Archives de catégorie : Jurisprudence
Une peine de placement et de surveillance d’une durée de 12 mois pour homicide involontaire coupable
Cet article a été rédigé par Me Jeanne Mageau-Taylor, avocate au Ministère de la Justice du Canada, section du développement international. Nous la remercions chaleureusement pour sa précieuse contribution.
Le 10 novembre 2021, la juge Tulloch de la Cour de justice du Nunavut a rendu une décision relative à la peine dans l’affaire R. v. F.O., 2021 NUCJ 45. Dans cette affaire, l’accusée a plaidé coupable au chef d’homicide involontaire coupable (article 234 du Code criminel). L’accusée était âgée de 17 ans et 1 mois au moment des faits.
L’accusée a reconnu avoir causé la mort d’une dame de 46 ans en lui assenant brutalement de nombreux coups au visage et à la tête, sans provocation. L’accusée avait consommée de l’alcool en compagnie de la victime au domicile de celle-ci durant une soirée. Après avoir quitté le domicile, l’accusée est revenue à celui-ci et a attaqué la victime. Tant l’accusée que la victime étaient en état d’intoxication au moment de l’agression. Par la suite, l’accusée a volé des effets personnels de la victime et a quitté le domicile de celle-ci à bord de son camion. Elle a également tenté d’accéder frauduleusement au compte bancaire de la victime.
L’accusée a tout d’abord nié toute implication dans la mort de la victime, laquelle est survenue le 9 avril 2017. Ce n’est que le 15 janvier 2019 que l’accusée fut mise en état d’arrestation et a confessé ses gestes. Suite à sa confession, l’accusée a été détenue sous garde pendant 67 jours à Iqaluit. Elle a par la suite été remise en liberté avec diverses conditions.
Dans le cadre du processus de détermination de la peine, la juge a pris connaissance de quatre déclarations de victimes, deux rapports prédécisionnels ainsi que d’un rapport psychiatrique médico-légal. Le psychiatre a conclu que l’accusée bénéficierait d’une peine purgée dans la communauté incluant des traitements thérapeutiques plutôt que d’une peine de placement sous garde.
La juge a également pris en compte les circonstances particulières de l’accusée, notamment le fait que qu’elle soit autochtone (article 38(2)(d) LSJPA). Il fut noté que, dans son enfance, l’accusée fut en contact avec les services de protection de l’enfance puisqu’elle fut exposée à la consommation abusive d’alcool et à la violence conjugale.
La juge a identifié les facteurs atténuants suivants :
- L’accusée a plaidé coupable et présente des remords;
- L’accusée n’a aucun dossier criminel antérieur;
- L’accusée a respecté ses conditions de mise en liberté depuis le mois de mars 2019;
- L’accusée présente un haut potentiel de réinsertion sociale et un risque de récidive qualifié de faible à modéré.
La juge a identifié les facteurs aggravants suivants :
- Les faits de l’affaire sont extrêmement sérieux;
- La victime était en état d’intoxication avancée et n’était pas en mesure de se défendre;
- L’accusée a volé les effets personnels et le camion de la victime suite à l’agression;
- L’accusée n’a d’aucune façon tenté d’aider la victime.
Après avoir analysé les objectifs et principes de détermination de la peine (article 38 LSJPA) et les circonstances exceptionnelles de l’affaire, la juge a conclu que seule une peine incluant une période de placement sous garde serait appropriée. Toute autre peine ne « refléterait pas les valeurs sociales » [notre traduction]. Elle a donc ordonné une peine de placement et de surveillance d’une durée de 12 mois (6 mois sous garde et 6 mois en liberté sous condition au sein de la collectivité) suivie d’une période de probation de 12 mois assortie de diverses conditions (article 42(2)(o) LSJPA).
Le 20 décembre 2021, le Service des poursuites pénales du Canada a annoncé qu’il ne portera pas en appel cette décision.
*Les opinions exprimées dans le texte reflètent le point de vue de l’autrice et ne représentent pas celles du Ministère de la Justice ou du Gouvernement du Canada.
Demande d’absolution sous conditions en présence d’antécédents criminels de nature similaire
Dans LSJPA -2118, l’honorable Pierre Hamel, de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse analyse la demande d’absolution sous conditions d’un adolescent ayant plaidé coupable à une infraction de contacts sexuels et présentant des antécédents criminels de nature similaire.
Au soutien de sa demande, l’adolescent invoque l’impact négatif d’une déclaration de culpabilité sur ses objectifs professionnels ou personnels futurs, ainsi que le préjudice lié à l’accès à son dossier sur une période prolongée.
Le tribunal ne retient pas ces arguments, indiquant qu’au même titre qu’une ordonnance de probation, l’absolution sous conditions constitue une sanction et entraîne des conséquences semblables et bénéficie de protections similaires. En effet, l’adolescent, dans le cadre de la vie civile, pourra affirmer n’avoir jamais été reconnu coupable d’une infraction criminelle dès que la peine aura été purgée.
Également, l’accès aux renseignements relatifs à la déclaration de culpabilité d’un adolescent n’est accessible que par un nombre limité de personnes assumant des responsabilités dans l’application de la LSJPA ou relativement à l’exécution des peines imposées, et ce, pour des périodes de temps limitées.
Dans la présente situation, la période d’accès au dossier de l’adolescent s’il se voit imposer une absolution sous conditions est de trois ans, à compter de la déclaration de culpabilité, alors qu’elle serait de cinq ans, à compter de l’exécution de la peine spécifique, s’il se voit imposer une peine comportant une probation.
Le tribunal est donc d’avis que les protections relatives à l’accès au dossier et les interdictions relatives à la publication sont suffisantes pour protéger l’adolescent des stigmates qui pourraient résulter d’une déclaration de culpabilité et de l’imposition d’une peine.
Le Tribunal réitère les objectifs visés par une absolution, notamment, que celle-ci devrait être accordée aux adolescents ne présentant pas de risque de récidive ou un risque très faible, qui ont peu ou pas d’antécédents judiciaires ou lorsqu’il y a lieu de préserver l’adolescent des impacts néfastes que peut constituer une déclaration de culpabilité en soulignant judiciairement le caractère positif de sa personnalité et le peu de risque qu’il constitue pour la société.
Le tribunal estime que de manière générale, une absolution sous conditions ne devrait pas être imposée à un adolescent qui présente des antécédents criminels, de surcroit, s’ils sont de nature similaire.
Dans la situation qui nous occupe, l’adolescent avait déjà été déclaré coupable de contacts sexuels, incitation à des contacts sexuels, leurre informatique et séquestration et s’était vu imposer une probation de 18 mois. Au surplus, le tribunal souligne que l’adolescent était encore assujetti à une probation au moment de la commission de l’infraction.
Le tribunal indique finalement qu’en l’espèce, la responsabilité de l’adolescent est importante et aucun élément relié à sa condition personnelle ni certain déficit ne vient la diminuer, et donc, ne retient pas le critère de la personnalité positive de l’adolescent et sa bonne moralité, d’autant plus qu’il s’agit d’un contexte de récidive.
Dans ce contexte, le tribunal en arrive à la conclusion que l’absolution sous conditions ne constitue pas une sanction indiquée et qu’une période de probation doit être imposée à l’adolescent;
La validité constitutionnelle de l’infraction de possession de cannabis chez les adolescents
Le 19 novembre 2021, l’honorable Christel d’Auteuil-Jobin, de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, a dû se pencher sur la question de la compatibilité de l’article 8 (1) c) de la Loi sur le cannabis avec la Charte canadienne des droits et libertés.
Dans cette affaire, un adolescent est accusé d’avoir eu en sa possession une quantité supérieure à 5 grammes de cannabis, ce qu’il admet.
L’accusé souhaite cependant que l’article 8 (1) c) de la Loi sur le cannabis soit déclaré inopérant puisqu’il considère qu’il porte atteinte à certains de ses droits constitutionnels prévus à la Charte canadienne.
L’article 8 de la Loi sur le cannabis prévoit que :
8 (1) Sauf autorisation prévue sous le régime de la présente loi :
a) il est interdit à tout individu âgé de dix-huit ans ou plus de posséder, dans un lieu public, une quantité totale de cannabis, d’une ou de plusieurs catégories, équivalant, selon l’annexe 3, à plus de trente grammes de cannabis séché;
[…]
c) il est interdit à tout jeune d’avoir en sa possession une quantité totale de cannabis, d’une ou de plusieurs catégories, équivalant, selon l’annexe 3, à plus de cinq grammes de cannabis séché;
[…]
L’adolescent allègue que cette disposition de la Loi sur le cannabis porte atteinte à son droit d’être protégé contre la discrimination ainsi qu’à son droit d’être protégé contre les atteintes à la vie, la liberté et la sécurité, prévus aux articles 15 et 7 de la Charte canadienne respectivement.
Le droit à l’égalité prévu à l’article 15 de la Charte canadienne
La juge d’Auteuil-Jobin ne considère pas que l’article 8 de la Loi sur le cannabis viole le droit à l’égalité des adolescents.
Cet article de loi crée évidemment une distinction fondée sur l’âge, la quantité de cannabis pouvant être possédée par un adolescent étant inférieure à celle permise aux adultes.
La quantité de 5 grammes autorisée pour les adolescents vise cependant à les protéger des conséquences potentiellement néfastes qu’une consommation aurait sur leur développement. La juge d’Auteuil-Jobin est donc d’avis que l’article 8 de la Loi sur le cannabis n’est pas discriminatoire puisqu’il n’a pas pour effet de leur imposer un fardeau ou leur nier un avantage ayant pour effet de perpétuer ou renforcer un désavantage.
Le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité prévu à l’article 7 de la Charte canadienne
La juge d’Auteuil-Jobin ne considère pas non plus que l’article 8 de la Loi sur le cannabis contrevient aux principes de justice fondamentale invoqués à l’article 7 de la Charte.
La juge rejette les prétentions de l’adolescent à l’effet que l’article 8 de la Loi sur le cannabis est imprécis, arbitraire, qu’il a une portée excessive ou encore que l’absence d’infraction pour un adulte implique qu’un adolescent ne peut être puni pour la même infraction.
La Loi sur le cannabis vise d’une part à protéger les adolescents contre les effets de la consommation de cannabis et d’autre part, à réduire le fardeau sur le système de justice pénale en décriminalisant la possession d’une petite quantité de cannabis. La limite de 5 grammes est par ailleurs inspirée d’études scientifiques sur la santé des adolescents.
Ce faisant, la juge d’Auteuil-Jobin ne fait pas droit à la demande de l’adolescent de déclarer l’article 8 (1) c) de la Loi sur le cannabis inopérant.
Comment tenir compte de 688 jours passés en détention lors de l’imposition d’une peine?
Dans R. v. M.M., l’adolescent doit recevoir sa peine suite à un plaidoyer de culpabilité pour meurtre au deuxième degré de sa mère. Au moment des faits, il était âgé de 17 ans. Il est maintenant âgé de 19 ans. Malgré un avis d’intention de demande d’assujettissement à une peine pour adultes, les parties s’entendent pour suggérer au tribunal l’imposition d’une peine spécifique, soit une ordonnance de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation d’une durée de sept ans (peine maximale pour meurtre au deuxième degré). Quatre ans de placement sous garde puis trois ans de liberté sous condition attendent l’adolescent (42(2)(r)(iii) LSJPA).
Le litige entre les parties réside dans le crédit à accorder à l’adolescent suite à sa détention préventive, d’une durée de 688 jours. La défense soumet que l’adolescent mérite d’être crédité à un ratio 1 pour 1, donc de voir la portion de placement sous garde diminuée de 688 jours. La poursuite argumente plutôt que l’adolescent devrait recevoir un crédit d’une année, ce qui laisserait un placement sous garde de trois ans à purger.
La juge Forestell de la Cour supérieure de justice de l’Ontario doit trancher ce litige. Elle rappelle qu’il est bien établi en droit qu’elle a l’obligation de prendre en considération le temps passé en détention lors de l’imposition de la peine, mais que le traitement qu’elle en fait demeure discrétionnaire.
La juge Forestell retient de la preuve que l’adolescent a démontré pendant sa détention préventive qu’il est capable d’effectuer de réels progrès dans sa réadaptation. Il s’est engagé dans son traitement, sa thérapie et son éducation. Il a pris assidûment sa médication. Il a développé son empathie et a pris la responsabilité de ses actes. L’adolescent a clairement entamé son processus de réadaptation. La juge rappelle que l’imposition d’une peine spécifique est notamment possible en raison des efforts de l’adolescent.
La juge Forestell se base toutefois sur les rapports d’experts (une psychologue et une psychiatre) quant au pronostic concernant l’adolescent. Des incertitudes demeurent quant au diagnostic et au déroulement du traitement. La durée du traitement ne peut être déterminée avec certitude. Une chose est certaine, l’adolescent aura besoin d’un certain niveau de soutien à long terme. Pour ces raisons, la juge choisit d’accorder à l’adolescent un crédit d’une année pour le temps passé en détention.
En terminant, la juge rappelle que l’article 94 de la LSJPA prévoit la révision annuelle obligatoire de toute peine comportant plus d’une année de placement sous garde. À ce moment, le tribunal pour adolescents peut, compte tenu des besoins de l’adolescent et des intérêts de la société, accorder une mise en liberté anticipée. De plus, conformément à l’article 96 de la LSJPA, le directeur provincial peut recommander à tout moment au tribunal pour adolescents qu’un adolescent placé sous garde soit mis en liberté de façon anticipée.
Une peine de probation pour diverses infractions de nature sexuelle
Dans LSJPA – 2121, l’adolescent doit recevoir sa peine suite à des plaidoyers de culpabilité, notamment pour contacts sexuels et incitation à des contacts sexuels. Les infractions concernent deux victimes. Les gestes sont sérieux (attouchements, baisers forcés, pénétration digitale et même relation sexuelle complète forcée). Les deux adolescentes victimes de ces gestes rapportent les conséquences importantes qu’ont eues ces gestes sur leur vie.
D’un côté, la poursuite plaide que seule une peine de placement sous garde est appropriée en l’espèce, alors que la défense réclame l’imposition d’une peine de probation assortie d’heures de travaux communautaires.
La juge Catherine Brousseau, de la Cour du Québec, rappelle que conformément au paragraphe 39(2) LSJPA :
Le Tribunal ne peut ordonner un tel placement que s’il en vient à la conclusion qu’aucune autre mesure de rechange, même combiné à d’autres, ne serait conforme aux principes et objectifs de détermination de la peine énoncés à l’article 38 de la loi.
Pour la juge Brousseau, plusieurs éléments doivent être pris en compte et militent en faveur du recours à des mesures alternatives au placement sous garde. Mentionnons notamment :
- L’adolescent est sans antécédent judiciaire, a admis sa responsabilité et a collaboré au processus judiciaire;
- La Directrice de la protection de la jeunesse est impliquée dans la vie de l’adolescent, qui est hébergé en centre de réadaptation;
- L’adolescent évolue positivement et fonctionne bien en centre de réadaptation (foyer de groupe);
- L’adolescent travaille son autonomie et a repris sa vie en mains;
- L’adolescent a débuté un DEP en mécanique;
- L’adolescent travaille les fins de semaine;
- Une peine de placement sous garde priverait l’adolescent de sorties pendant le premier tiers de sa peine, ce qui serait contre-productif;
- Rien n’indique que l’adolescent ne se conformerait pas à une peine ne comportant pas de mise sous garde;
- L’adolescent a exprimé des remords sincères et s’est excusé aux victimes par lettres;
En terminant, la juge Brousseau rappelle qu’une revue de la jurisprudence permet d’ailleurs de constater que dans des cas similaires, d’autres options que la mise sous garde ont été envisagées. C’est pourquoi elle ordonne à l’adolescent de se soumettre à une probation avec suivi d’une durée de dix-huit (18) mois ainsi que d’exécuter 180 heures de travaux communautaires.
Le caractère intrinsèquement violent de l’infraction d’agression sexuelle
Le 29 mars 2021, l’honorable Diane Roux de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, district de Terrebonne, a déclaré un adolescent de 16 ans coupable de l’infraction d’agression sexuelle sur sa copine âgée du même âge.
La juge Roux a entériné une suggestion commune faite par les parties, en refusant toutefois de prononcer l’ordonnance d’interdiction obligatoire demandée par la poursuite et prévue aux articles 51 de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents et 109 du Code criminel.
La juge de première instance a motivé sa décision de la façon suivante:
- L’infraction d’agression sexuelle ne comporte pas intrinsèquement le caractère de violence exigé aux paragraphes a) et a.1) de l’article 109 du Code criminel;
- L’infraction d’agression sexuelle n’est pas mentionnée aux paragraphes b) à d) de l’article 109 du Code criminel ;
- L’ordonnance d’interdiction obligatoire ne vise que les gens potentiellement dangereux
Le 8 octobre 2021, la Cour d’appel a accueilli l’appel interjeté et a prononcé l’ordonnance d’interdiction recherchée par le ministère public. Elle a rappelé, en s’appuyant sur des décisions antérieurement rendues, que l’agression sexuelle est une infraction intrinsèquement violente.
Le fait que l’agression sexuelle ait été commise sur la partenaire amoureuse de l’accusé, considérée comme partenaire intime au sens de l’article 2 du Code criminel, obligeait la juge de première instance à rendre l’ordonnance d’interdiction.
La Cour d’appel a par ailleurs souligné que le potentiel de dangerosité de l’accusé n’est pas pertinent dans l’analyse de l’article 109, les critères énumérés étant strictement reliés aux infractions commises.
Détention provisoire en centre correctionnel provincial pour adultes
Dans une décision récente, la juge Fannie Côtes de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, conclut que l’adolescent, désormais âgé de 19 ans, devra purger sa détention provisoire en centre correctionnel provincial pour adultes. Dans une affaire médiatisée, l’adolescent a été reconnu coupable du meurtre au second degré de sa mère. L’adolescent est en attente du prononcé de sa peine, étant l’objet d’une demande d’assujettissement à une peine pour adulte.
L’article 30(4) LSJPA prévoit que le tribunal pour adolescent peut autoriser le directeur provincial à ordonner que l’adolescent qui a atteint l’âge de 18 ans soit détenu dans un établissement correctionnel provincial pour adulte s’il estime que cette mesure est soit préférable pour l’adolescent ou bien dans l’intérêt public.
Pour la juge Côtes, une mesure préférable pour l’adolescent fait référence à une mesure qui vise à favoriser sa réadaptation et sa réinsertion sociale. Quant à l’intérêt public, il s’agit d’un critère de sécurité, visant la protection du public en général, ce qui inclut en l’espèce les autres jeunes hébergés et les membres du personnel de l’établissement.
Plusieurs éléments de dangerosité sont retenus en preuve par la juge. Mentionnons notamment :
- L’adolescent est extrêmement explosif, en ce qu’il représente un potentiel de violence extrême, sans signe avant-coureur lorsqu’il vit une frustration;
- L’adolescent présente des épisodes importants de désorganisation, d’agitation et d’agressivité lors des frustrations majeures;
- L’adolescent est capable de préméditation dans ses agirs agressifs;
- L’adolescent adopte des comportements problématiques qui perdurent depuis l’âge de 6 ans environ;
- L’adolescent est instrumentalisé par d’autres jeunes, l’incitant à poser des gestes de violence à l’endroit du personnel et de jeunes hébergés;
- L’adolescent tient récemment les propos suivants : « J’ai rien à perdre, j’ai déjà tué pis ça me dérange pas de recommencer »;
- L’adolescent manifeste de l’intérêt et une fascination pour le morbide et a une propension vers la violence;
La juge retient également que le centre de réadaptation ne possède pas les effectifs, ni les ressources, ni les installations et pouvoirs nécessaires afin d’encadrer suffisamment l’adolescent et d’assurer la sécurité des autres jeunes, dont certains n’ont que 12 ou 13 ans.
Pour la juge, l’intérêt public commande de permettre une réadaptation optimale à la clientèle vulnérable que composent les jeunes hébergés en centre de réadaptation, ce qui s’avère incompatible avec l’hébergement de l’adolescent au sein du centre.
Finalement, la juge estime par ailleurs que dans un contexte où un plateau est atteint sur le plan de la réadaptation, comme c’est le cas de l’adolescent, un transfèrement dans un centre de détention pour adultes s’avère préférable pour l’adolescent, puisqu’à défaut, les accusations criminelles risquent de continuer de s’accumuler pour lui.
Les dossiers d’adolescents tenus par un corps de police pour lesquels aucune accusation n’a été portée
Le 7 septembre dernier, nous publiions un article au sujet de la décision LSJPA – 2115 par l’honorable Mélanie Roy de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse. La juge concluait que les dossiers constitués par un corps policier concernant un adolescent pour lequel aucune accusation n’avait été portée n’étaient ni accessibles ni communicables.
Une autre décision récente sur le même sujet vient d’être rendue au Manitoba. Il s’agit de la décision M.G. v. The Director of Child and Family Services. Dans cette décision, le juge Rolston adopte également l’interprétation restrictive de la LSJPA à l’effet que puisque la situation d’adolescents pour lesquels aucune accusation n’a été portée n’est pas prévue à l’article 119 LSJPA, aucune divulgation ou communication des dossiers constitués à leur sujet ne soit possible. Dans cette décision, il s’agissait également de dossiers constitués par un corps de police.
Le juge Rolston conclut également qu’une divulgation n’est pas possible en vertu de l’article 123 LSJPA et ce, à l’instar de la juge Mélanie Roy.
Est-ce que les dossiers d’adolescents pour lesquels des accusations ne sont pas portées sont accessibles et communicables?
Dans LSJPA – 2115, la juge Mélanie Roy de la Cour du Québec doit répondre à la question en titre. En effet, dans le cadre d’un affidavit au soutien d’un mandat de perquisition, il est fait mention que l’adolescent est suspect dans deux dossiers non reliés. Toutefois, le DPCP a refusé de porter des accusations contre l’adolescent dans ces dossiers.
C’est dans ce contexte que la question de savoir si les renseignements contenus aux dossiers constitués par les corps policiers (115 LSJPA) peuvent être accessibles et communiqués lorsqu’aucune accusation n’a été portée contre l’adolescent. L’article 119 LSJPA prévoyant les périodes d’accès aux dossiers étant muet quant à ce cas de figure.
Dans un premier temps, la juge Roy rappelle que :
[26] Le principe général établit qu’il est interdit de donner accès au dossier d’un adolescent ou de communiquer des renseignements sauf si des dispositions expresses le permettent. Les délais d’accès ne sont pas des délais de destruction, mais de non-communication. L’on vise donc l’accès et la communication.
La juge Roy fait ensuite le constat que la question de l’accessibilité et la communication possible de ce type précis de dossier fait l’objet d’un débat jurisprudentiel au Canada pour lequel il n’y a pas consensus de la part des tribunaux spécialisés en matière de justice pénale pour les adolescents. Un premier courant soutient que puisque ces dossiers ne sont pas prévus dans les règles d’accès de l’article 119 LSJPA, ils sont accessibles et communicables. Certains juges utilisent toutefois le test de l’article 123 LSJPA qui prévoit un accès en dehors de la période visée à 119 LSJPA. Selon un autre courant, les dossiers où les accusations ne sont pas portées, non visées par ces durées spécifiques d’accès, ne devraient pas être accessibles et communicables.
Pour la juge Roy, il est illogique de penser que l’on puisse donner une plus grande accessibilité aux dossiers d’adolescents n’ayant pas fait l’objet d’accusations que ceux ayant fait l’objet d’une sanction extrajudiciaire.
La juge Roy conclut donc ainsi :
[59] Par ailleurs, l’article 119 étant muet quant à ce type de dossier et ne pouvant créer le droit, le Tribunal est d’avis, comme ses collègues Downes, Caponecchia, De Filippis and Keelaghan, qu’en l’absence d’une mention claire à la LSJPA, l’on doit favoriser une interprétation stricte concernant la protection de la vie privée des adolescents en concluant à l’absence d’accessibilité de ce type de dossier.
[60] Aussi, le Tribunal partage l’opinion du juge Caponecchia selon laquelle l’article 123 n’est pas applicable dans les circonstances […]
Le principe de retenue lors d’un assujettissement à une peine pour adultes
Dans R. v. Desir, l’adolescent loge un appel à l’encontre de la peine applicable aux adultes qu’il a reçue en première instance. L’adolescent a plaidé coupable à dix (10) chefs d’accusation, tous liés à des vols qualifiés avec usage d’une arme à feu à autorisation restreinte. Les vols visaient des bijouteries, ont été commis dans une succession rapide et étaient bien planifiés. Au moment des infractions, l’adolescent n’avait aucun antécédent et était âgé de seize (16) ans. Pour ces infractions, il s’est vu imposer une peine pour adultes globale de sept (7) ans de pénitencier.
L’adolescent argumente notamment en appel que la juge de première instance aurait fait défaut d’appliquer le principe de retenue lors de l’imposition de la peine, voulant qu’une première peine de pénitencier pour un délinquant en bas âge devrait être la plus courte possible. Il demande donc une réduction de peine afin de réduire la durée à six (6) ans.
La Cour d’appel de l’Ontario juge valable l’argument de l’appelant quant à cette question. La Cour rappelle que la durée d’une première peine de pénitencier pour un délinquant en bas âge devrait rarement être déterminée uniquement par les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Ce principe se reflète aux articles 718.2(d) et (e) du Code criminel.
Pour la Cour d’appel, la juge de première instance a commis une erreur en faisant défaut de mentionner et d’appliquer ce principe à la situation de l’adolescent. La Cour mentionne :
Le principe de retenue sert à minimiser la peine d’un jeune délinquant sans antécédent en ce qu’elle oblige le juge qui prononce la peine à considérer toutes les sanctions alternatives à l’incarcération et lorsque l’incarcération est requise, à rendre la peine aussi courte que possible et l’adapter aux circonstances individuelles du délinquant. (notre traduction)
Reconnaissant entre autre les progrès importants effectués par l’adolescent depuis son incarcération et les perspectives positives quant à sa réadaptation, la Cour accueille l’appel et réduit la peine d’incarcération globale à six (6) ans, soit une réduction d’une (1) année.