Suggestion lecture

Pour faire suite à la conférence donnée par Marie Dumollard, Martin Goyette, Christophe Gauthier Davies et Josiane Picard dans le cadre de la Journée des juristes LSJPA 2023, nous vous invitons à consulter le numéro 1 du volume 56 de la revue Criminologie, qui s’intitule Les droits, la parole et les besoins des jeunes placés au Québec (sous la direction de Anta Niang, Martin Goyette et Natacha Brunelle). Nous vous proposons un extrait de l’introduction comme mise en bouche :

« Ce numéro spécial vise justement à rendre visibles, par une variété de méthodologies et de thèmes, sur le plan national et international, la place des jeunes et leurs expériences dans les systèmes de protection et de justice juvénile. Les articles présentés dans ce numéro traitent ainsi des enjeux de la protection de la jeunesse et de justice juvénile en redonnant une place aux adolescents et adolescentes ou jeunes adultes, âgés de 12 à 35 ans, qui font ou ont fait l’objet d’un placement ou de mesures probatoires. Une attention est également portée à la prise en compte dans l’intervention de leurs différents besoins en fonction de leur réalité personnelle, sociale et culturelle, notamment en appliquant des principes d’équité, de diversité et d’inclusion.

L’ensemble des articles s’inscrit dans la thématique des droits, de la parole et des besoins des jeunes. Ils s’articulent plus particulièrement autour de trois aspects:

1) la préparation des jeunes à deux étapes significatives de leur parcours, soit sur le plan judiciaire ou préplacement, et aussi sur le plan postplacement;

2) leurs expériences de placement;

3) l’adaptation des services et des politiques. »

Pour consulter l’ouvrage en entier, c’est ici. Bonne lecture!

Revue médiatique, automne 2023

Une étude de la professeure Isabelle Fortin-Dufour est résumée dans cet article intitulé « La prison, «l’école du crime» pour les jeunes contrevenants » :

L’incarcération devrait être le «dernier recours» pour les contrevenants de 18 à 25 ans, selon une chercheuse de l’université Laval. Plus un criminel est jeune lorsqu’il quitte un centre de détention, plus il a de chances de retourner derrière les barreaux, démontre son étude.
[…]
Des études en neurosciences ont démontré que le développement du cerveau se poursuit jusqu’à l’âge de 25 ans, «en particulier dans les domaines du raisonnement fondé sur le jugement et du contrôle des impulsions», fait valoir Mme Fortin-Dufour.

Pourtant, le système de justice pénale de s’est pas adapté à cette réalité, déplore-t-elle. À 18 ans, un contrevenant est tenu 100 % responsable de ses actes devant la loi.
[…]
Isabelle Fortin-Dufour note que les récidivistes sont souvent célibataires. «Le fait de ne pas avoir d’attache amoureuse dans la communauté fait que certains reviennent pratiquement un an plus vite que ceux qui sont en couple», précise la chercheuse.
Parmi les autres facteurs de risque de récidive figurent les problèmes de consommation d’alcool et de drogue, les bas niveaux d’éducation et les difficultés à maintenir un emploi.
La gravité de l’infraction commise influence également le probabilité de retourner en prison. Selon Mme Fortin-Dufour, les personnes qui ont commis une offense plus violente, comme une agression ou une agression sexuelle, sont plus susceptibles d’être récidivistes.

En octobre dernier a eu lieu la diffusion du documentaire percutant « Ados et armé», animé par monsieur Fabrice Vil et toujours disponible sur Télé-Québec. Le Devoir commente ainsi:

Le nouveau documentaire Ados et armés décortique cette réalité troublante au Québec qu’est la hausse de la violence chez les jeunes qui s’affichent arme au poing. Avec les explications pertinentes et les pistes de solutions offertes par les experts, l’une des forces indéniables de cette réalisation télévisuelle est d’avoir trouvé ces jeunes, qui sont rarement entendus, et de leur avoir donné la parole pour qu’ils nous relatent dans leurs mots comment et pourquoi ils se sont procuré des armes à feu.
[…]
L’équipe de réalisation a voulu faire une grande place aux jeunes. « Donnons-leur le porte-voix : qui sont-ils, d’où viennent-ils et pourquoi se sont-ils armés ? » fait-elle valoir. Ce qui n’était pas une mince tâche, reconnaît-elle. En effet, comme l’annonce d’emblée la narration du documentaire : « La voix des jeunes est importante, mais la loi du silence est forte. » Il a fallu établir des liens de confiance, dit-elle. « Ça s’est fait sur plusieurs mois. » Malgré cela, plusieurs se sont désistés, craignant pour leur sécurité.
Et puis, pour que le documentaire « parle réellement aux jeunes », il fallait que ce soit d’abord et avant tout des jeunes qui expliquent la violence armée, souligne la scénariste, qui se dit « ravie qu’ils se soient livrés sans compromis », y compris en parlant de leur passé criminel.

L’adolescent accusé du meurtre du jeune Jannai Dopwell survenu en 2021 a été déclaré coupable la semaine dernière. Une vidéo de l’accusé célébrant le meurtre avait circulé sur les réseaux sociaux. La Couronne a annoncé son intention de demander une peine pour adultes. Plus d’infos ici.

Preuve circonstancielle

Dans la cause R. v. A.A. (Cour Supérieure de l’Ontario, 13 octobre 2023), un jeune homme a été poignardé lors d’une attaque perpétrée par plusieurs adolescents. Les faits ayant mené à l’attaque ne sont pas contestés, mais l’identité du poignardeur l’est. Le tribunal doit donc se demander si la Couronne a établi sans aucun doute raisonnable que l’accusé a poignardé la victime.

Aucune preuve directe que l’accusé a poignardé la victime n’a été présentée au tribunal. Aucun témoin n’a témoigné avoir vu l’accusé poignarder la victime. La preuve de la Couronne est basée sur une preuve circonstancielle. Le tribunal indique qu’une preuve circonstancielle peut, dans certains cas être suffisante pour satisfaire le fardeau de la preuve, mais qu’il faut être extrêmement prudent, compte tenu des dangers inhérents au raisonnement basé sur ce type de preuve, notamment de conclure à la culpabilité de l’accusé sans avoir considéré des explications alternatives.

Le principe directeur établi par la Cour Suprême du Canada prévoit que ‘’where proof of one or more essential elements of an offence relies largely or exclusively on circumstantial evidence, an inference of guilt drawn from the circumstantial evidence must be the only reasonable inference that such evidence permits’’ (R. v. Villaroman, 2016 SCC 33, par. 30).

En l’espèce, le tribunal regroupe la preuve circonstancielle en trois catégories : (1) la preuve que l’accusé avait un couteau en sa possession avant l’attaque et le brandissait comme une arme, (2) la preuve que l’accusé avait un couteau tâché de sang peu de temps après l’attaque et tentait de s’en débarrasser et (3) la preuve que l’accusé a implicitement admis avoir poignardé en ne niant pas les accusations de ses amis qu’il était le poignardeur.

Quant à la première catégorie, le tribunal conclut que la poursuite n’a pas prouvé que l’accusé avait un couteau en sa possession avant l’attaque.

Quant à la seconde catégorie, le tribunal conclut que l’accusé avait un couteau en sa possession peu de temps après l’attaque, mais ne retient pas qu’il y avait du sang sur l’accusé ou le couteau qu’il tenait après l’attaque, ce qui soulève un doute raisonnable quant à savoir si le couteau en sa possession était l’arme du crime.

En ce qui a trait à la dernière catégorie, le tribunal indique tout d’abord que   ‘’In law, silence in the face of accusatory statements made by others, or an equivocal or evasive denial of responsibility in the face of such accusations, may constitute an adoptive admission of guilt where circumstances give rise to a reasonable expectation of reply and unequivocal denial’’ (R. v. Gordon, 2022 ONCA 799, par. 49). Cependant, le tribunal conclut qu’en l’espèce, la réponse de l’accusé à la question « qu’est-ce qui est arrivé ?», suite à l’attaque est cohérente avec celle du témoin d’une attaque  qui ne peut donner de détails quant à ce qui est arrivé parce que c’est arrivé trop vite.

Suivant cette analyse, le tribunal indique qu’il ne peut inférer de la totalité de la preuve que la seule conclusion raisonnable est que l’accusé a poignardé la victime. Il a des doutes raisonnables et doit donc l’acquitter.

La démarche SENS: une nouvelle opportunité de justice réparatrice pour les jeunes contrevenants

*Article rédigé par Olivia Giguère, étudiante en droit à l’Université de Montréal, dans le cadre de son stage au Contentieux du CIUSSS du Centre-sud-de-l’Ile-de-Montréal.

Les dispositions prévues par la LSJPA, qui s’appliquent spécifiquement aux adolescents de 12 à 17 ans, reposent sur le principe selon lequel la réhabilitation ainsi que la réinsertion sociale d’un adolescent contrevenant sont envisageables et doivent être prises en considération dans le processus de détermination de sa peine. En effet, les sanctions prononcées en vertu de cette loi visent à favoriser la trajectoire évolutive de réhabilitation des jeunes contrevenants, dans le but d’assurer leur éventuelle réintégration au sein de la collectivité, et ainsi de prévenir la récidive.

De nombreux projets promouvant la justice réparatrice s’efforcent de faciliter le processus de réhabilitation et de réparation envers la victime. C’est précisément l’objectif poursuivi par la démarche SENS, un projet lancé et soutenu par un délégué à la jeunesse du CISSS du Bas-Saint-Laurent, en collaboration avec un intervenant d’Équijustice, qui a vu le jour en mars 2023 et financé par la Fondation québécoise pour les jeunes contrevenants. L’étude de cette initiative pendant plus de 3 ans en tant que projet pilote, a permis à 26 jeunes contrevenants de s’engager rapidement dans une démarche de réparation, et d’aboutir à des retombées plus que concluantes, une réussite ayant motivé les partenaires à récemment pérenniser le programme.

Plus concrètement, ce processus d’engagement volontaire exigeant l’intérêt et l’ouverture du jeune contrevenant envers une telle démarche, lui offre une opportunité de conscientisation, de responsabilisation et de réparation des torts. Grâce à l’implication de plusieurs intervenants et personnes de soutien, le jeune est accompagné pour développer son empathie son degré de conscientisation. Malgré que cette démarche puisse prendre plusieurs formes, la plus fréquente consiste à la préparation d’une rencontre avec la victime, et ce, dès la manifestation d’une telle intention autant de la part du contrevenant que de celle de la victime avant même qu’une ordonnance soit prononcée.

Dans un optique de justice réparatrice, le projet SENS permet d’entamer une réflexion sur la justice réparatrice, favorise l’échange, la communication des besoins et la considération de chacun, tout en accordant plus de place et de reconnaissance à la victime au seins du processus judiciaire. La démarche SENS, est donc accessible à tous les jeunes contrevenants ayant la volonté d’y participer, qui pourront bénéficier d’un accompagnement peu importe la nature de leur délit, de même que la gravité de leur gestes.

L’aspect novateur du projet SENS est le suivant: dès la rédaction du rapport pré-décisionnel du jeune (qui est confectionné avant que le juge se prononce sur la peine), un intervenant d’Équijustice, qui fait les rencontres avec la victime, est impliqué avec le délégué à la jeunesse. Ainsi, si le processus de médiation ne commence officiellement qu’après que la peine soit prononcée, les démarches pour la réflexion quant à ses bienfaits sont entamées en amont par les équipes qui gravitent autour du jeune et de la victime. Le projet SENS se veut donc une intervention de courte durée, dans le cadre du processus judiciaire, afin de favoriser l’application de mesures de justice réparatrice dans le cadre d’une éventuelle ordonnance LSJPA.

Les conclusions de ce projet ne laissent aucun doute sur l’impact positif qu’il peut avoir, tant pour la victime que pour le jeune contrevenant, dans son processus de réhabilitation et de réparation. Néanmoins, ces programmes demeurent relativement méconnus du public et il est important de reconnaître leur valeur et de sensibiliser à l’importance de les soutenir au sein de la communauté, afin de favoriser l’engagement de plus de dans une telle démarche de justice réparatrice.

Pour approfondir votre lecture, La Presse a couvert le sujet et s’est entretenue avec les différents acteurs du projet cet été, vous pouvez consulter l’article ici.

Rare rejet de la suggestion commune sur la peine concernant un adolescent

Dans une décision récente, le juge Eric Hamel écarte une suggestion commune sur la peine. Le juge souligne même qu’en 10 ans, c’est seulement la deuxième fois que cela lui arrive. On vous explique pourquoi dans ce billet.

Rappel des faits. L’accusé X a plaidé coupable à deux infractions, soit avoir été en possession d’une arme dans un dessein dangereux (un couteau) et de menaces de mort à l’égard de la victime, Z (menaces faites à personne interposée). Le tout s’est déroulé dans un contexte scolaire et sur toile de fond de disputes entre gangs rivaux émergents.

Les parties avaient convenu de la suggestion commune suivante suite à production d’un rapport pré décisionnel: un an de PASI (Programme d’assistance et de surveillance intensive). Par contre, fait important pour le juge: en interrogatoire, l’auteure du rapport pré décisionnel avait changé d’avis et après réflexion, elle suggérait plutôt une peine de 6 à 9 mois de garde et surveillance.

Notons que selon les enseignements de la Cour suprême, lorsqu’un juge refuse de suivre une suggestion commune, il est tenu de s’expliquer et de donner aux parties la chance de s’exprimer. La Cour suprême a reconnu que l’effet obligatoire des ententes sur le plaidoyer est une question d’importance capitale en ce qui a trait à l’administration de la justice, car elle rend le système équitable et efficace en permettant de régler la grande majorité des affaires pénales. Les suggestions communes peuvent toutefois être écartées si le juge estime que la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle est contraire à l’intérêt public.

Selon le juge, la preuve révélait que X n’allait clairement pas respecter les conditions du PASI et n’avait pas non plus respecté les conditions de sa remise en liberté (quoique non dénoncé par sa mère). Ces deux faits n’avaient pas été tenus en compte par les parties. L’adolescent valorisait un mode de vie délinquant- affichant d’ailleurs fièrement faire partie d’un gang émergent- en plus d’être explosif, oisif, et immature. Pour le juge, la personne raisonnable perdrait confiance en l’administration de la justice si le tribunal entérinait la suggestion commune d’un an de PASI.

Après analyse détaillée, le juge ordonne plutôt une peine de mise sous garde différée d’une période de six mois, suivie d’une probation de six mois.

Journée des juristes LSJPA 2023

La journée des juristes LSJPA s’est déroulée le 25 octobre dernier, pour une 7e édition.

La journée a débuté par une présentation de madame Marie Dumollard (Université de Montréal), monsieur Christophe Gauthier-Davies (ÉNAP), monsieur Martin Goyette (ÉNAP) et madame Josiane Picard (ÉNAP) s’intitulant Jeunes sous double mandat et sortie de placement lors de la transition à la vie adulte. Les jeunes sous double mandat sont ceux suivis sous le couvert de la LPJ et de la LSJPA. L’étude traite de données concernant la transition vers l’âge adulte de ces jeunes, notamment quant aux indicateurs suivants : Itinérance lors de la sortie de placement, nombres d’enregistrements en psychiatrie (RAMQ), études, formation, emploi, taux de diplomation, études post-secondaires, condamnation par un tribunal criminel pour adultes, jeunes en détention pour adultes et perception de la prestation de services reçue afin de se préparer aux études, à l’emploi suivant le placement.

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La deuxième conférence de la journée, intitulée Délinquance et Traumatismes : un parcours de vie marqué par la violence subie et perpétrée a été donnée par madame Catherine Laurier (Université de Sherbrooke). Madame Laurier a notamment abordé l’influence réciproque entre le trauma et la délinquance, la prise de risques chez les jeunes contrevenants, les moyens d’action pour éviter que ces jeunes ne subissent des traumatismes et a présenté les résultats d’entrevues qualitatives réalisées auprès de jeunes pris en charge sous la LSJPA.

Ensuite, un visage familier de la journée des juristes LSJPA, monsieur René André Brisebois nous a entretenus du phénomène de la violence armée chez les jeunes. Monsieur Brisebois a présenté les contextes de la violence armée, les facteurs de risque, le phénomène de contagion, les conséquences ainsi que la prévention et les possibilités d’intervention.

La journée s’est continuée avec la « traditionnelle » revue de la jurisprudence récente en matière de la LSJPA, dispensée par Me Tiago Murias et Me Younes Ameur.

Finalement, Monsieur Mathieu Perrier a présenté sa conférence, intitulée Mieux comprendre le phénomène des réseaux délinquants afin d’intervenir efficacement. Monsieur Perrier a notamment expliqué quelques définitions et notions reliés aux termes gangs- réseaux délinquants au Québec, le processus d’affiliation et désistement-désaffiliation ainsi que diverses façons d’intervenir efficacement.

La date de l’édition 2024 de la Journée des juristes n’est pas encore arrêtée, mais elle vous sera communiquée via ce blog dès qu’elle sera fixée.

Nous remercions les conférenciers et les nombreux participants pour leur participation à cette édition de la Journée des juristes LSJPA.

Rappel aux participants : les présentations Power Point et les attestations de présence suivront dans les prochaines semaines.

Les jeunes connu.es des deux systèmes de justice pour mineur.es (LSJPA et LPJ): portrait des trajectoires de services et accompagnement

Quels sont les impacts pour les adolescent.es d’être suivi.es (de façon successive ou simultanée) en vertu de la LSJPA et de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ)?

C’est ce à quoi ont tenté de répondre les chercheur.es Denis Lafortune et Mathilde Turcotte dans le cadre du 11 Congrès québécois sur la maltraitance envers les enfants et les adolescents qui avaient lieu le 16 et le 17 octobre dernier. Leur présentation portait sur les résultats de leurs recherches sur les « crossover youth » ou jeunes « double-loi » ou faisant l’objet d’un « double mandat », c’est-à-dire les jeunes qui sont en contact avec la LSJPA et la LPJ dans une des formes suivantes:

  • Chevauchement: les deux lois se superposent pendant un moment;
  • Inclusion: la prise en charge sous une loi débute et se termine à l’intérieur d’une période d’application de l’autre;
  • Succession: la prise en charge sous une loi commence et se termine avant la prestation de services en vertu de l’autre;

Les différentes trajectoires ont été documentées dans une recherche publiée en 2020 dans la Revue canadienne de service social qui est disponible ici et qui s’intéresse aux parcours des jeunes « double-loi », à leurs caractéristiques et à l’historique des services reçus.

Dans le cadre du Congrès sur la maltraitance, les chercheur.es Lafortune et Turcotte nous ont entretenu de leur recherche récente et en cours sur les impacts de ces doubles suivis, notamment des défis qu’ils représentent au niveau de l’intervention auprès des adolescent.es, notamment:

  • L’impact du double statut sur la détermination de la peine en LSJPA;
  • La difficulté de coordination des services lorsque les jeunes sont suivi.es en vertu des deux lois, soit par exemple en raison de l’absence de ligne directrice régionale ou provincial récente ou par l’absence d’un plan d’intervention intégré entre les deux équipes d’intervenant.es;
  • L’impact du dossier LPJ en LSJPA et l’impact du dossier LSJPA en LPJ dans les décisions qui sont prises au niveau social et judiciaire;
  • Le partage des besoins de protection (LPJ) et criminogène (LSJPA) du jeune;

Les jeunes suivi.es en vertu de la LSJPA et la LPJ ont des besoins importants et complexes et il est important de reconnaître l’importance d’individualiser leur suivi et de coordonner l’intervention afin d’obtenir des résultats positifs. Les travaux des chercheur.es Lafortune et Turcotte (qui travaillent également avec René-André Brisebois) permettent certainement d’inspirer des modifications aux pratiques cliniques et judiciaires afin de mieux intervenir à toutes les étapes du processus auprès des jeunes.

Rare demande de maintien sous garde accueillie

Dans une décision très récente relative à l’article 98(1) LSJPA, la juge Gravel avait à se prononcer sur demande de maintien sous garde d’un adolescent. Notons que de telles demandes sont très rares, et le fardeau de preuve à remplir par le poursuivant est très lourd. Il faut en effet démontrer avoir des motifs raisonnables de croire que l’adolescent pourrait perpétrer une infraction avec violence avant l’expiration de sa peine, et que des conditions étroites de surveillance ne pourraient pas empêcher le passage à l’acte.

L’adolescent en question purgeait une peine de garde pour menaces de mort, bris de probation et possession de cannabis. Il avait de lourds antécédents. Il s’agissait de menaces envers le personnel du centre de réadaptation (tuerie de masse).

Or, l’adolescent avait confié à un intervenant qu’à sa sortie du centre, il allait terminer ce « qu’il avait commencé » (paroles sujettes à interprétation). Une lettre et un plan de tuerie avaient également été découverts. Le jeune manifestait des comportements d’agressivité en centre et un manque d’empathie.

De son côté, l’adolescent banalisait la gravité de ses gestes et affirmait n’avoir nullement l’intention de passer à l’acte.

Parlant d’un maintien sous garde, la juge souligne « qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle car l’application de la période de surveillance dans la collectivité demeure la règle et on ne peut y déroger que lorsque la sécurité du public l’exige. » La juge considère toutefois que la lettre et le plan d’action trouvés sont extrêmement inquiétants, surtout considérant le parcours du jeune et son profil.

La juge accueille la demande et ordonne le maintien de l’adolescent en garde fermée durant toute la période de surveillance obligatoire.

Augmenter l’âge de la majorité dans la LSJPA ?

Aujourd’hui, la LSJPA s’applique à toute personne âgée entre 12 et 18 ans et à toute personne qui, après ses 18 ans, a été accusée ou déclarée coupable d’avoir commis une infraction durant son adolescence. Mais d’où provient la limite d’âge de 18 ans ? Qu’est-ce qui la justifie ? Peut-elle et devrait-elle être augmentée ? Dans cet article publié dans la revue de l’Institut de recherche en politiques publiques, deux universitaires de l’Université de Guelph en Ontario offrent des pistes de réflexion intéressantes.

Voici d’abord un bref rappel historique sur l’âge de la majorité en matière de justice pénale pour les mineurs au Canada :

  • Avant le 20e siècle, un mineur qui commettait une infraction était traité sans distinction d’un adulte ;
  • 1908: La Loi sur les jeunes délinquants s’appliquait jusqu’à ce que le jeune atteignait 16 ans ;
  • 1965: Un comité sur la délinquance juvénile du Ministère de la Justice du Canada a conclu qu’il était souhaitable d’augmenter l’âge de la majorité à 18 ans, voire 21 ans, notamment en raison de la maturité moins élevée des jeunes ayant commis des infractions ;
  • 1984: La Loi sur les jeunes contrevenants fixait l’âge maximal à 18 ans ;
  • 2002: La LSJPA a maintenu l’âge maximal de 18 ans ;

Au niveau biologique, les auteurs rappellent que le cortex préfrontal – la zone du cerveau associée à la planification, le jugement, la logique et la pensée critique – se développe pleinement autour de la mi-vingtaine. De même, les zones du cerveau humain qui relèvent de la gestion des émotions et de la prise de risque n’arrivent à maturité que vers le début de la vingtaine.

Au niveau social, selon la théorie de la « Life-Course criminology », le fait pour une personne de vivre des « moments charnières » dans sa vie (ex: mariage, être parent) diminue les risques que celle-ci commette un crime. À l’époque de la Loi sur les jeunes délinquants et dans les années subséquentes, il était plus probable pour une personne d’atteindre ces « moments charnières » avant ou autour de ses 18 ans. Aujourd’hui, les statistiques montrent que les gens attendent généralement au moins la mi-vingtaine avant d’envisager de se marier, d’avoir des enfants ou d’étudier à l’université.

Therefore, the current age of majority in Canada’s criminal legal system is not based on any recent body of evidence on biological, psychological or social maturation.

Considérant aussi que le groupe des jeunes adultes entre 18 et 25 ans est celui avec le plus haut taux de récidive suite à la réinsertion selon un rapport de 2019 des Services correctionnels du Canada;

Considérant que l’âge maximal auquel un jeune adulte peut être condamné à purger une peine dans un centre de détention pour mineurs est de 21 ans dans dix-huit pays européens, de 23 ans dans six pays européens et même de 24 ans et plus dans cinq pays européens;

Considérant que par le passé, l’âge de la majorité dans le système de justice pénale pour les mineurs au Canada a augmenté de 16 à 18 ans, et ce, grâce à une meilleure connaissance du développement humain ;

L’âge de la majorité devrait-il être augmenté dans la LSJPA aujourd’hui ?

Pour connaître l’analyse et la réponse complète des deux auteurs, cliquez sur le lien suivant: https://policyoptions.irpp.org/magazines/october-2023/youth-justice-adulthood/ (en anglais)

Demande d’assujettissement rejetée

Le 31 août dernier, la Cour de justice de l’Ontario rendait publics les motifs du juge A.A. Ghosh relativement à une demande de la Poursuite d’assujettir un adolescent à une peine applicable aux adultes.

Pour rappel, l’article 72 (1) de la LSJPA prévoit que le tribunal pour adolescents doit être convaincu de l’existence des deux conditions cumulatives suivantes afin d’assujettir un adolescent à une peine applicable aux adultes :

a) la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficie l’adolescent est réfutée;

b) une peine spécifique conforme aux principes et objectif énoncés au sous-alinéa 3(1)b)(ii) et à l’article 38 ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux.

Concluant que la Poursuite a satisfait au premier critère, le juge se tourne vers le second aspect de l’analyse.

Les accusations portées contre l’adolescent concernent une possession d’arme à feu chargée et de cocaïne en vue d’en faire le trafic et une décharge d’arme à feu avec insouciance. L’adolescent est bien connu des services policiers et du juge lui-même, ayant de multiples antécédents judiciaires et des tendances criminelles bien documentées.

Il s’agit d’un adolescent aux prises avec une histoire psychosociale complexe et démontrant une certaine capacité à bénéficier de la réadaptation. On retiendra également que l’adolescent est, au moment de l’imposition de sa peine, sous détention provisoire depuis 20 mois. Il s’agit cependant aussi d’un adolescent peu enclin à intégrer des valeurs prosociales en communauté et bien ancré dans un cycle criminogène.

Le juge prend soin de rappeler les enseignements de la Cour d’appel de l’Ontario sur la notion de responsabilisation – accountability – liée à l’analyse du deuxième critère de l’article 72 de la LSJPA:

[40] Our Court of Appeal has identified accountability in the YCJA context as the equivalent to the adult sentencing principle of retribution. Further, it recognized the close connection between moral culpability and retribution. Retribution represents an objective, reasoned and measured determination of an appropriate punishment which properly reflects the “moral culpability of the offender, having regard to the intentional risk-taking of the offender, the consequential harm caused by the offender and the normative character of the offender’s conduct”.

Une peine spécifique sous la LSJPA est-elle conséquemment suffisante pour obliger cet adolescent à répondre de ses actes délictueux? Le juge conclut par l’affirmative, notamment en se prêtant à une analyse comparative de la peine adulte qui pourrait être imposée en circonstances connexes.

Bien qu’il admette que la suggestion de peine adulte formulée par la Poursuite se situe dans une fourchette raisonnable (6-7 ans de pénitencier), le juge conclut que la jurisprudence milite en faveur d’une peine plus courte, entre 5 et 6 ans de pénitencier. En tenant compte de la période purgée par l’adolescent sous détention provisoire et en accordant un crédit supplémentaire pour cette période, le juge infère que l’imposition d’une peine spécifique de placement et de surveillance de 3 ans, comme le prévoit la Loi, équivaut à toutes fins pratiques à la durée d’une peine adulte appropriée en les circonstances.

Le juge conclut ainsi:

[70] In imposing such a sentence, I will have effectively sentenced H.A.Q. under the youth regime to some semblance of a 5-and-a-half-year custodial term, mindful of the presentence custody. I find that is within the lower end of the available range for a young adult in similar circumstances. As unwieldly as that observation admittedly is, it signals that such a youth sentence is of sufficient length to hold this young person accountable for the serious offences he has committed.

Pour lire la décision, c’est ici.