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Le Tribunal doit apprécier le témoignage des plaignant.es ET des accusé.es selon leur âge aux moments des faits
Dans un arrêt du 13 décembre 2022, la Cour d’appel se prononce sur une affaire d’atteinte à la pudeur et de grossière indécence remontant à…1965. En effet, dans l’arrêt LSJPA – 2232, la Cour est saisie d’un pourvoi à l’encontre de déclarations de culpabilités pour des infractions remontant entre 1965 à 1967.
L’appelant, qui a été déclaré coupable en première instance, était âgé de 15 à 18 ans au moment des faits. La plaignante était quand à elle âgée entre 9 et 11 ou 12 ans au moment des faits. Le procès s’est tenu en 2019, soit plus de 50 ans après les faits et l’accusé et la plaignante ont donc témoigné sur des événements qui ont eu lieu alors qu’ils étaient enfants.
La Cour d’appel annule les déclarations de culpabilités pour plusieurs motifs relativement à l’appréciation de la crédibilité et de la fiabilité des témoignages. Plus particulièrement, la Cour note que le juge de première instance a considéré le jeune âge de la plaignante au moment des faits au moment d’apprécier son témoignage, mais qu’il aurait dû faire de même pour l’accusé, qui était également un adolescent au moment de certains faits reprochés:
[67] S’il était approprié de considérer le témoignage de la plaignante sous l’éclairage de son jeune âge au moment des événements, il était tout aussi approprié de considérer que l’appelant n’était âgé que de 15 et 18 ans au moment des événements et que son témoignage pouvait être apprécié de la même façon.
Ainsi, cet arrêt de la Cour d’appel rappelle l’importance que l’ensemble des témoignages prenne en considération le jeune âge du/de la témoin/déclarant.e lors de son appréciation et notamment que les propos de la Cour suprême trouvent écho en matière de témoignage d’enfants: « pour ce qui est de la partie de son témoignage qui porte sur les événements survenus dans son enfance, s’il y a des incohérences, surtout en ce qui concerne des questions connexes comme le moment ou le lieu, on devrait prendre en considération l’âge du témoin au moment des événements en question » (R. c. W. (R.), 1992 CanLII 56 (CSC), [1992] 2 RCS 122).
Fiabilité du témoignage de la victime adolescente
Dans l’arrêt Ménard c. R., un accusé porte en appel devant la Cour d’appel du Québec le verdict de culpabilité prononcé contre lui en lien avec le fait d’avoir, à des fins d’ordre sexuel, touché une partie du corps de la victime, alors âgée de moins de 16 ans.
Comme premier motif d’appel, l’appelant soutient que, vu qu’il n’a pas été contre-interrogé pendant son procès sur sa dénégation des faits, cela implique que son témoignage n’avait pas été ébranlé. Ce motif est rapidement écarté par la Cour d’appel étant donné qu’il est commun qu’un témoin ne soit pas contre-interrogé et que ce fait à lui seul ne signifie pas que le témoignage doit être retenu comme étant crédible ou fiable. Le juge du fond affirme: «La dénégation très générale de l’accusé a été faite et j’ai été en mesure d’observer l’accusé, a été faite du bout des lèvres, très timidement, sans grande conviction et était de manière très générale sans fournir aucune explication.»
Comme second motif d’appel, l’accusé dénote quatre contradictions entre le témoignage de la victime lors de l’audience et ses déclarations aux policiers. Trois des contradictions ont été considérées comme portant sur des éléments secondaires (par exemple, sur le fait que la voiture de l’accusé soit en marche ou pas lorsqu’il s’est déboutonné le pantalon) et n’ont donc pas ébranlé l’évaluation de la crédibilité du témoignage de la victime. La dernière contradiction a été jugée comme étant plus importante: la victime avait soutenu dans sa déclaration aux policiers que l’accusé avait éjaculé sur ses vêtements alors que, dans le cadre de son témoignage, elle a affirmé que ça avait plutôt eu lieu dans sa bouche.
Au sujet de cette dernière contradiction, le juge au fond avait écrit:
La version de la plaignante n’a pas été ébranlée dans son essence […] L’essence de ce témoignage c’est qu’ils sont allés, elle et l’accusé, en voiture dans un endroit isolé, qu’il a baissé ses pantalons, qu’il l’a forcée à faire une fellation et qu’il a éjaculé. Certaines incohérences ou contradictions peuvent très bien s’expliquer par le passage du temps alors que la plaignante, je le rappelle, n’avait que 15 ans à l’époque des événements.
La Cour d’appel fait donc preuve de déférence face à l’analyse de crédibilité qui avait été effectuée par le juge du fond et conclut qu’il n’y a pas eu d’erreur manifeste et déterminante quant à l’analyse de la crédibilité de la victime.
Preuve d’expert sur la fiabilité de déclarations extrajudiciaires
Dans LSJPA – 178, l’accusé subit son procès en lien avec des accusations de nature sexuelle contre une personne âgée de moins de 16 ans. Il présente une requête afin de présenter une preuve d’expert, par le témoignage d’une psychologue, sur les conditions dans lesquelles la jeune présumée victime a fait ses déclarations, lesquelles pourraient affecter la fiabilité et la crédibilité de sa déclaration.
La Couronne s’objecte à la présentation d’une telle preuve, argumentant qu’il ne s’agit pas d’un témoignage nécessaire pour que la Cour puisse décider de la fiabilité de la déclaration.
L’honorable Mireille Allaire rejette la requête de l’accusé et n’autorise pas la preuve d’expert après avoir mentionné les éléments suivants dans son jugement :
[13] L’admissibilité des verbalisations faites par un enfant constitue une exception à la règle d’inadmissibilité du ouï-dire, conformément aux règles édictées par la Cour suprême dans R. c. Khan et dans R. c. Khelawon.
[14] Dans R. c. Khan, la Cour suprême a créé l’exception à la règle d’exclusion du ouï-dire fondée sur l’analyse raisonnée, permettant aux Tribunaux d’admettre une preuve normalement exclue, à la condition d’établir la nécessité d’admettre cette preuve et de démontrer, par prépondérance de preuve, la fiabilité ou le seuil de fiabilité de cette preuve.
[15] La requête soumise à la Cour, d’autoriser l’accusé à présenter une preuve d’expert, vise essentiellement à attaquer la fiabilité des déclarations de la présumée victime.
[16] Pour qu’une preuve d’expert soit permise, elle doit reposer sur quatre critères établis par la Cour suprême dans R. c. Mohan : la pertinence, la nécessité d’aider le juge des faits, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert.
[18] Dans le présent cas, il est admis que le litige porte sur le critère de nécessité, la pertinence, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualité de l’expert étant admises.
[19] La Cour Suprême invite à la prudence dans l’application de ce critère afin d’éviter que l’expert ne vienne usurper le rôle du juge et aussi d’éviter que le procès ne devienne un concours entre des experts, où le juge des faits serait l’arbitre.
[20] D’autre part, l’expert n’a pas à se prononcer sur la crédibilité d’un témoin comme le rappelle la Cour suprême dans R. c. Marquard.
[24] On constate que la psychologue soulève des points pouvant principalement affecter la crédibilité de l’enfant.
[25] […] Rien dans ce qu’elle a fait ressortir de la preuve ne sort de l’expérience ordinaire d’un juge des faits, comme le mentionne la Cour suprême dans R. c. Macquard(sic).
[28] [la psychologue] cite de la doctrine permettant d’appuyer la recherche de la vérité des verbalisations des enfants. Encore une fois, elle remet en question la crédibilité et non la fiabilité des verbalisations.
[29] Aucune des observations qu’elle fait et les conclusions qu’elle tire n’ont un caractère exceptionnel nécessitant que la Cour ait besoin d’être instruite dans l’appréciation de la fiabilité des déclarations de l’enfant, pas plus que sur les comportements de l’enfant dans de telles circonstances.