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Ce site se veut un outil pour le soutien à la pratique des intervenants dans l’application de la LSJPA, tant au niveau clinique, juridique que scientifique. Il est géré par une équipe pluridisciplinaire du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal, dans le cadre d’un mandat du MSSS. En savoir plus.

Les « man-purses » griffés, les armes, et la légalité des fouilles

Dans un article paru aujourd’hui concernant une décision récente, un juge valide une fouille effectuée dans un contexte particulier impliquant le port d’un article de mode bien particulier: la sacoche pour homme, communément appelée man- purse, dans l’espace public.

Il s’agit à la base d’un jugement rejetant une demande d’exclusion de la preuve. Les faits sont les suivants: en octobre 2023, l’accusait marchait sur un trottoir du centre‑ville de Montréal avec un pistolet de marque Glock-19, chargé et modifié. L’arme était cachée dans un « man‑purse » de marque Givenchy. Deux policiers qui passaient par là, invoquant un comportement suspect de l’accusé, jugent avoir des motifs raisonnables de soupçonner qu’il transportait une arme à feu dissimulée. Ils le fouillent et trouvent l’arme, de même qu’une grande quantité d’argent. La défense invoquait essentiellement que le seul motif de fouille des policiers était le fait de se promener avec un man-purse de luxe, ce qui n’est pas en soi un motif valable.

Discutant de ce qu’on peut qualifier de comportement suspect aux yeux des policiers, le juge indique:

[74]         En matière d’infractions relatives à la possession d’arme de poing, la jurisprudence accorde une importance considérable au fait que la personne observée fait des mouvements calculés, contre nature, lorsqu’il aperçoit les policiers, notamment :

(1)  En serrant un objet ou un sac contre son corps;

(2)  En coinçant son bras ou son coude contre son torse

(3)  En oscillant bizarrement – ou en n’oscillant pas du tout – les bras en marchant

(4)  En réalignant discrètement son corps dans le but de cacher un objet de la ligne de mire du policier. La jurisprudence utilise le terme anglais « blading » pour décrire cette manœuvre.

(5)  En faisant des « self‑pat », soit le fait de s’autopalper momentanément, parfois de manière inconsciente, afin de confirmer que l’objet caché est toujours bel et bien à sa place

(6)  En sortant préventivement une pièce d’identité pour l’avoir prête, avant même que les policiers la demandent.

(7)  En faisant des mouvements plus manifestes compatibles avec le fait de vouloir cacher un objet.

Le juge ajoute aussi:

[86]         La défense soutient, de façon créative, qu’il y a bel et bien eu « profilage », soit un « profilage des gens portant des man‑purses ». Or, cela va de soi, dans une certaine mesure, bien que le mot « profilage » soit un terme trompeur. Sans admette un profilage quelconque, les deux policiers ont effectivement affirmé que le port du man‑purse était un signe pertinent à considérer, parmi tant d’autres et ce, conformément à leur formation spécialisée et leurs multiples expériences pratiques sur le terrain.

[87]         Avec égards pour l’avis contraire, ceci n’est pas répréhensible ou même problématique. Physiquement, de par sa conception, le sac en bandoulière est un accessoire de mode qui se prête bien au transport d’une arme de poing. Empiriquement, selon une preuve non contredite au voir-dire, les man-purses sont très souvent utilisés pour transporter des armes à feu illégales. Cette réalité ne doit pas être ignorée.

[88]         Le Tribunal a donc demandé au procureur en quoi ce « profilage » serait choquant ou indésirable. Certes, le profilage des suspects sera déplorable s’il est basé sur la race, l’origine ethnique, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle apparente ou l’appartenance à une classe sociale marginalisée. Par contre, selon le Tribunal, ces principes ne s’appliquent pas à une catégorie d’accessoire de mode. Par analogie, il est utile de rappeler que la discrimination étatique enfreindra l’art 15 de la Charte seulement si elle est basée sur des caractéristiques personnelles analogues qui sont fondées sur la dignité et l’identité de la personne, ou celles d’un groupe d’individus qui constituent une minorité discrète et isolée, selon l’ensemble du contexte social, politique et juridique. Or, la catégorie de « personnes avec une sacoche » n’est pas une classe protégée et elle ne doit pas le devenir. Ces personnes ne constituent certainement pas une minorité discrète et isolée. (nos caractères gras)

Et le juge de conclure en ces termes colorés sur la question des sacoches:

[98]         Si les jeunes hommes sont mécontents de l’attention que les man‑purses attirent de la part des policiers, ils n’ont qu’à ne pas en porter. Cet accessoire de mode n’est aucunement relié à la culture, à l’identité ou à l’intégrité de la personne. Il est loin d’être essentiel. La mode est relativement récente. Depuis des décennies, les hommes se débrouillaient bien sans man‑purses. Qu’ils soient sans crainte : les portefeuilles continuent à exister; les poches de pantalon et de manteau aussi. (nos caractères gras)

Le juge conclut que les policiers en l’espèce avait des faits objectifs observables qui rendaient la fouille par palpation légale.

Le lecteur avisé ne pourra s’empêcher de faire le lien avec les propos tenus lors d’une des conférences tenues à la dernière journée des juristes LSJPA, à l’automne dernier. Le policier conférencier d’ENSALA avait justement discuté de la prolifération des armes chez les jeunes, et évoqué le fait que ce type de sacoche était effectivement un « endroit de prédilection » pour transporter de telles armes à feu.

Rattrapage télé: L’arme du crime, une enquête sur le trafic d’armes à feu illégales (Radio-Canada)

La prolifération des armes à feu à Montréal et celle du trafic de ces armes se retrouvent dans l’actualité chaque semaine depuis maintenant quelques années. Afin de mieux comprendre leur origine et la manière dont ces phénomènes se déploient, nous vous suggérons de visionner une série mise en ligne par Radio-Canada en février et mars 2024: L’arme du crime.

Dans cette série en 4 épisodes, le journaliste Simon Coutu s’est intéressé à la violence armée et aux personnes et groupes qui gravitent autour de cette réalité: familles, autorités policières, organismes communautaires, et même des jeunes gangsters armés.

La série constitue une rare incursion à la télévision dans le milieu des armes à feu et de sa périphérie. Nous saluons le travail journalistique fouillé et rigoureux réalisé pour la série qui nous permet d’être aux premières loges du phénomène.

Pour visionner la série, rendez-vous sur le site de Radio-Canada Télé.

Bonus: Simon Coutu a également été l’invité de l’émission « Tout le Monde en Parle » en février dernier en compagnie de l’intervenant de proximité Burt Pierre afin de discuter de la série et des jeunes victimes et perpétrateurs de crimes par armes à feu. Vous pouvez regarder l’extrait ici.

La Cour de justice de l’Ontario dénonce le traitement « inconcevable » d’un adolescent

Le jour de la marmotte: voici l’expression utilisée par le juge Fergus ODonnell de la Cour de justice de l’Ontario dans une décision récente pour décrire le traitement d’un adolescent qui a été transféré dans un établissement pour adultes en raison de son âge et qui n’a pas reçu les services qui sont habituellement offerts dans l’application d’une sentence jeunesse.

L’adolescent qui a reçu une sentence en vertu de la LSJPA a été placé un an dans un établissement à sécurité maximum pour adulte avec peu de programmes de réhabilitation et où l’accès à des traitements était limité, car il n’avait pas de diagnostic psychiatrique lié à ses difficultés. Or, le juge note que ce diagnostic était primordial et qu’après 12 jours de son transfert dans un autre établissement, l’adolescent obtenait ce diagnostic qui lui permet d’obtenir du support et de l’aide spécialisée.

Le juge décrit ainsi un problème récurrent de l’application de la LSJPA: un. adolescent.e qui est envoyé.e en dans un établissement pour adultes en raison de son âge est traité comme un de ceux-ci et ne bénéficie pas du traitement différencié des adultes qui est pourtant un principe fondamental de la LSJPA. Ce faisant, le juge constate un abandon des objectifs et principes de réhabilitation qui sont au cœur du système de justice pour adolescent.es.

Le juge mentionne également qu’il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau, les multiples problèmes occasionnés par la transition vers l’âge adulte (et l’âge du transfèrement vers un établissement pour adultes) étant régulièrement dénoncés par les tribunaux. Il termine ses observations sur le sujet avec des réflexions sur les priorités du gouvernement ontarien dans sa gestion de la justice pour adolescent.es :

« If the provincial government is committed to keeping society safe, its enduring inattention to providing appropriate supports for offenders who age out of the youth system and into the adult system is a most peculiar way of demonstrating it.  The rehabilitation of offenders is the surest and most enduring protection of the public and the sooner in a person’s life that it is done the better, ideally during an offender’s first involvements with the criminal justice system. »

Ces remarques peuvent servir de rappel de l’importance de prévoir une transition pour les adolescent.es se retrouvant dans le système de justice, particulièrement ceux qui reçoivent des sentences à être purgées dans des établissements pour adultes ou qui atteindront rapidement l’âge du transfèrement.

Confirmation d’un jugement en appel

Le 26 février 2024, la Cour d’appel rendait jugement dans une affaire où un adolescent s’est vu à la fois condamner sous la LSJPA et sous le régime adulte.

Dans cet arrêt, la Cour devait analyser les prétentions du ministère public à l’encontre de la décision sur la peine rendue par la juge de première instance. Les motifs d’appel concernaient l’application par cette dernière du principe de totalité, prévu au Code criminel et plus largement, l’étendue de la discrétion d’un tribunal de première instance lors de l’imposition d’une peine.

Les faits à l’origine de l’appel sont simples : la juge de première instance a imposé une peine spécifique à l’adolescent, en ordonnant par ailleurs que cette peine soit purgée de manière concurrente à une peine imposée antérieurement en vertu d’accusations sous le régime adulte.

Le ministère public en appelle de cette décision en soutenant que la décision d’imposer la peine spécifique de manière concurrente à l’autre peine constitue une erreur de principe et qu’en sus, la décision n’est pas suffisamment motivée.

En référant aux précédents pertinents, la Cour d’appel rappelle le processus qui doit être suivi par un juge chargé de déterminer la peine appropriée suite à une déclaration de culpabilité « dans le cas d’infractions multiples où les circonstances peuvent amener le juge d’instance à ordonner que les peines soient purgées de façon concurrente ou consécutive ». La Cour ajoute que même si un juge devait s’écarter de cette démarche, il n’en résulte pas nécessairement une erreur révisable et à cet effet cite un passage de l’arrêt R. c. Desjardins, rendu par cette même cour :

[43] Je ne propose pas une approche formaliste. Dans la mesure où les motifs concernant la détermination de la peine permettent de constater que la peine à l’égard de chacun des chefs a été établie de façon raisonnée et transparente et que la peine totale est le résultat de cet exercice, la méthode serait correcte.

[50] Cependant, le fait que le juge a employé la méthode de la peine globale ne signifie pas nécessairement que la peine totale imposée est manifestement non indiquée. Tel que le souligne le juge Rowe dans R. v. A.T.S.: « that does not automatically mean the trial judge’s sentence is ‘clearly unreasonable/demonstrably unfit.’ A trial judge may apply faulty methodology and yet impose a sentence that is reasonable, in the exercise of his/her discretion. »

Et d’ajouter, en citant l’arrêt R. c. Norbert, de cette même cour :

[6] L’article 718.3(4) C.cr. énonce quatre situations pour lesquelles un juge peut ordonner des périodes consécutives d’emprisonnement.  Dans les cas prévus à cet article, le juge possède un pouvoir discrétionnaire.  Toutefois, il doit s’assurer de l’impact total des peines que le contrevenant sera appelé à purger consécutivement et s’assurer que la période d’emprisonnement totale est juste et appropriée.  L’opportunité des peines consécutives doit être examinée à la lumière de l’article 718.3(4) C.cr. et le juge doit se garder d’imposer une peine globalement excessive.

En rappelant la déférence qui s’impose en pareille matière vis-à-vis une décision de première instance se prononçant sur la peine appropriée, la Cour rejette l’argument avancé par le ministère public.

Concernant la suffisance des motifs, la Cour convient que les motifs rédigés par la juge de première instance sont succincts et même « laconiques » à certains égards, mais conclut finalement que « même si elle est peu loquace, ses motifs au soutien de cette décision sont compréhensibles et ressortent du dossier ».

La Cour conclut son analyse en rappelant les principes de détermination de la peine applicables en matière jeunesse pour étayer davantage sa conclusion selon laquelle la peine globale n’est pas manifestement non-indiquée.

La Cour rejette ainsi l’appel logé par le ministère public.

Guide lecture rattrapage: quelques articles d’intérêt en criminologie juvénile

Pour ceux qui les auraient manqués, un retour sur quelques articles parus en 2023, disponibles gratuitement sur le site Erudit.org, et qui ont retenu notre attention:

Bonne lecture!

L’infraction de conduite dangereuse constitue t elle une infraction avec violence donnant ouverture à une peine de garde?

Voilà la question à laquelle la Juge Nolin devait répondre dans le cadre d’une audition concernant la peine appropriée à infliger à une adolescente ayant plaidé coupable à cette infraction.

La déléguée jeunesse recommandait une peine de placement sous garde différée suivi d’une probation avec suivi de 9 mois et 75 heures de travaux communautaires.

Le Ministère public soumettait que l’infraction de conduite dangereuse est une infraction avec violence au sens de l’article 2c) de la LSJPA qui, en vertu de l’article 39a) de la Loi donne ouverture à une peine privative de liberté. Rappelons que l’article 2(1) c) (qui prévoit une des définitions d’une infraction avec violence) se lit : « infraction commise par un adolescent au cours de la perpétration de laquelle il met en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne en créant une probabilité marquée qu’il en résulte des lésions corporelles ».

La défense, au contraire, plaidait que l’accusation de conduite dangereuse ne se qualifie pas comme infraction avec violence, et que le placement sous garde n’était donc pas une option envisageable.

Les faits reconnus étaient les suivants : le 21 juillet 2022, la jeune prend le volant d’une auto volée alors qu’elle ne détient pas de permis de conduire. Au moment où un policier lui intime de s’immobiliser, elle prend la fuite. Paniquée, elle roule à des vitesses oscillant entre 70 et 150 km/heure, conduit de façon erratique, brûle un feu rouge, emprunte des voies rapides, un sens unique à contre sens, elle heurte une auto-patrouille à l’arrêt, positionnée pour l’intercepter, manquant de justesse de frapper un policier.

La juge Nolin est d’avis que la conduite dangereuse ne se qualifie pas d’emblée d’infraction avec violence, mais que l’examen des circonstances propres à chaque cas permettra de déterminer si la conduite de l’accusé a créé une « probabilité marquée que des lésions corporelles en résultent ».

En l’espèce, la juge conclut qu’il s’agissait bel et bien d’une infraction avec violence puisque l’ensemble des circonstances reconnues par l’adolescente permettait de conclure qu’elle avait mis en danger la vie ou la sécurité non seulement d’une, mais de plusieurs autres personnes en créant, par sa conduite, une probabilité marquée, voir élevée, que des individus soient blessés.

La juge retient également de la preuve une certaine insouciance et une déresponsabilisation chez la jeune. Notant que « le levier que représente la mise sous garde est nécessaire pour provoquer la mobilisation de cette adolescente maintenant majeure », elle donne essentiellement droit aux recommandations du rapport de la délégué jeunesse.

La décision intégrale est à lire ici.

Suggestion lecture

Pour faire suite à la conférence donnée par Marie Dumollard, Martin Goyette, Christophe Gauthier Davies et Josiane Picard dans le cadre de la Journée des juristes LSJPA 2023, nous vous invitons à consulter le numéro 1 du volume 56 de la revue Criminologie, qui s’intitule Les droits, la parole et les besoins des jeunes placés au Québec (sous la direction de Anta Niang, Martin Goyette et Natacha Brunelle). Nous vous proposons un extrait de l’introduction comme mise en bouche :

« Ce numéro spécial vise justement à rendre visibles, par une variété de méthodologies et de thèmes, sur le plan national et international, la place des jeunes et leurs expériences dans les systèmes de protection et de justice juvénile. Les articles présentés dans ce numéro traitent ainsi des enjeux de la protection de la jeunesse et de justice juvénile en redonnant une place aux adolescents et adolescentes ou jeunes adultes, âgés de 12 à 35 ans, qui font ou ont fait l’objet d’un placement ou de mesures probatoires. Une attention est également portée à la prise en compte dans l’intervention de leurs différents besoins en fonction de leur réalité personnelle, sociale et culturelle, notamment en appliquant des principes d’équité, de diversité et d’inclusion.

L’ensemble des articles s’inscrit dans la thématique des droits, de la parole et des besoins des jeunes. Ils s’articulent plus particulièrement autour de trois aspects:

1) la préparation des jeunes à deux étapes significatives de leur parcours, soit sur le plan judiciaire ou préplacement, et aussi sur le plan postplacement;

2) leurs expériences de placement;

3) l’adaptation des services et des politiques. »

Pour consulter l’ouvrage en entier, c’est ici. Bonne lecture!

Revue médiatique, automne 2023

Une étude de la professeure Isabelle Fortin-Dufour est résumée dans cet article intitulé « La prison, «l’école du crime» pour les jeunes contrevenants » :

L’incarcération devrait être le «dernier recours» pour les contrevenants de 18 à 25 ans, selon une chercheuse de l’université Laval. Plus un criminel est jeune lorsqu’il quitte un centre de détention, plus il a de chances de retourner derrière les barreaux, démontre son étude.
[…]
Des études en neurosciences ont démontré que le développement du cerveau se poursuit jusqu’à l’âge de 25 ans, «en particulier dans les domaines du raisonnement fondé sur le jugement et du contrôle des impulsions», fait valoir Mme Fortin-Dufour.

Pourtant, le système de justice pénale de s’est pas adapté à cette réalité, déplore-t-elle. À 18 ans, un contrevenant est tenu 100 % responsable de ses actes devant la loi.
[…]
Isabelle Fortin-Dufour note que les récidivistes sont souvent célibataires. «Le fait de ne pas avoir d’attache amoureuse dans la communauté fait que certains reviennent pratiquement un an plus vite que ceux qui sont en couple», précise la chercheuse.
Parmi les autres facteurs de risque de récidive figurent les problèmes de consommation d’alcool et de drogue, les bas niveaux d’éducation et les difficultés à maintenir un emploi.
La gravité de l’infraction commise influence également le probabilité de retourner en prison. Selon Mme Fortin-Dufour, les personnes qui ont commis une offense plus violente, comme une agression ou une agression sexuelle, sont plus susceptibles d’être récidivistes.

En octobre dernier a eu lieu la diffusion du documentaire percutant « Ados et armé», animé par monsieur Fabrice Vil et toujours disponible sur Télé-Québec. Le Devoir commente ainsi:

Le nouveau documentaire Ados et armés décortique cette réalité troublante au Québec qu’est la hausse de la violence chez les jeunes qui s’affichent arme au poing. Avec les explications pertinentes et les pistes de solutions offertes par les experts, l’une des forces indéniables de cette réalisation télévisuelle est d’avoir trouvé ces jeunes, qui sont rarement entendus, et de leur avoir donné la parole pour qu’ils nous relatent dans leurs mots comment et pourquoi ils se sont procuré des armes à feu.
[…]
L’équipe de réalisation a voulu faire une grande place aux jeunes. « Donnons-leur le porte-voix : qui sont-ils, d’où viennent-ils et pourquoi se sont-ils armés ? » fait-elle valoir. Ce qui n’était pas une mince tâche, reconnaît-elle. En effet, comme l’annonce d’emblée la narration du documentaire : « La voix des jeunes est importante, mais la loi du silence est forte. » Il a fallu établir des liens de confiance, dit-elle. « Ça s’est fait sur plusieurs mois. » Malgré cela, plusieurs se sont désistés, craignant pour leur sécurité.
Et puis, pour que le documentaire « parle réellement aux jeunes », il fallait que ce soit d’abord et avant tout des jeunes qui expliquent la violence armée, souligne la scénariste, qui se dit « ravie qu’ils se soient livrés sans compromis », y compris en parlant de leur passé criminel.

L’adolescent accusé du meurtre du jeune Jannai Dopwell survenu en 2021 a été déclaré coupable la semaine dernière. Une vidéo de l’accusé célébrant le meurtre avait circulé sur les réseaux sociaux. La Couronne a annoncé son intention de demander une peine pour adultes. Plus d’infos ici.

Preuve circonstancielle

Dans la cause R. v. A.A. (Cour Supérieure de l’Ontario, 13 octobre 2023), un jeune homme a été poignardé lors d’une attaque perpétrée par plusieurs adolescents. Les faits ayant mené à l’attaque ne sont pas contestés, mais l’identité du poignardeur l’est. Le tribunal doit donc se demander si la Couronne a établi sans aucun doute raisonnable que l’accusé a poignardé la victime.

Aucune preuve directe que l’accusé a poignardé la victime n’a été présentée au tribunal. Aucun témoin n’a témoigné avoir vu l’accusé poignarder la victime. La preuve de la Couronne est basée sur une preuve circonstancielle. Le tribunal indique qu’une preuve circonstancielle peut, dans certains cas être suffisante pour satisfaire le fardeau de la preuve, mais qu’il faut être extrêmement prudent, compte tenu des dangers inhérents au raisonnement basé sur ce type de preuve, notamment de conclure à la culpabilité de l’accusé sans avoir considéré des explications alternatives.

Le principe directeur établi par la Cour Suprême du Canada prévoit que ‘’where proof of one or more essential elements of an offence relies largely or exclusively on circumstantial evidence, an inference of guilt drawn from the circumstantial evidence must be the only reasonable inference that such evidence permits’’ (R. v. Villaroman, 2016 SCC 33, par. 30).

En l’espèce, le tribunal regroupe la preuve circonstancielle en trois catégories : (1) la preuve que l’accusé avait un couteau en sa possession avant l’attaque et le brandissait comme une arme, (2) la preuve que l’accusé avait un couteau tâché de sang peu de temps après l’attaque et tentait de s’en débarrasser et (3) la preuve que l’accusé a implicitement admis avoir poignardé en ne niant pas les accusations de ses amis qu’il était le poignardeur.

Quant à la première catégorie, le tribunal conclut que la poursuite n’a pas prouvé que l’accusé avait un couteau en sa possession avant l’attaque.

Quant à la seconde catégorie, le tribunal conclut que l’accusé avait un couteau en sa possession peu de temps après l’attaque, mais ne retient pas qu’il y avait du sang sur l’accusé ou le couteau qu’il tenait après l’attaque, ce qui soulève un doute raisonnable quant à savoir si le couteau en sa possession était l’arme du crime.

En ce qui a trait à la dernière catégorie, le tribunal indique tout d’abord que   ‘’In law, silence in the face of accusatory statements made by others, or an equivocal or evasive denial of responsibility in the face of such accusations, may constitute an adoptive admission of guilt where circumstances give rise to a reasonable expectation of reply and unequivocal denial’’ (R. v. Gordon, 2022 ONCA 799, par. 49). Cependant, le tribunal conclut qu’en l’espèce, la réponse de l’accusé à la question « qu’est-ce qui est arrivé ?», suite à l’attaque est cohérente avec celle du témoin d’une attaque  qui ne peut donner de détails quant à ce qui est arrivé parce que c’est arrivé trop vite.

Suivant cette analyse, le tribunal indique qu’il ne peut inférer de la totalité de la preuve que la seule conclusion raisonnable est que l’accusé a poignardé la victime. Il a des doutes raisonnables et doit donc l’acquitter.

La démarche SENS: une nouvelle opportunité de justice réparatrice pour les jeunes contrevenants

*Article rédigé par Olivia Giguère, étudiante en droit à l’Université de Montréal, dans le cadre de son stage au Contentieux du CIUSSS du Centre-sud-de-l’Ile-de-Montréal.

Les dispositions prévues par la LSJPA, qui s’appliquent spécifiquement aux adolescents de 12 à 17 ans, reposent sur le principe selon lequel la réhabilitation ainsi que la réinsertion sociale d’un adolescent contrevenant sont envisageables et doivent être prises en considération dans le processus de détermination de sa peine. En effet, les sanctions prononcées en vertu de cette loi visent à favoriser la trajectoire évolutive de réhabilitation des jeunes contrevenants, dans le but d’assurer leur éventuelle réintégration au sein de la collectivité, et ainsi de prévenir la récidive.

De nombreux projets promouvant la justice réparatrice s’efforcent de faciliter le processus de réhabilitation et de réparation envers la victime. C’est précisément l’objectif poursuivi par la démarche SENS, un projet lancé et soutenu par un délégué à la jeunesse du CISSS du Bas-Saint-Laurent, en collaboration avec un intervenant d’Équijustice, qui a vu le jour en mars 2023 et financé par la Fondation québécoise pour les jeunes contrevenants. L’étude de cette initiative pendant plus de 3 ans en tant que projet pilote, a permis à 26 jeunes contrevenants de s’engager rapidement dans une démarche de réparation, et d’aboutir à des retombées plus que concluantes, une réussite ayant motivé les partenaires à récemment pérenniser le programme.

Plus concrètement, ce processus d’engagement volontaire exigeant l’intérêt et l’ouverture du jeune contrevenant envers une telle démarche, lui offre une opportunité de conscientisation, de responsabilisation et de réparation des torts. Grâce à l’implication de plusieurs intervenants et personnes de soutien, le jeune est accompagné pour développer son empathie son degré de conscientisation. Malgré que cette démarche puisse prendre plusieurs formes, la plus fréquente consiste à la préparation d’une rencontre avec la victime, et ce, dès la manifestation d’une telle intention autant de la part du contrevenant que de celle de la victime avant même qu’une ordonnance soit prononcée.

Dans un optique de justice réparatrice, le projet SENS permet d’entamer une réflexion sur la justice réparatrice, favorise l’échange, la communication des besoins et la considération de chacun, tout en accordant plus de place et de reconnaissance à la victime au seins du processus judiciaire. La démarche SENS, est donc accessible à tous les jeunes contrevenants ayant la volonté d’y participer, qui pourront bénéficier d’un accompagnement peu importe la nature de leur délit, de même que la gravité de leur gestes.

L’aspect novateur du projet SENS est le suivant: dès la rédaction du rapport pré-décisionnel du jeune (qui est confectionné avant que le juge se prononce sur la peine), un intervenant d’Équijustice, qui fait les rencontres avec la victime, est impliqué avec le délégué à la jeunesse. Ainsi, si le processus de médiation ne commence officiellement qu’après que la peine soit prononcée, les démarches pour la réflexion quant à ses bienfaits sont entamées en amont par les équipes qui gravitent autour du jeune et de la victime. Le projet SENS se veut donc une intervention de courte durée, dans le cadre du processus judiciaire, afin de favoriser l’application de mesures de justice réparatrice dans le cadre d’une éventuelle ordonnance LSJPA.

Les conclusions de ce projet ne laissent aucun doute sur l’impact positif qu’il peut avoir, tant pour la victime que pour le jeune contrevenant, dans son processus de réhabilitation et de réparation. Néanmoins, ces programmes demeurent relativement méconnus du public et il est important de reconnaître leur valeur et de sensibiliser à l’importance de les soutenir au sein de la communauté, afin de favoriser l’engagement de plus de dans une telle démarche de justice réparatrice.

Pour approfondir votre lecture, La Presse a couvert le sujet et s’est entretenue avec les différents acteurs du projet cet été, vous pouvez consulter l’article ici.