Archives d’auteur : Me Thomas Trottier

La validité constitutionnelle de l’infraction de possession de cannabis chez les adolescents

Le 19 novembre 2021, l’honorable Christel d’Auteuil-Jobin, de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, a dû se pencher sur la question de la compatibilité de l’article 8 (1) c) de la Loi sur le cannabis avec la Charte canadienne des droits et libertés.

Dans cette affaire, un adolescent est accusé d’avoir eu en sa possession une quantité supérieure à 5 grammes de cannabis, ce qu’il admet.

L’accusé souhaite cependant que l’article 8 (1) c) de la Loi sur le cannabis soit déclaré inopérant puisqu’il considère qu’il porte atteinte à certains de ses droits constitutionnels prévus à la Charte canadienne.

L’article 8 de la Loi sur le cannabis prévoit que :

8 (1) Sauf autorisation prévue sous le régime de la présente loi :

a) il est interdit à tout individu âgé de dix-huit ans ou plus de posséder, dans un lieu public, une quantité totale de cannabis, d’une ou de plusieurs catégories, équivalant, selon l’annexe 3, à plus de trente grammes de cannabis séché;

[…]

c) il est interdit à tout jeune d’avoir en sa possession une quantité totale de cannabis, d’une ou de plusieurs catégories, équivalant, selon l’annexe 3, à plus de cinq grammes de cannabis séché;

[…]

L’adolescent allègue que cette disposition de la Loi sur le cannabis porte atteinte à son droit d’être protégé contre la discrimination ainsi qu’à son droit d’être protégé contre les atteintes à la vie, la liberté et la sécurité, prévus aux articles 15 et 7 de la Charte canadienne respectivement.

Le droit à l’égalité prévu à l’article 15 de la Charte canadienne

La juge d’Auteuil-Jobin ne considère pas que l’article 8 de la Loi sur le cannabis viole le droit à l’égalité des adolescents.

Cet article de loi crée évidemment une distinction fondée sur l’âge, la quantité de cannabis pouvant être possédée par un adolescent étant inférieure à celle permise aux adultes.

La quantité de 5 grammes autorisée pour les adolescents vise cependant à les protéger des conséquences potentiellement néfastes qu’une consommation aurait sur leur développement. La juge d’Auteuil-Jobin est donc d’avis que l’article 8 de la Loi sur le cannabis n’est pas discriminatoire puisqu’il n’a pas pour effet de leur imposer un fardeau ou leur nier un avantage ayant pour effet de perpétuer ou renforcer un désavantage.

Le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité prévu à l’article 7 de la Charte canadienne

La juge d’Auteuil-Jobin ne considère pas non plus que l’article 8 de la Loi sur le cannabis contrevient aux principes de justice fondamentale invoqués à l’article 7 de la Charte.

La juge rejette les prétentions de l’adolescent à l’effet que l’article 8 de la Loi sur le cannabis est imprécis, arbitraire, qu’il a une portée excessive ou encore que l’absence d’infraction pour un adulte implique qu’un adolescent ne peut être puni pour la même infraction.

La Loi sur le cannabis vise d’une part à protéger les adolescents contre les effets de la consommation de cannabis et d’autre part, à réduire le fardeau sur le système de justice pénale en décriminalisant la possession d’une petite quantité de cannabis. La limite de 5 grammes est par ailleurs inspirée d’études scientifiques sur la santé des adolescents.

Ce faisant, la juge d’Auteuil-Jobin ne fait pas droit à la demande de l’adolescent de déclarer l’article 8 (1) c) de la Loi sur le cannabis inopérant.

Le caractère intrinsèquement violent de l’infraction d’agression sexuelle

Le 29 mars 2021, l’honorable Diane Roux de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, district de Terrebonne, a déclaré un adolescent de 16 ans coupable de l’infraction d’agression sexuelle sur sa copine âgée du même âge.

La juge Roux a entériné une suggestion commune faite par les parties, en refusant toutefois de prononcer l’ordonnance d’interdiction obligatoire demandée par la poursuite et prévue aux articles 51 de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents et 109 du Code criminel.

La juge de première instance a motivé sa décision de la façon suivante:

  • L’infraction d’agression sexuelle ne comporte pas intrinsèquement le caractère de violence exigé aux paragraphes a) et a.1) de l’article 109 du Code criminel;
  • L’infraction d’agression sexuelle n’est pas mentionnée aux paragraphes b) à d) de l’article 109 du Code criminel ;
  • L’ordonnance d’interdiction obligatoire ne vise que les gens potentiellement dangereux

Le 8 octobre 2021, la Cour d’appel a accueilli l’appel interjeté et a prononcé l’ordonnance d’interdiction recherchée par le ministère public. Elle a rappelé, en s’appuyant sur des décisions antérieurement rendues, que l’agression sexuelle est une infraction intrinsèquement violente.

Le fait que l’agression sexuelle ait été commise sur la partenaire amoureuse de l’accusé, considérée comme partenaire intime au sens de l’article 2 du Code criminel, obligeait la juge de première instance à rendre l’ordonnance d’interdiction.

La Cour d’appel a par ailleurs souligné que le potentiel de dangerosité de l’accusé n’est pas pertinent dans l’analyse de l’article 109, les critères énumérés étant strictement reliés aux infractions commises.

Inscription à la Journée des juristes LSJPA 2021

C’est avec grand plaisir que nous vous annonçons qu’il est désormais possible de vous inscrire à la 5e édition de la Journée des juristes LSJPA, qui aura lieu le 24 novembre 2021. Étant donné la situation sanitaire actuelle, cette journée de formation se tiendra à nouveau par l’entremise de la plateforme numérique Zoom cette année. 

L’inscription se fait ici:

https://event.fourwaves.com/lsjpa-2021

Un paiement de 130$ par personne devra être effectué au moment de l’inscription. 

N’hésitez pas à faire circuler la présente invitation dans vos réseaux. Au plaisir de vous y voir (virtuellement) en grand nombre ! 

L’impact du stress et de la fatigue des éducateurs sur l’utilisation des mesures de contention et d’isolement

En 2017, près de 3000 adolescents étaient hébergés en centre de réadaptation, que ce soit en vertu de la LPJ, de la LSJPA ou de la LSSSS[1].

Selon une étude menée par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse en 2017 toujours, 23 131 mesures d’isolement et 4 247 mesures de contention ont été appliquées sur les adolescents hébergés en centre de réadaptation entre 2013 et 2016[2].

Ces mesures, qui ne peuvent être utilisées que pour empêcher l’adolescent de s’infliger ou d’infliger à autrui des lésions[3], ne doivent être employées qu’en dernier recours et ne doivent en aucun temps être utilisées comme mesures disciplinaires[4].

Dans un article paru en août 2021 intitulé «Stress et fatigue chez les éducateurs en centre de réadaptation pour jeunes : influence sur leur recours aux contentions et isolements[5]», les auteurs se sont toutefois demandés si le stress et la fatigue des éducateurs étaient susceptibles de créer chez eux une propension à avoir recours à ces mesures de façon plus fréquente.

Pour ce faire, ils ont demandé à 155 éducateurs en centre de réadaptation du Centre intégré de santé et services sociaux de la Montérégie-Est (CISSSME) de remplir de façon périodique un questionnaire évaluant leur niveau de stress, de fatigue aigüe, de fatigue chronique, de récupération entre les quarts de travail ainsi que le nombre de mesures de contention et d’isolement utilisées.

Les auteurs ont pu observer au terme de leur étude que le stress des éducateurs était associé à une moins grande utilisation subséquente des mesures de contention et d’isolement. Ils expliquent cela par le fait notamment que le stress peut causer une diminution de la capacité d’attention et de la capacité de mémoire de travail des individus.

Les auteurs ajoutent, en faisant référence aux éducateurs en situation de stress:

«Il se peut donc qu’un éducateur soit moins attentif et moins disposé à s’engager activement dans un processus décisionnel. Par ailleurs, un éducateur pourrait également adopter une stratégie d’évitement lorsqu’il fait face à une situation problématique afin de se préserver.»

La fatigue des éducateurs et une récupération insuffisante entre leurs quarts de travail ont elles aussi été considérées comme étant associées à une utilisation moindre des mesures de contention et d’isolement, ces mesures étant énergivores, tant physiquement que psychologiquement pour les éducateurs.


[1] Ministère de la santé et des services sociaux. (2017). Bilan des directeurs de la protection de la jeunesse et des directeurs provinciaux.

[2] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. (2017). Étude sur l’utilisation de l’isolement et de la contention au sein des missions réadaptation jeunesse des CISSS et CIUSSS du Québec, ainsi que dans certains établissements non fusionnés. Québec : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

[3] Art. 118.1 LSSSS

[4] Art. 10 LPJ

[5] Franche-Choquette, G., Roy, C., Dumais, A., Lafortune, D., Plusquellec, P. & Geoffrion, S. (2021). Stress et fatigue chez les éducateurs en centre de réadaptation pour jeunes : influence sur leur recours aux contentions et isolements. Revue de psychoéducation, 50(1), 121-143.

Constitutionnalité de l’article 37 (10) LSJPA

En 2019, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé une décision rendue par la Cour de justice de l’Ontario déclarant un adolescent coupable d’agression sexuelle à l’endroit d’une adolescente d’un an sa cadette.

L’adolescent a interjeté un pourvoi devant la Cour suprême du Canada, arguant d’une part que le verdict de culpabilité était déraisonnable et d’autre part, que l’article 37 (10) de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (ci-après LSJPA) était inconstitutionnel car incompatible avec les articles 7 et 15 de la Charte.

Le 7 mai 2021, la Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi relativement à chacune de ces questions.

Le caractère raisonnable du verdict de culpabilité

À l’exception de la juge Suzanne Côté qui a considéré qu’une faille logique dans l’analyse de la juge de première instance quant à la crédibilité du témoignage de l’accusé rendait la déclaration de culpabilité déraisonnable, l’ensemble des juges est arrivé à la conclusion que le verdict était raisonnable.

La contestation de la constitutionnalité de l’article 37 (10) LSJPA

L’opinion des juges est plus divisée sur la question de la constitutionnalité de l’article 37 (10) de la LSJPA.

L’article 691 (1)a) du Code criminel confère à l’accusé un droit automatique de porter en appel toute décision le déclarant coupable d’un acte criminel et dont la déclaration de culpabilité est confirmée par une cour d’appel avec une dissidence sur une question de droit. L’article 37 (10) de la LSJPA ne confère pas ce même droit aux adolescents de sorte qu’une permission d’appeler devra être obtenue, sans égard à l’existence d’une opinion dissidente dans la décision de la cour d’appel;

La majorité des juges de la Cour suprême a confirmé la validité constitutionnelle de cet article, tant au regard de l’article 15 que de l’article 7 de la Charte.

La compatibilité de l’article 37 (10) LSJPA avec l’article 15 de la Charte

Une disposition contrevient à la garantie prévue à l’article 15 de la Charte si elle (1) crée à première vue ou de par son effet une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue (2) et qu’elle impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage.

S’il est clair pour les juges de la Cour suprême que l’article 37 (10) LSJPA crée une distinction fondée sur l’âge de l’accusé, leur opinion est partagée lorsque vient le temps de déterminer s’il y a imposition d’un fardeau ou négation d’un avantage aux adolescents qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage.

Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Brown et Rowe sont d’avis que tel n’est pas le cas. Ils considèrent plutôt qu’il est dans l’intérêt des adolescents qu’il y ait un contrôle en appel du fait qu’ils sont, de par leur âge, particulièrement vulnérable aux préjudices causés par des procédures judiciaires prolongées. Ils arrivent à la conclusion que l’article 37 (10) LSJPA ne perpétue par conséquent pas de désavantage pour les adolescents.

Les juges Abella, Karakatsanis et Martin sont d’avis contraire. Elles avancent que l’article 37 (10) LSJPA prive les adolescents d’une garantie contre les condamnations injustifiées à laquelle les adultes ont droit et perpétue donc un désavantage dont ils font les frais dans le cadre du système de justice pénale. Elles arrivent à la conclusion que l’article 37 (10) LSJPA viole à première vue l’article 15 de la Charte.

Le juge Kasirer se range partiellement à l’opinion de la juge Abella en considérant lui aussi que l’article 37 (10) LSJPA perpétue un désavantage pour les adolescents. Il juge toutefois que cette restriction au droit à l’égalité se justifie au regard de l’article premier de la Charte. En effet, il qualifie d’urgent et réel l’objectif de promouvoir la rapidité, la réadaptation précoce et la réinsertion sociale des adolescents et croit que l’obligation d’obtenir l’autorisation peut servir de mesure dissuasive contre un appel mal fondé. L’avantage proféré par cet article serait à son sens plus important que l’effet préjudiciable causé par l’obligation des adolescents de formuler une demande d’autorisation d’appel.

La compatibilité de l’article 37 (10) LSJPA avec l’article 7 de la Charte

Les juges Wagner, Moldaver, Brown, Rowe et Kasirer sont d’avis que l’article 37 (10) LSJPA est compatible avec l’article 7 de la Charte.

Bien qu’ils reconnaissent que l’article 37 (10) LSJPA impose une limite aux droits à la liberté des adolescents, ils considèrent que cette privation est conforme aux principes de justice fondamentale.

Les tribunaux ont réitéré à maintes reprises qu’il n’y a pas de droit d’appel garanti par la Constitution et encore moins, de droit d’en appeler automatiquement devant la Cour suprême. En l’absence d’une preuve à l’effet que les tribunaux exercent de manière problématique leur pouvoir discrétionnaire de permettre la tenue d’auditions en appel, le juge Wagner conclue que l’article 37 (10) LSJPA ne prive pas les adolescents de garanties procédurales suffisantes et que la possibilité pour eux d’effectuer des appels automatiques n’est pas une condition essentielle à l’exercice de la justice. 

Les juges Abella, Karakatsanis, Martin et Côté n’ont pas abordé cette question en raison de leur position exprimée plus haut.