu’en s’adressant à la personnalité du contrevenant, il est possible d’impacter sa motivation au traitement, ce qui s’avère pertinent si on souhaite que le contrevenant maintienne sa participation au traitement.

Modèle RBR: principe de besoin lié aux facteurs criminogènes

Dans le dernier article portant sur le modèle RBR nous abordions le principe de risque. Le présent article cherche à résumer le principe de besoin lié aux facteurs criminogènes.

Le principe de besoins liés aux facteurs criminogènes représente des facteurs de risque qui sont dynamiques. S’ils subissent une modification, ils sont associés à une fluctuation dans la probabilité de récidiver. Ce sont les cibles qui doivent être visées par le clinicien dans son intervention. De plus, les services qui seront offerts aux jeunes contrevenants, si on les souhaite efficaces, doivent donc tenir compte de ces besoins liés aux facteurs criminogènes. Ce sont ces cibles qui, si elles subissent une modification à la baisse, feront aussi baisser le risque de récidive (Andrews et Bonta, 2010).

Une distinction s’établie donc entre les besoins criminogènes et les besoins non criminogènes; comme tous les individus, les contrevenants ont des besoins; par exemple des besoins physiologiques, affectifs, psychologiques, etc. Le fait de combler ces derniers n’influence pas la diminution de la probabilité de récidiver des contrevenants. À titre d’exemple,  les besoins qui sont liés aux facteurs criminogènes sont, entres autres, les attitudes et les cognitions antisociales, les pairs antisociaux, les relations familiales, l’école, la consommation de drogue et d’alcool. (Andrews et Bonta 2010)

Surveillez le prochain article de cette série portant sur le modèle RBR. Il traitera du principe de réceptivité tel qu’élaboré par Andrews et Bonta  dans leur ouvrage The psychology of criminal conduct, fifth Edition, publié chez Anderson.

Modèle RBR: le principe de risque

On s’est longtemps intéressé à ce qu’il était à l’époque convenu d’appeler la dangerosité, alors considérée comme un trait fixé de la personnalité.  Les cliniciens, pour évaluer ce trait, utilisaient des instruments élaborés à l’aide de facteurs de risque statiques; des facteurs, qui par définition, ne subissent pas de modifications au fil du temps et sont athéoriques (Andrews, Bonta et Wormith, 2006). Ce type de démarche est bien sûr très utile  lorsque vient le temps d’effectuer des interventions visant l’identification et la neutralisation des contrevenants ciblés comme étant dangereux. Toutefois, la neutralisation n’est qu’une fraction des interventions de réadaptation qui visent maintenant les contrevenants. Dès qu’il est question d’intervention de réadaptation, le terme dangerosité devrait faire place à une notion plus complète, et plus complexe parce que dynamique, celle de principe du risque.

Le principe du risque se distingue de ce qu’on appelle risque de récidive, qui techniquement ne consiste qu’en une quantification de la probabilité pour un contrevenant de commettre à nouveau une infraction. Le principe du risque inclut bien sûr l’évaluation des risques de récidive pour un contrevenant, afin de repérer ceux étant à haut risque. L’objectif poursuivi étant toutefois davantage  de cibler, en priorité, les contrevenants à haut risque dans le but de les exposer à des programmes d’intervention intensifs et efficaces, ultimement dans le but de réduire les risques que présente cette population (Andrews et Bonta, 2010).  Le principe du risque est donc avant tout déterminant du type d’intervention qui sera offert aux contrevenants. Les contrevenants les plus à risque de récidiver devraient recevoir les interventions les plus intensives, qui visent des caractéristiques bien précises, soient les besoins liés aux facteurs criminogènes. Quant aux contrevenants qui présentent des risques faibles de récidiver, ils ne devraient pas être exposés à des interventions intensives. Le principe du risque peut donc être représenté par l’association entre les risques de récidive évalués chez un contrevenant, l’intensité du traitement qui lui sera offert et les cibles d’interventions qui seront visées par ce traitement intensif. Andrew et Bonta (2010) affirment que le principe du risque est « le pont entre l’évaluation et le traitement efficace» [traduction libre, p.48, The psychology of criminal conduct, fifth Edition, Anderson, Cincinnati].

Nous venons de résumer le premier principe du modèle RBR développé par Andrew et Bonta. Le prochain article de cette série portera sur le second principe du modèle RBR, soit celui des  besoins liés aux facteurs criminogènes.

Du risque de récidive à la réadaptation

Dans les dernières décennies, de nombreuses méta-analyses recensant les études portant sur la validation empirique de facteurs de risque ont été effectuées (Bonta, Law et Hanson 1998; Gendreau, Little et Goggin, 1996; Hanson et Morton-Bourgon, 2004). Aujourd’hui, l’ensemble de la communauté scientifique dans le domaine de la criminologie s’entend pour affirmer qu’il existe huit grands domaines significativement liés à la récidive, devant être la cible des interventions de réadaptation. Les huit domaines, maintenant reconnus comme des risques et des besoins liés aux facteurs criminogènes pouvant être associés à la récidive sont les suivants: comportements antisociaux dans le passé; personnalité antisociale; attitudes et cognitions antisociales; pairs antisociaux; famille et couple; éducation ou emploi; loisirs et activités récréatives; problèmes d’alcool ou de drogue (Andrews et Bonta 2010). Un changement dans l’un de ces huit domaines est directement associé à un changement dans le risque de récidive. C’est pourquoi il est profitable de viser ces cibles pour influencer la diminution de la récidive dans le cadre des interventions offertes aux contrevenants. Dans certaines situations, une diminution du niveau d’intensité de ces facteurs de risque pourrait mener à les considérer comme des facteurs de protection, contribuant à un risque de récidive plus faible pour un contrevenant.

Les travaux d’Andrews et Bonta (2010) établissent l’utilité d’évaluer les contrevenants. La démarche d’évaluation est bien sûr utile pour prédire la récidive, toutefois elle sert aussi à faire une intervention de réadaptation qui a pour but d’être efficace. Pour rencontrer cet objectif, il importe de s’intéresser aux principes suivants: risque et  besoins liés aux facteurs criminogènes (et/ou facteurs de protection) et réceptivité. Ces principes sont complétés par l’addition des principes de jugement clinique et d’intégrité thérapeutique. Ils sont parties intégrantes d’un modèle qui vise l’intervention efficace appelé RBR, en référant aux trois premiers principes: risque, besoin et réceptivité. Nous les définirons au cours des prochains jours dans une série  d’articles.  La démarche d’évaluation est donc utile pour prédire la récidive, mais sert aussi à optimiser les pratiques cliniques.